Née en 1996 sous la plume de George R. R. Martin, la saga du Trône de Fer (A Song of Ice and Fire) passionne depuis 15 ans des millions de lecteurs à travers le monde. Déjà déclinée à toutes les sauces (série TV, bande dessinée, jeux de plateau, de rôle ou de cartes), la voilà aujourd'hui adaptée par Cyanide Montréal dans le cadre d'un STR qui se démarque du reste de la production.
Si vous êtes un amateur du Trône de Fer, sachez en préambule que le jeu de Cyanide revient comme son nom l'indique sur la genèse de la saga : vous n'y vivrez pas les événements du premier tome (A Games of Thrones), mais les 1000 ans qui les ont précédés, de l'arrivée de Nyméria sur les terres du royaume de Dorne jusqu'au réveil des "Autres" au-delà du Mur. Supervisée par George R. R. Martin, cette adaptation vous permet d'évoluer dans le royaume de Westeros, d'y retrouver les principales Grandes Maisons (à l'exception de la Maison Greyjoy) et d'y incarner certaines figures marquantes comme Nimeyria, Eddard Stark et les rois Targaryen. Voilà déjà un point dont on peut se réjouir, d'autant que les concepteurs de ce jeu de stratégie en temps réel n'ont pas cédé à la facilité : plutôt que de nous pondre un STR traditionnel, tourné vers la production d'unités militaires et les combats de masse, ils ont préféré développer un gameplay original qui colle mieux à l'esprit du Trône de Fer et à la richesse de ses intrigues politiques. Les mécanismes, qui font la part belle à la diplomatie, à l'espionnage, à l'assassinat et à la corruption, rappellent ceux d'un jeu de plateau.
La première particularité de A Game of Thrones - Genesis, c'est de mettre les alliances au coeur du gameplay. On vous propose d'incarner le suzerain d'une Maison, désireux d'acquérir suffisamment de prestige pour prendre le pouvoir et s'installer sur le Trône de Fer. Vous débutez près d'une forteresse qui constitue votre point de recrutement. Votre première tâche consiste à essayer de vous allier avec les villes et les châteaux présents sur la carte. Sans leur soutien, point de ressources et point de salut ! Il vous faut donc y envoyer un émissaire, qui scellera une alliance et vous permettra de bénéficier de revenus en or, que des marchands se chargeront d'acheminer jusqu'à votre demeure. Mais les différentes structures sont également convoitées par vos adversaires. La ville avec laquelle vous vouliez sceller une alliance est déjà alliée avec une autre Maison ? Envoyez-y un espion ; il passera un accord secret au nez et à la barbe de votre rival et détournera ses gains en votre faveur. A moins que vous ne préfériez contraindre l'émissaire adverse à rouler discrètement pour vous, que ce soit en le séduisant avec une courtisane ou en le corrompant au moyen d'un filou. Pour éviter ce genre de mauvaise surprise, l'adversaire peut utiliser ses propres espions pour détecter les fausses alliances et les traites. Mais il y a mieux : le mariage d'une courtisane avec le seigneur de la ville permet de sceller une alliance de sang, qu'il n'est possible de briser qu'en temps de guerre et qui renforce les revenus. Là encore, il vous reste la possibilité d'envoyer un assassin s'occuper de la mariée ou un filou provoquer un soulèvement. Mais un garde posté devant une ville suffit à la protéger de ces risques en jetant tout opportun en prison, dans l'attente du versement d'une rançon !
Voilà un jeu d'échec relativement captivant, mais aussi terriblement complexe. Entre la tentation de l'expansion rapide et la protection prudente de vos alliances, il vous faudra choisir. Vous devrez aussi bannir certains mauvais réflexes : par exemple, vous serez vite à court de fonds si vous tentez de produire en masse une unité donnée, son coût augmentant progressivement jusqu'à se révéler exorbitant. Qui plus est, à mesure que les coups bas pleuvent, la jauge de paix diminue, jusqu'à ce que le royaume entre en état de guerre. Dès lors, les relations diplomatiques ne sont plus à l'ordre du jour, mais il devient possible de créer des armées pour défendre ses acquis et conquérir ceux de ses adversaires. Contrairement aux gardes et aux mercenaires, qui peuvent être recrutés avec de l'or, les armées nécessitent de la nourriture, produite par les fermiers. Ces derniers exploitant les champs autour des villes, il est primordial de s'en approprier un maximum avant d'affronter les forces adverses, quitte à se lancer dans quelques sièges douloureux. Les batailles tiennent compte du type d'armées (selon le principe du shifumi), de leur position respective (une attaque de dos ou de flanc génère de plus lourds dégâts) et du terrain arpenté (archers et soldats peuvent se dissimuler dans les buissons). Pour éviter la débandade, vos troupes peuvent bénéficier du soutien d'un commandant, qui leur octroie aussi des bonus. Le volet militaire est donc assez fourni, même s'il est possible de remporter la partie en temps de paix. Les points de prestige vous sont en effet octroyés en continu si vous êtes la Maison qui a le plus d'alliés et/ou si vous êtes celle qui a le plus de revenus et/ou si vous êtes celle qui a fait le plus de victimes et de fourberies : les conditions de victoire sont variées.
La campagne solo vous épargne toutefois la gestion du prestige à la faveur d'objectifs spécifiques auxquels vous ne pouvez déroger. Découpée en huit mini-campagnes de cinq scénarios chacune, elle vous donne l'occasion d'incarner tour à tour quelques légendes de Westeros dans des situations et des environnements variés. On commence par vous fournir une brève description du contexte, qui s'adresse surtout aux fans du Trône de Fer mais dont chacun peut comprendre les enjeux. Puis tout au long de la mission, on vous assigne deux ou trois objectifs successifs, en vous imposant parfois même la manière de les atteindre. Vous ne pouvez donc guère exercer votre libre arbitre ni élaborer vos propres stratégies, d'autant que ces missions scénarisées vous restreignent à un petit panel d'unités débloquées progressivement (malgré la présence en parallèle d'un tutorial assez complet). Le dirigisme de la campagne solo devient même étouffant étant donné que Cyanide vous inflige un système de checkpoints qui vous empêche de sauvegarder quand vous le souhaitez. Voilà qui rend les parties encore plus ardues qu'elles ne le sont déjà à la base. Sorti de la première mini-campagne, assez simple, les suivantes proposent un challenge particulièrement relevé – et ce, dès le niveau de difficulté par défaut ("difficile"). L'ensemble de ces contraintes rend la progression quelque peu fastidieuse, mais il faut bien comprendre une chose : A Game of Thrones – Genesis peut être comparé à un jeu de plateau informatisé dont le tutorial s'apparente à une simple lecture des règles, tandis que la campagne solo n'est guère plus qu'une partie d'initiation. De ce point de vue, la finalité réside alors dans l'esprit plus "bac-à-sable" des parties escarmouches et multijoueurs.
Entièrement paramétrables, ces deux modes de jeu vous permettent de sélectionner l'une des huit Grandes Maisons disponibles (Arryn, Baratheon, Lannister, Martell, Stark, Targaryen, Tully et Tyrell) dotées chacune de leurs spécificités respectives. Pour prendre un exemple, la Maison Lannister profite d'une corruption 50 % plus rapide et 50 % moins dispendieuse, d'un bonus de 15% d'or supplémentaire pour ses marchands, ainsi que de la possibilité de produire des infiltrés, des unités uniques capables de prendre la place d'un émissaire, d'un assassin ou d'un commandant déjà actif sur le terrain. Signalons en passant que contrairement au mode Campagne, les parties en mode Escarmouche ou Multijoueur vous ouvrent l'accès à l'ensemble des unités disponibles, mais qu'il faut en contrepartie les débloquer moyennant une certaine somme d'or pour pouvoir en bénéficier. Cela donne lieu à des choix décisifs permettant aux stratèges d'affiner leur build order. Ces parties intègrent également des "défis", proposés sous la forme de petits objectifs (tuer un espion ennemi, cumuler une somme d'or donnée...). La première Maison à mener à bien un défi remporte 10 points de prestige, ce qui peut l'aider à atteindre plus rapidement les 100 points requis. Riches de 15 maps (avec toutefois quelques redites), dont une immense carte pour 8 joueurs représentant la totalité du continent de Westeros, ces deux modes constituent donc un réel élément de satisfaction. Qu'elles soient classées ou non, les parties en multi se révèlent notamment très gratifiantes : vous essaierez généralement de reconduire des tactiques qui ont bien fonctionné en solo, avant de vous apercevoir que la matière grise de vos adversaires vous pousse à adapter en permanence vos plans initiaux.
A Game of Thrones – Genesis s'en sort jusque-là plutôt bien, mais il faut avouer que la forme s'avère aussi décevante que le fond peut être réjouissant. Le rendu visuel, notamment, souffre d'animations obsolètes ainsi que de textures très pauvres, même si on apprécie par ailleurs la palette de couleurs et les artworks bien dans le ton. Très sincèrement, on finit par se faire à cet emballage peu appétissant à partir du moment où l'on admet qu'à l'instar d'un jeu de plateau, l'essentiel était de schématiser grossièrement les situations. L'ambiance sonore, qui bénéficie de thèmes musicaux sombres et mystérieux collant bien au propos, souffre hélas de doublages en français très inégaux. Mais c'est bien la jouabilité qui déçoit le plus, tant elle est susceptible d'entacher le plaisir de jeu. L'interface peu pratique ne permet pas de tirer la quintessence d'un gameplay qui repose largement sur la micro-gestion : à mesure que la partie se déroule, les icônes des unités actives s'entassent de façon confuse sur la gauche de l'écran, là où on aurait préféré un panneau escamotable synthétisant leurs attributions. De même, les notifications ne sont pas assez nombreuses, alors qu'il est souvent primordial d'être alerté du moindre événement (des indices sonores retentissent, mais on ignore leur provenance !). Le plus pénalisant reste quand même la difficulté à distinguer une unité d'une autre, les blasons des différentes Maisons étant parfois trop proches sur le plan visuel. Il arrive de laisser passer une unité ennemie, faute de l'avoir remarquée ! Et pour ne rien arranger, la caméra est loin d'être des plus véloces. La réalisation n'est donc pas à la hauteur, mais cela ne doit pas décourager outre mesure les adeptes de jeux de stratégie qui recherchent autre chose que les standards actuels.
- Graphismes11/20
A Game of Thrones – Genesis accuse pas mal d'années de retard sur le plan visuel. La direction artistique est correcte, mais les jolis artworks, bien dans le ton, ne compensent pas les animations obsolètes et les textures souvent vilaines.
- Jouabilité14/20
Centré sur les joutes diplomatiques mais accordant aussi leur place aux affrontements militaires, le gameplay respecte l'esprit de l'oeuvre de George R. R. Martin. Hélas, son potentiel stratégique est partiellement sabordé par une jouabilité imparfaite.
- Durée de vie14/20
La campagne solo se boucle assez rapidement au niveau de difficulté le plus bas, mais représente un véritable challenge quand l'on monte d'un ou deux crans. Elle est soutenue par des modes Escarmouche et Multijoueur qui permettent au gameplay de donner sa pleine mesure.
- Bande son13/20
Les thèmes musicaux, plus sombres qu'épiques, dégagent une ambiance qui colle parfaitement au propos. On se montrera moins enthousiaste sur les bruitages, peu soignés (et parfois désynchronisés de l'animation) ainsi que sur les doublages en français, très inégaux.
- Scénario13/20
Difficile d'apprécier ce critère. L'oeuvre originale est respectée, mais pas forcément exploitée comme l'auraient souhaité les fans. Tout en se montrant très dirigiste et très scriptée, la campagne ne fait que survoler les événements et les personnages, qui ne servent que de prétextes.
A Game of Thrones – Genesis est un jeu de stratégie en temps réel qui se démarque des standards actuels et rien que pour ça, il se doit d'être salué. L'adaptation de Cyanide a aussi le mérite de proposer un gameplay dans l'esprit de l'oeuvre originale, centré sur les intrigues politiques et les luttes de pouvoir. Quel bonheur que de pouvoir remporter la partie sans avoir levé une seule armée ni mené une seule bataille ! Il faudra hélas payer le prix d'une campagne solo poussive et dirigiste, qui fait office de tutorial pour les modes Escarmouche et Multijoueur. Il faudra également s'accommoder d'une forme qui s'avère tout aussi décevante que le fond peut être réjouissant. Si vous êtes prêt à faire ces concessions, n'hésitez pas à laisser une chance à ce titre fort sympathique.