Après The Legend of Kyrandia : Book One au bilan mitigé, Westwood nous revient avec The Hand of Fate et la ferme intention de se racheter. Le nouveau venu peut-il définitivement faire pencher la balance en sa faveur avec le même gameplay, le même univers et autant d'occasions de trucider son personnage principal ?
On se rappelle avec une douleur au crâne du premier volet de la Légende de Kyrandia. A la fois adorable et sarcastique, il avait su malmener notre patience à grand renfort d'énigmes absurdes et de meurtres inopinés. Ce second opus de la trilogie de point'n click de Westwood porte donc de lourdes responsabilités sur ses épaules de pixels. The Hand of Fate prend ainsi place quelque temps après la chute de Malcolm. Cette fois, le monde de Kyrandia est littéralement en train de disparaître, sous le regard des Mystiques impuissants. Le remède à cette malédiction est une ancre de pierre située au cœur de la planète, et c'est la sorcière Zanthia qui y est envoyée...
Ce n'est pas tant l'idée de base que la manière dont elle est développée qui impressionne dans Kyrandia. Si le premier volet était très joli mais avait tendance à répéter les tableaux, Hand of Fate est à chaque instant un pur joyau. Et comme pierre précieuse vidéoludique, le soft fait très fort : Westwood a effectivement mis le paquet pour nous offrir un monde fantastique et mémorable. Il ne s'agit presque plus de finir le jeu mais de découvrir les merveilles de chaque paysage, animé et par conséquent extrêmement vivant. On y trouvera en effet, parmi des myriades d'autres décors, des marécages, des machines diaboliques, des failles volcaniques et même des arc-en-ciel - subtile mise en abîme au cœur de la magie.
La magie, tiens, parlons-en. En plus de l'inventaire et de ses objets interactifs, désormais marque de fabrique de Kyrandia, Zanthia dispose d'un chaudron et d'un livre de recettes pour préparer des potions qui l'aideront dans sa quête. Extrêmement simple d'utilisation, on y mélange ce que l'on veut à partir des objets trouvés dans le décor, comme un fer-à-cheval ou une empreinte de lapin. Ces objets réapparaissent régulièrement sur le terrain pour éviter de rester bloqué si l'on a fait une erreur. Mais là où Hand of Fate excelle, c'est bien dans ses listes exotiques d'ingrédients. Certains sont très clairs (de la neige et du fromage !), d'autres beaucoup plus vagues (« Où vais-je trouver de la sauce aigre-douce ?! »), et c'est au joueur de répondre à ces exigences énigmatiques... ou de les utiliser à son avantage grâce aux objets de son inventaire. Dans les deux cas, le jeu demande une réflexion astucieuse et inédite, tranchant avec les essais hasardeux du premier livre. Néanmoins, ne croyez pas que la solution sautera aux yeux immédiatement : The Hand of Fate fait la part belle aux associations loufoques, mais pas dénuées de sens, à la manière d'un Secret of Monkey Island, par exemple.
Et cela n'est-il point en accord avec nos espérances ? En troquant l'incongru pour la logique, The Hand of Fate s'offre une véritable narration rythmée par les découvertes et les résolutions. Il n'est plus question d'errer éternellement dans des décors plus ou moins vides, mais de comprendre l'environnement, de parler avec les habitants - de toutes espèces - de Kyrandia, de trouver des indices, d'aller de l'avant sans perdre la tête. Il n'est plus possible de voir sa sauvegarde gâchée parce que l'on a jeté un objet important, car l'inventaire est régulièrement - et surtout automatiquement - réorganisé. Quant à l'humour, il est cette fois parfaitement assumé et omniprésent. Mordant et plein de références, il touche d'autant plus que le charisme de Zanthia n'a aucun rapport avec la lourdeur du prince Brandon. Entièrement doublé comme son prédécesseur, The Hand of Fate jouit d'une quantité inimaginable de répliques, racontées par des acteurs très convaincants - ou à mourir de rire, c'est au choix. Certes, il faudra faire avec les sous-titres français, car le tout est strictement limité à la langue de Shakespeare, mais les initiés sauront apprécier toute la folie douce qui imprègne ce Pays des Merveilles adulte.
Ne vous y trompez pas : l'utilisation répétée du terme « merveille » dans cet article n'a rien d'anodin. L'âme dorée de The Legend of Kyrandia : The Hand of Fate n'est jamais prise en défaut. Oh, peut-être les grincheux s'attarderont-ils sur une ou deux énigmes particulièrement fastidieuses ici et là, et ils auront raison ! Mais que sont deux énigmes dans un débordement de fraîcheur et de créativité ? La preuve que les développeurs n'ont pas renié entièrement leurs origines. Parce que The Legend of Kyrandia, ça n'est jamais tout blanc, ni tout noir, ni tout rose. C'est un bouquet garni à volonté, où l'on étanche sa soif de fantaisie en attendant la prochaine pépite. Et une mine comme celle-ci, ça se préserve et ça se transmet, à la manière d'un conte de fée mythique et éternel. Bravo.
- Graphismes18/20
Diantre, ce que c'est beau... Il n'y a techniquement aucune différence entre le Book One et Hand of Fate, mais les environnements sont beaucoup plus travaillés, uniques et animés. On appréciera également la diversité des personnages et leurs animations bien pensées. Bref, la réussite est totale.
- Jouabilité16/20
Avec un inventaire plus volumineux et toute l'affaire des potions, The Hand of Fate s'impose comme un jeu très prenant. Mais cette note est surtout relative aux atrocités que nous faisait subir le premier volet de la série, qui ne sont plus que de mauvais souvenirs. Les énigmes de The Hand of Fate ne sont plus le fruit d'une soirée bien arrosée, mais un mélange réfléchi de drogues douces et d'engrenages huilés, et cela se sent.
- Durée de vie15/20
Dans la mesure où il n'y a guère qu'un seul moyen de terminer le jeu, la rejouabilité du soft est quasiment nulle. L'aventure vous tiendra éveillé pendant une dizaine d'heures. Cependant, ces dix heures étant assez savoureuses, on prend plaisir à traîner plus longtemps dans les décors... merveilleux.
- Bande son18/20
Plus garnie que celle de son prédécesseur, la bande sonore de The Hand of Fate jouit surtout de doublages nombreux et époustouflants à écouter en boucle (Les pirates ! Les pirates !). Comme d'habitude, les musiques de Franck Keplacki sont discrètes, et les quelques bruitages retranscrivent bien l'aspect féérique de Kyrandia.
- Scénario19/20
L'avalanche de situations magiques, inoubliables, serties par un pitch trop original pour être honnête (une ancre pour Kyrandia !) et des personnages hauts en couleur (à se demander si le jeu en utilise vraiment 256...), donne à l'ensemble l'impression d'avoir été réalisé sous l'emprise d'une substance illicite, mais tout s'accorde trop bien pour cela. The Hand of Fate rappelle parfois également, et surtout, étrangement, divers titres comme... Final Fantasy (XI) et Grim Fandango, pourtant sortis des années plus tard ! Coïncidence ou référence élitiste assumée ? Dans tous les cas, la qualité des jeux en question en dit long sur la pérennité de ce point'n click.
Infiniment meilleur que son aîné, The Legend of Kyrandia : Hand of Fate peut se targuer d'avoir su rehausser tous les standards des point'n click en un seul coup de maître. Et ce monument, il est toujours là, dans l'ombre d'un site d'abandonware... Pourquoi se priver ? S'il nous faut maintenant reposer ce livre en or dans la bibliothèque, c'est pour mieux appréhender le dernier tome de la saga, que l'on espère également plein de prouesses... En attendant, tirons notre chapeau à Westwood. Merci !