Avouez que l'idée d'adapter des passages de la Bible en jeu vidéo n'est pas très excitante. Il s'agit pourtant bel et bien d'un incroyable réservoir de contes et d'aventures en tout genre. Il faut finalement faire appel à des développeurs japonais pour nous le prouver. El Shaddai n'a rien d'un cours de catéchisme mais il s'appuie pourtant bel et bien sur un texte religieux, plus précisément sur le très mystérieux Livre d'Hénoch.
Le nom de Takeyasu Sawaki ne vous dit peut-être rien et pourtant ce gaillard est un ancien de Clover Studio où il a notamment travaillé sur Viewtiful Joe et sur Okami. Un tel CV en impose forcément et aiguise la curiosité des joueurs de tout poil concernant son dernier bébé. Histoire d'ajouter un peu de mystère, le titre en question traite d'un thème plutôt surprenant : il s'agit d'une adaptation libre du Livre d'Hénoch, un passage de la Bible considéré comme apocryphe par la plupart des dogmes chrétiens. Le texte original relate l'aventure d'Hénoch qui est envoyé sur Terre à la poursuite des anges déchus. Ces derniers ont provoqué la colère du Seigneur en ayant la très mauvaise idée de s'acoquiner avec des humains et de donner naissance ainsi aux Nephilim, des créatures contre-nature qui apportent le chaos dans le monde terrestre.
Autant vous prévenir tout de suite, les équipes de Ignition Entertainment n'ont pas vraiment pris le texte original au pied de la lettre... El Shaddai met ainsi en scène un Enoch vêtu d'un simple jean délavé et d'une armure qui a facilement tendance à s'effriter sous les coups pour laisser apparaître un torse épilé et une belle chevelure blonde. Il fait équipe avec un Lucifer tout ce qu'il y a de plus moderne et qui passe son temps au téléphone portable pour donner des nouvelles de votre progression à Dieu en personne. Il flotte d'ailleurs une étrange tension sexuelle entre ces deux personnages bibliques... Les différents anges déchus tiennent lieu de boss plus impressionnants les uns que les autres et les Nephilims ressemblent à d'étranges énormes saucisses dont on a souvent du mal à saisir la dangerosité. Bref, le character design fait dans l'originalité et l'assume totalement, mais c'est surtout du côté des environnements que les équipes de Ignition Entertainment se sont lâchées. Vous aurez droit à des décors tantôt incroyablement épurés, tantôt débordants de détails en tout genre ou d'effets visuels plus bluffants les uns que les autres. Cette patte graphique très particulière rappelle notamment l'œuvre de Moebius, plus particulièrement ses bandes dessinées à l'esthétique simple mais qui fourmille de détails et de délires visuels incroyables. Au final, c'est une véritable claque visuelle de chaque instant que vous réserve El Shaddai, on aurait aimé que l'ensemble du jeu soit aussi impressionnant.
C'est en effet la douche froide lorsque l'on s'intéresse d'un peu plus près au gameplay : le titre s'apparente à un mélange de beat'em all et de jeu de plate-forme tout ce qu'il y a de plus pauvre et de plus classique. C'est bien simple, on sautille bêtement pour arriver jusqu'à une petite arène, les ennemis débarquent de nulle part et il faut s'en débarrasser pour continuer la progression. Les combats sont incroyablement répétitifs : on croise toujours plus ou moins les mêmes types d'ennemis et Enoch ne dispose que de trois armes pour les vaincre. Ces dernières peuvent être récupérées sur les adversaires quand ces derniers tombent dans les vapes et fonctionnent sur un principe de pierre-feuille-ciseaux tout ce qu'il y a de plus classique. Il s'agit de l'Arch, une sorte d'épée très maniable, du Gale, un disque qui permet d'envoyer de petits projectiles à distance, et du Veil, un bouclier qui se change en deux armes cognant très fort. On pourrait se contenter d'un tel arsenal mais malheureusement le nombre de coups et de combos est réduit au strict minimum. On reste donc sur sa faim. Le jeu intègre tout de même quelques fonctionnalités originales comme la possibilité de faire revenir le héros à lui lorsqu'il va mourir en pressant régulièrement tous les boutons, un peu à la manière d'un massage cardiaque. Enoch dispose aussi d'un boost, il s'agit de faire appel à l'esprit d'Uriel pour écraser plus facilement ses adversaires, mais cet ajout ne suffit pas à rendre les combats particulièrement trépidants. La dernière particularité est sans doute la plus sympathique : vous ne disposez pas de jauge de vie lors de votre première partie, il faut donc déduire l'état de santé de son personnage et de ses adversaires à partir de l'état de décrépitude de leurs tenues respectives. Ceci n'aide pas toujours à rendre l'action plus lisible mais confère tout de même une sacrée personnalité aux affrontements.
Si les combats ne constituent pas le fort de El Shaddai, il ne faut certainement pas compter sur l'aspect plate-forme pour rectifier le tir. A priori on pourrait se féliciter à l'idée de retrouver des passages en 2D, mais il ne s'agit malheureusement pas de plate-forme à l'ancienne. On sautille mollement au petit bonheur la chance, sans avoir réellement de moyen de savoir où on se rend, en comptant constamment sur les doubles-sauts et sur la capacité de l'Arch à vous faire planer. Les passages en 3D ne sont pas plus gratifiants et on ne sait jamais vraiment où l'on va atterrir à moins de scruter attentivement la petite ombre de ce brave Enoch. Au final, vous passez tout votre temps à vous arracher les cheveux pour de mauvaises raisons : le challenge n'est pas à la hauteur d'un 'Splosion Man ou d'un Super Meat Boy, on se contente ici de diriger de manière imprécise un héros peu réactif. Avec cette recette pas vraiment alléchante, El Shaddai parviendra tout de même à tenir les plus curieux en haleine un peu moins d'une dizaine d'heures. Il s'agit d'une durée de vie plutôt honnête mais on aurait aimé que les équipes de Ignition Entertainment en profitent pour apporter un peu plus de diversité à ce gameplay et qu'elles ne se contentent pas de nous faire traverser des environnements tous plus beaux les uns que les autres.
- Graphismes18/20
El Shaddai est une pure merveille d'un point de vue graphique. Tout le monde n'accrochera pas à son design original et audacieux mais il faut reconnaître que les équipes de Ignition Entertainment ont un véritable sens artistique.
- Jouabilité10/20
Autant le titre est beau, autant il nous sert un gameplay insipide et peu inspiré. Il se contente en effet de nous resservir de vieilles recettes éculées sans même prendre le temps de nous les assaisonner correctement.
- Durée de vie14/20
Comptez une petite dizaine d'heures pour terminer le scénario et pour pouvoir ensuite accéder à tous les niveaux de manière indépendante. Il s'agit là d'une durée de vie honnête mais le jeu se montre trop répétitif pour être trépidant sur le long terme.
- Bande son16/20
Les musiques sont vraiment sympathiques et elles contribuent à vous guider dans un univers totalement décalé. Les bruitages sonnent bien et on apprécie par exemple le petit claquement de doigts énervant qui vient résonner à chaque fois que l'on se prend une gamelle. On note enfin que le jeu laisse le choix entre les voix anglaises ou japonaises.
- Scénario14/20
Encore une fois, le scénario de El Shaddai est tellement barré qu'il laissera sans doute pas mal de monde sur le bord du chemin, mais les amateurs d'intrigues ésotérico-contemporaines trouveront certainement plaisir à décortiquer tous les sous-entendus et toutes les références mystérieuses de cette aventure.
Au final, on est en droit de se demander si El Shaddai tient davantage de l'œuvre d'art ou de la supercherie. Il s'agit sans doute un peu des deux puisque le titre de Ignition Entertainment peut aussi bien nous enchanter par son ambiance et par ses graphismes splendides, que nous frustrer et nous ennuyer par son gameplay peu abouti. C'est certainement un jeu au design original qui mérite amplement le coup d'œil, mais, passé l'effet de surprise, on se rend finalement compte qu'il est plus banal qu'on ne l'aurait espéré.