Les consoles portables recèlent décidément bien des surprises. Succédant à ses illustres prédécesseurs sur GBA, les bien nommés Riviera et Yggdra Union, Knights in the Nightmare fait le choix de la rupture et propose un univers totalement indépendant de ses précédents opus. Le RPG tactique s’en voit-il étoffé ou bien affublé d’un énième nanar vidéoludique ?
La réponse à cette question laissant planer dans les airs un suspense aussi dense que le brouillard aurillacois, il convient de l'entretenir comme il se doit en dépeignant d'abord l'univers heroïc-fantasy dans lequel ce soft vous propose d'évoluer. Autant vous l'annoncer d'emblée : vous incarnez un mort. Plus précisément, un Esprit amnésique qui, habité par un pouvoir mystérieux, reprend conscience au milieu d'une bien sombre forêt. Vous rencontrez vite une valkyrie en armure aux propos plutôt vagues qui vous laisse presque immédiatement seul dans cet endroit sinistre. Et c'est ainsi que vous êtes jeté, pour ainsi dire, dans la gueule du loup. Car même si vous ne faites qu'incarner le feu follet amnésique, il sera malgré tout aussi difficile pour vous que pour votre personnage de mettre bout à bout les bribes de mémoire qui vous reviendront au fil des combats et des divers flash-back auxquels vous assisterez. La narration est complexe, voire très complexe, et il faudra faire fonctionner un minimum ses méninges pour comprendre ce qui se passe sur les sombres terres de St. Celestina. Mais fort heureusement, et pour notre plus grand plaisir, ce découpage à la Pulp Fiction sert grandement ce titre à l'ambiance plus que singulière. En effet, dans Knights in the Nightmare, exit l'atmosphère bon enfant propre à bon nombre de jeux de rôle, et place au low fantasy, celui qui tache et qui ne fait aucune concession. Une ambiance mature et ténébreuse qui, il faut l'admettre, pourra désarçonner les moins aguerris. En parallèle de cette complexité, comme pour garder un certain équilibre, le rythme du titre obéit à une partition qui jamais ne subit de variations. Les différentes phases composant un chapitre, ou scène, sont en effet chaque fois les mêmes, à savoir: un interlude narratif, suivi d'un affrontement, lui-même succédé par un flash-back qui nous laisse ensuite accéder à l'interface. Une structure que l'on apprivoise, qui est efficace, mais qui inévitablement pourra susciter l'ennui chez les joueurs moins patients ou plus avides de liberté. Mais soyons honnêtes, ce ne sont pas ce genre de considérations qui doivent retenir quiconque voudrait se plonger corps-et-âme dans un jeu de rôle de l'envergure de Knights in the Nightmare.
Et il en a de l'envergure le bougre. Car si son scénario et sa narration mettent déjà la barre très haut, les affrontements et leur gestion se révèlent très riches, se payant même le luxe d'être tout à fait innovants. Le système de combat est en effet très particulier, et il sera absolument primordial de passer en revue les différents tutoriels proposés avant de se lancer dans l'aventure, chose que les développeurs semblent encourager en mettant lesdits tutoriels bien en évidence à l'écran titre. Et pour que vous sachiez où vous mettez les pieds, il est évidemment de bon ton d'expliquer de quoi il retourne exactement. Et de répondre, dans un premier temps, à la furieuse et légitime interrogation qui bouillonne sans aucun doute en vous : comment se battre dans la peau d'un Esprit immatériel contre des monstres qui eux sont bien réels ? Pour vous aider dans cette tâche, vous bénéficierez en réalité du soutien des nombreux chevaliers tombés au combat dont l'âme peut être possédée par vos soins. Ce seront donc eux qui combattront pour vous au cours des rounds qui composent les affrontements. Ces rounds, dont le nombre ne pourra excéder 26 sous peine de défaite, sont en fait des périodes de temps durant lesquelles vous serez libre de faire attaquer vos guerriers. A chaque round, les ennemis réapparaîtront suite à une sorte de bingo vous permettant de choisir vos adversaires. Ce choix vous incombe car votre objectif sera en réalité d'éliminer les bons ennemis pour compléter une grille de couleurs, tout en vous méfiant des projectiles aussi divers que variés qu'ils vous destineront. Ces projectiles n'ont en fait qu'une cible, vous, et prendront un malin plaisir à faire ressembler votre écran à une partie de Ikaruga. Vos chevaliers, eux, ne seront vulnérables qu'à certaines attaques et ce, uniquement lorsqu'ils seront possédés par votre Esprit. Le temps quant à lui ne s'écoulera également que lorsque vous ferez attaquer vos aides de camps. Il sera donc essentiel de bien gérer ses attaques pour ne pas consommer trop vite les précieuses secondes qui vous serviront à éliminer la variété d'adversaires qui vous barreront la route. C'est d'autant plus vrai qu'en plus du temps que prend une attaque pour être exécutée, elle consumera en sus une partie de la Vitalité du chevalier qui la lance. Et comme de bien entendu, un combattant sans Vitalité, c'est un combattant mort pour de bon. Il arrivera donc inévitablement que vos fidèles serviteurs périssent de manière irréversible au combat, ce qui dans le fond n'est pas sans rappeler les différents Valkyrie Profile. Mais d'autres enjeux que la simple défaite de vos ennemis vous attendent lors des affrontements. Pour recruter de nouvelles paires de bras, il sera en effet nécessaire de détruire les différents éléments de décor présents sur le champ de bataille afin d'obtenir les objets qu'ils contiennent. Ces items, liés à des chevaliers que vous n'avez pas encore rencontrés, vous seront indispensables pour les faire rejoindre vos rangs. En résumé, il vous faudra donc épuiser davantage vos guerriers pour espérer les remplacer une fois leurs limites atteintes et leur âme envolée au firmament. Un déroulement tragique des événements qui fait écho de manière très habile à la progression de l'histoire.
Et alors que vous pensez peut-être avoir cerné le gameplay qui régit Knights in the Nightmare, le titre redouble d'efforts pour proposer un contenu à la hauteur de toutes les ambitions, notamment via l'interface sobre mais très complète qui vous accueille entre chaque scène. Les menus proposés, découpés en trois catégories, vous permettent de consulter une variété d'informations sur vos chevaliers (leur classe, leur alignement, leur loyauté, leurs affinités avec les éléments...) mais surtout, vous donnent accès au transfert d'âme. Cette fonctionnalité, qu'il vous faudra exploiter, vous permet de fusionner l'âme de l'un de vos combattants à celle d'un autre, l'entité réceptrice étant la seule à survivre. Il s'agit, avec le gain de niveau engendré par le don d'expérience, du seul moyen dont vous disposez pour faire regagner de la Vitalité à vos précieuses unités. A utiliser avec parcimonie, ce système vous permettra également de repousser les limites de niveau dont souffrent par défaut les chevaliers sous vos ordres. Dans les menus qui composent l'interface, on trouve aussi de quoi gérer ses nombreuses armes, sans lesquelles il serait impossible de défaire les monstres en tout genre qui vous assailliront. Périssables, à l'image de vos unités, vous ne pourrez en sélectionner que quatre durant les combats, et il conviendra bien sûr d'utiliser les instruments associés à la classe des chevaliers que vous utiliserez. Ne pouvant garder qu'un total de 250 armes sur vous, vous serez bien vite amené à les fusionner entre elles, ce qui vous permettra au passage d'augmenter leur durabilité. Il est alors possible, voire même recommandé, de renforcer ces armes à l'aide de matériaux récoltés durant les affrontements. Si le coeur vous en dit, ou si vous en éprouvez la nécessité, vous pourrez également détruire vos outils de mort pour en récupérer les composants. Autant dire que vous ne manquez pas d'options dans ce titre, qui recèle de nombreuses subtilités se laissant découvrir au fur et à mesure.
Enfin, on peut tirer un bilan plutôt positif pour ce qui touche à l'esthétique du jeu de Sting. En effet, le design des monstres et des différents personnages est très réussi et le charisme insufflé dans chacun d'eux est étonnant vu leur nombre. Les environnements en revanche se ressemblent beaucoup trop entre eux et manquent de détails qui pourraient les rendre plus vivants. Une critique qui se perd dans la légitimité de cette esthétique qui, on est forcé de l'admettre, va de pair avec l'ambiance glauque et sinistre du titre. L'ombre brumeuse enserre inlassablement votre écran et contribue à l'immersion dans ce monde torturé, que seules vos attaques les plus dévastatrices pourront illuminer l'espace d'un instant, grâce aux effets très réussis dont elles jouissent. Sans être un étalon technique, on peut dire que Knights in the Nightmare est un très beau jeu, bénéficiant en sus d'un cachet vraiment particulier que peu de RPG possèdent et qui doit également beaucoup à la bande-son. Soignée, cette dernière vient renforcer encore un peu plus le sentiment d'immersion qui immanquablement étreindra tout joueur se lançant dans l'aventure. Pour ne rien gâcher, la maniabilité 100% au stylet ne déçoit à aucun moment, notre feu follet se pliant sans rechigner à la moindre de nos nombreuses manoeuvres. Impossible donc de bouder son plaisir face à ce monument d'un autre genre, qui malgré de minimes défauts pourrait se voir décerner le prix de chef-d'oeuvre portatif.
- Graphismes16/20
L’univers est bâti sur un design vraiment très sombre, ce qui limite d’emblée les variations de tons et de couleurs. Malgré cela, on sent que le titre a bénéficié d’une réalisation soignée et d’une réelle recherche artistique. Les différents effets quant à eux rendent très bien, tout comme l’esthétique des personnages très nombreux.
- Jouabilité18/20
On approche de la plus pure perfection en matière de maniabilité sur l’écran tactile de la DS. Les menus sont ergonomiques et le contrôle de notre feu follet se fait le plus naturellement du monde. Seule la relative complexité de l’interface en cours de bataille pourra éventuellement représenter un obstacle à la lisibilité de l’action, mais elle tend à disparaître avec l’expérience acquise au cours des batailles.
- Durée de vie17/20
Le titre est relativement court pour un RPG : comptez une trentaine d’heures pour en venir à bout. En revanche, rarement aura-t-on pu constater un tel potentiel de rejouabilité dans un titre comme celui-ci. Un deuxième scénario est en effet débloqué une fois le jeu fini, et 9 fins différentes sont au programme. Ajoutez à cela la possibilité de faire du leveling à loisir et un challenge relevé dans les modes de difficulté supérieurs, et vous obtenez un soft sur lequel on passera volontiers encore quelques dizaines d’heures.
- Bande son17/20
Qu’il s’agisse des thèmes musicaux ou des bruitages, le résultat est très réussi et témoigne d’une maîtrise de la mise en scène certaine. Les musiques se font parfois trop discrètes mais demeurent d’une rare et macabre beauté, nous autorisant à nous perdre avec délectation dans les ténèbres de St Celestina.
- Scénario17/20
Trahison, amour et passion sont au rendez-vous, mais aucun ne tombe dans le piège du mélo trop facile et téléphoné. Quelques figures caractéristiques se retrouvent de temps à autre, bien sûr, mais la qualité de la narration est telle qu’on se verrait mal reprocher ce genre de chose à une histoire aussi solide et sollicitant avec autant de malice nos petits cerveaux.
Linéaire. Voilà bien le seul défaut que l’on peut soutirer à ce Knights in the Nightmare qui, aux antipodes du nanar vidéoludique, arrive à littéralement nous entraîner dans son monde plein de ténèbres tout en nous proposant un gameplay novateur et efficace auquel on peut rapidement devenir accro. Modèle de narration et de richesse en termes de contenu, il se place dans les plus hautes sphères du RPG tactique et se permet de regarder de haut son très lointain cousin, FFTA2, en toute légitimité.