On craignait de la voir disparaître après la dissolution d'Ensemble Studios, mais la série Age of Empires n'avait pas dit son dernier mot ! La voici de retour dans un volet exclusivement online, bien dans l'air du temps. Architecturé comme un webgame et doté d'un modèle économique free-to-play, Age of Empires Online surprend surtout par ses graphismes cartoons, là où la série a toujours prôné un certain sérieux historique. Encore une licence sacrifiée sur l'autel du grand public ?
Bien que le dernier opus commence à dater, la série Age of Empires conserve une place particulière dans le cœur de nombreux joueurs. C'est pourquoi, lorsque Ensemble Studios a fermé ses portes il y a trois ans de cela, de nombreux fans ont cru la licence morte et enterrée. Mais il n'en était rien. Tel un phénix qui renaît de ses cendres, ses géniteurs ont aussitôt fondé une nouvelle structure, Robot Entertainment, et mis en chantier un projet intitulé Spartan : un STR jouable exclusivement en ligne, enrichi de fonctionnalités typiques des MMO comme les capitales persistantes, le système de progression, les missions en coopération et l'artisanat. Renommé Age of Empires Online, le bébé a ensuite été confié à Gas Powered Games (Dungeon Siege, Supreme Commander), qui a mené le développement à son terme en profitant de son expérience en matière de STR mais aussi de hack'n slash (comme en témoignent les arbres d'évolution et le système de rareté des objets).
Age of Empires Online adopte un modèle économique free-to-play, ce qui implique la possibilité de télécharger librement le client et de jouer sans avoir à s'acquitter d'aucun abonnement mensuel. Le contenu gratuit étant particulièrement conséquent (nous y reviendrons), il est possible d'en rester là ; mais pour bénéficier de toutes les fonctionnalités du jeu, il faut acquérir au moins un pack de civilisation. Cela n'a rien de scandaleux : vendu une vingtaine d'euros, un pack offre une expérience complète qui ne nécessite plus aucun achat ultérieur. Du moins en théorie. Car la mauvaise surprise, c'est qu'Age of Empires Online n'intègre pour l'heure que deux civilisations. Sur les quatre prévues – grecque, égyptienne, celte et perse – seules les deux premières sont disponibles au lancement. Un joueur préférant opter pour les autres est donc condamné à patienter ou bien à commencer avec un choix par défaut, sachant qu'un pack ne débloque qu'une civilisation donnée et qu'il lui faudra donc remettre la main au portefeuille. On aurait préféré bénéficier d'un plus grand nombre de civilisations à la release (le premier Age of Empires en comptait tout de même 12 rien que sans son add-on, ce qui faisait d'ailleurs son attrait) ainsi que de la possibilité d'acquérir un pack d'upgrade universel permettant de toutes les déverrouiller – quitte à le payer un peu plus cher. Et au rayon des regrets, l'obligation de se farcir Games for Windows Live, dont l'ergonomie et la praticité se montrent toujours aussi douteuses (sans parler des dysfonctionnements), n'est pas non plus une panacée.
Pourtant, une fois le jeu lancé, on oublie vite ces quelques partis pris peu éclairés tant la magie opère immédiatement. Même les plus farouches partisans du style réaliste et du sérieux historique qui ont toujours prévalu dans la série (à l'exception bien sûr d'Age of Mythology) reconnaîtront que les graphismes cartoons de Age of Empires Online rendent le jeu très attrayant. Le rendu visuel est coloré, les décors et les animations sont extrêmement fins et les différentes unités sont caricaturées avec beaucoup d'à-propos. Robot Entertainment et Gas Powered Games ont assuré sur le plan de la réalisation, d'autant que leur bébé profite d'une interface élégante et pratique ainsi que d'un degré de finition inespéré pour un lancement (seul le pathfinding relativement perfectible mérite selon nous d'être revu). Qui plus est, le retour à l'époque antique permet de profiter de quelques thèmes musicaux retouchés issus du premier opus, empreints d'une certaine nostalgie, ainsi que de cette ambiance primitive que l'on appréciait tant dans l'épisode fondateur : contempler ses villageois cueillir des baies, bâtir des greniers ou fuir devant un loup ou un crocodile donne l'impression de vivre l'aube d'une civilisation. L'ensemble dégage une sensation de vie, de gaieté et de légèreté, même au plus fort d'un combat épique. Pourtant, contrairement à ce que pourrait laisser croire une approche superficielle du jeu (les premiers niveaux, qui font office de didacticiel, sont d'une facilité déconcertante), Age of Empires Online n'est pas un jeu "casual".
Certes, le gameplay est un vrai retour quinze ans en arrière, jusqu'aux bases du STR. Très proche de celui du premier Age of Empires, même si on y retrouve quelques fonctionnalités issues des opus suivants, il se fonde sur des ordres simples, des stratégies peu élaborées et une micro-gestion quasi-inexistante. Mais ce credo a toujours été plus ou moins celui de la série qui, dès 1997, avait préféré miser sur une approche grand public, très différente de celle de ses concurrents (on pense à Total Annihilation qui, pour la petite histoire, avait été créé par Chris Taylor peu de temps avant qu'il ne fonde Gas Powered Games, aujourd'hui co-responsable de Age of Empires Online !). Bref, la série ne s'est pas "casualisée", mais ses géniteurs, bien conscients que le plaisir de jeu n'est pas forcément proportionnel à la complexité croissante du gameplay, ont préféré la garder accessible, laissant à un Total War (par exemple) le soin de rassasier les fins tacticiens. Cela n'empêche pas le jeu de proposer des missions variées et intéressantes (défense, escorte, sauvetage, destruction...), pas dénuées d'une certaine difficulté à haut niveau, sachant qu'il est impossible de sauvegarder et que la plupart des cartes adoptent une configuration aléatoire, changeant à chaque fois que l'on relance la partie ! En outre, si le joueur moderne pourra reprocher au gameplay un certain manque de profondeur, ce dernier se voit largement compensé par le volet persistant, et notamment un système de progression qui représente l'aspect proprement stratégique de Age of Empires Online.
Chaque joueur possède en effet une capitale permanente aux couleurs de sa civilisation, qu'il rejoint directement dès qu'il se connecte. Elle fait à la fois office d'interface et de portail communautaire, permettant de consulter la carte du monde, d'accepter des missions, de contacter ses amis ou de lire les messages qu'ils nous ont envoyés. Mais il est aussi possible de la développer en y construisant des bâtiments ouvrant à des fonctionnalités supplémentaires. Le développement d'une capitale est intéressant car il soumet le joueur à des choix d'évolution irrévocables et déterminants, qui lui donnent l'occasion de personnaliser sa façon de jouer et qui ont des répercussions sur le gameplay. On commencera par évoquer les arbres technologiques. Au fur et à mesure qu'il accomplit des missions, acquiert de l'expérience et franchit des niveaux, le joueur gagne des points à dépenser dans trois arbres distincts (économique, militaire et utilitaire) afin de débloquer des unités et des bâtiments qu'il ne pourrait sans cela utiliser dans ses parties. Ainsi, pour pouvoir produire des tours de garde, des trirèmes ou même de simples archers, il faut les avoir préalablement déverrouillés dans les arbres concernés. Au demeurant, certaines missions ne sont accessibles que sous certains prérequis, ce qui confère au jeu un bon potentiel de rejouabilité. Ce système de progression permet aussi de passer les fameux "âges" une fois certains niveaux paliers atteints, et d'avoir alors accès à de nouveaux bâtiments, unités et upgrades potentiels.
Autre vecteur d'évolution : la possibilité de bénéficier des services de conseillers divers et variés, qui accordent des avantages en fonction de leur spécialité. Liés à un âge donné, ils prennent la forme de cartes pouvant être obtenues par plusieurs biais, dont l'échange. L'un des bâtiments constructibles, le pavillon d'étude, permet également de sélectionner deux disciplines parmi sept (archerie, cavalerie, infanterie, ingénierie, construction, artisanat et religion), qui ouvrent l'accès à des bonus ainsi qu'à des plans de craft spécifiques. Age of Empires Online propose en effet un système d'artisanat et d'équipement fortement inspiré des MMORPG. Au cours des missions, on tombe régulièrement sur des coffres plus ou moins bien gardés, dont il est conseillé de s'emparer. Ils renferment des objets de raretés variées, ou bien des matériaux d'artisanat servant à les fabriquer. Il est en effet possible de crafter soi-même les équipements et les consommables dont on possède le plan. Et en cas de rupture de matériaux, le joueur peut compter sur ses ateliers (fonderie, scierie...), qui produisent des matières premières même lorsqu'il est hors ligne. Une fois lootés, achetés, gagnés, produits ou échangés, les équipements sont attribués aux types d'unités et de bâtiments que l'on souhaite booster (forums, tours de garde, lanciers, bateaux de pêche... Tout est upgradable par le biais de plusieurs slots). Voilà l'occasion de se construire de véritables builds dont la viabilité fait souvent la différence en multi. On le répète : on est loin d'un petit jeu casual à la Facebook.
Age of Empires Online regorge donc de possibilités et de modes de jeu. Outre la présence de quêtes journalières répétables et d'un mode Elite accroissant la difficulté des missions parallèlement à la valeur des récompenses, il est plaisant de pouvoir se regrouper avec un autre joueur, que ce soit pour effectuer une mission en coopération ou pour visiter la capitale de son partenaire (l'occasion de récupérer d'autres missions ou de flâner dans ses magasins !). Le jeu propose bien entendu un mode PvP, à pratiquer en 1v1 ou en 2v2 sur des cartes aléatoires, classement mondial à l'appui. Toutefois, si le contenu free-to-play est digne d'intérêt, le joueur gratuit saura sagement s'en tenir à la partie PvE en raison du déséquilibre provoqué par les packs de civilisation. Il lui sera en effet difficile de rivaliser avec la somme d'avantages réservés aux comptes premium. Entre l'accès aux objets rares et épiques et aux technologies Star Tech, la production possible de puissantes unités spéciales liées à certains conseillers et l'opportunité de choisir ses adversaires en lançant une confrontation PvP à partir de l'arène (et on en passe), le joueur gratuit devra se montrer particulièrement talentueux pour espérer rivaliser avec son homologue payant. Mais c'est là le lot d'une majorité de free-to-play, et devant les nombreuses qualités de cet Age of Empires Online, on ne rechigne pas vraiment à mettre la main au porte-monnaie. Nous ne pouvons donc qu'inviter les amateurs du genre à essayer ce titre très réussi, sur lequel ils passeront sans doute de bons moments.
- Graphismes17/20
On aime ou on aime pas le style cartoon adopté, mais il est difficile de nier l'attrait de ces décors fins et colorés, peuplés d'unités caricaturées avec beaucoup d'à-propos et superbement animées ; d'autant que le jeu tourne correctement sur des configurations relativement modestes.
- Jouabilité17/20
La jouabilité simple et accessible d'Age of Empires Online favorise le plaisir de jeu. Le gameplay ne s'inscrit pas vraiment dans la modernité, mais les stratèges apprécieront comme il se doit le volet persistant, qui les soumettra à des choix d'évolution irrévocables et déterminants.
- Durée de vie16/20
Deux civilisations seulement au lancement, mais deux campagnes richement pourvues, soutenues par des possibilités de jeu en coopération et de PvP. Les joueurs gratuits bénéficient d'un contenu conséquent mais devront se limiter au PvE sous peine de souffrir d'inégalités face aux joueurs payants.
- Bande son17/20
Les vétérans auront grand plaisir à réentendre les quelques thèmes musicaux issus du tout premier opus et réorchestrés pour l'occasion. L'environnement musical est un des points forts du jeu et les bruitages, qui animent les parties et donnent vie aux capitales, ne sont pas en reste.
- Scénario/
Age of Empires Online n'a rien du petit jeu de stratégie casual que pourrait laisser craindre une approche superficielle. Doté d'une excellente réalisation et d'un contenu particulièrement conséquent, ce free-to-play de luxe mise sur une jouabilité simple et accessible qui revient aux sources de la série. Le volet persistant, qui soumet le joueur à des choix d'évolution déterminants, se charge d'enrichir l'ensemble stratégiquement parlant. On pourra lui reprocher, à juste titre, le faible nombre de civilisations disponibles au lancement, ou encore la difficulté pour les joueurs gratuits de rivaliser avec leurs homologues payants. Mais le jeu se révèle si prenant qu'on accepte d'autant plus facilement ces contraintes liées au modèle économique.