Dites-moi, chers lecteurs, avez-vous réussi à conserver cette fragile naïveté de votre enfance ? Est-ce que, pour vous, tout ce qui est joli est gentil ? Un monde où tout est coloré et mignon est-il synonyme de paix ? Les collines fleuries et les étendues neigeuses ne représentent-elles pour vous que de joyeux terrains de jeu ou de promenade ? Oui ? Alors vous n'avez jamais joué à Fantasy Zone... Laissez-moi vous expliquer.
Fantasy Zone est un shoot'em up créé par et pour Sega à la fin des années 80. Si certains concurrents ont pu entrer dans la légende du jeu vidéo – comme R-Type, par exemple – il faut avouer que Fantasy Zone n'a pas eu cette chance. Qu'à cela ne tienne ! Faisons-lui honneur tout de même, plus particulièrement à l'épisode paru sur Game Gear en 1991. Celui-ci nous laisse aux commandes d'un intrépide petit vaisseau du nom d'Opa-Opa, chargé de débarrasser la galaxie des envahisseurs. Certes, ce n'est pas par ce scénario prétexte que le jeu retient notre attention des heures durant mais il a d'autres arguments. De très bons, d'ailleurs.
Tout d'abord, Fantasy Zone se distingue des autres shoot'em up par quelques points dont le plus particulier est sans doute que les stages n'ont ni début ni fin. Il faut les considérer comme une sorte de boucle que vous avez la possibilité de parcourir dans un sens ou dans l'autre. Vous voulez ab-so-lu-ment détruire un ennemi qui vient de vous échapper ? Vous n'avez qu'à faire demi-tour. Si vous ne vous amuserez certainement jamais à ça pour les ennemis ordinaires, cela s'avèrera bien vite nécessaire pour détruire les ennemis spéciaux. Ces derniers sont la clé de chaque niveau. Il s'agit en fait de monstres bien plus imposants que les autres (et, paradoxalement, plus inoffensifs) qu'il vous faut tous exterminer sans aucun remord. Une fois cette sinistre besogne effectuée, un boss apparaît du fin fond des limbes tortueuses de l'enfer afin de venger ses petits camarades (avouez que vous l'avez un peu cherché). Pour vous aider à vaincre les boss – et c'est là une autre particularité de Fantasy Zone – vous pouvez faire un passage par le magasin qui apparaît au début de chaque stage. En effet, les ennemis vaincus abandonnent régulièrement des pièces qui, dûment économisées, pourront servir à acheter les incontournables améliorations d'équipement comme les missiles à tête chercheuse, les doubles bombes ou le bouclier, par exemple. La cerise sur le gâteau, c'est que le joueur peut à tout moment passer par un menu pour changer librement son arsenal et choisir une arme parmi ses acquisitions, ce qui lui offre une dimension stratégique non négligeable selon les ennemis à combattre ou sa façon de jouer (on peut ainsi garder son unique bombe surpuissante pour un boss ou pour un moment où les ennemis sont légion, par exemple).
« Mais pourquoi aurais-je besoin d'un tel attirail dans un monde aussi kawaii ? » me demanderez-vous après avoir jeté un œil sur les images du jeu. Car oui, si on reprend la comparaison amorcée ci-dessus, quand R-type propose un design sombre et high-tech, Fantasy Zone nous plonge dans un monde hyper coloré et mignon au possible. Les ennemis eux-mêmes ressemblent plus à des petits smileys rigolos qu'à des horreurs sur pattes ou des vaisseaux de guerre. La musique contribue elle aussi à la sensation de parcourir un univers gentil et inoffensif, en mettant l'accent sur des petites mélodies entraînantes dont certaines vous resteront en tête longtemps. Et pourtant... Vous qui me posiez cette question en début de paragraphe, sachez qu'aucune arme ne peut vous garantir la victoire dans Fantasy Zone.
Pourquoi ? Parce que le jeu est difficile. Vraiment. Bien vite, les jolies couleurs s'écaillent et cèdent la place au cauchemar. Pas visuellement, non, mais nerveusement parlant. En réalité, la difficulté du titre est bien gérée vu que le premier niveau est simple, le second très abordable, et que ce n'est qu'au troisième que ça devient plus corsé. A partir de là, toutefois, les ennemis deviennent de plus en plus nombreux à l'écran et gagnent en rapidité. Voilà d'ailleurs une des grosses fourberies du jeu : il n'y a aucune limite de temps pour finir un niveau et vous pouvez même vous poser au sol pour reprendre votre souffle... mais plus vous traînez, plus les ennemis sont rapides et agressifs. Bien entendu, ne les comparons pas aux boss. Ceux-ci, pour la plupart, sont des calamités vivantes et, vers la fin, on en arrive même à se demander s'ils sont immunisés contre les tirs standards de notre Opa-Opa tant ils sont résistants. Bien souvent, vous ne devez votre survie qu'à votre capacité à glisser entre deux obstacles. Ce qui achève définitivement le joueur, c'est que la mort entraîne la perte irrévocable de tout l'équipement et des économies accumulées. En d'autres termes, si cela vous arrive à partir du troisième niveau environ, c'en est fini pour vous car il est presque impossible de survivre longtemps sans bouclier ou tir quelque peu renforcé. D'autant plus qu'il y a un petit souci très frustrant dans Fantasy Zone : vous mourez avant d'être touché. Par pur sadisme, le jeu vous fait même un arrêt sur image d'une seconde ou deux pour bien vous le montrer. Un projectile qui passe à un pixel de votre vaisseau est un projectile mortel, même s'il ne vous touche pas. Bug ou cruauté ? Au final, le jeu ne comporte peut-être que six niveaux mais sa durée de vie est grande si vous désirez à tout prix battre le boss ultime. Avant lequel vous devrez vaincre une deuxième fois tous les boss précédents. Je ne vous l'avais pas dit, ça ?
Malgré tout, Fantasy Zone reste accrocheur. Il y a sa musique toujours joyeuse (sauf contre les boss où elle vire au dramatique), ses belles couleurs, son monde enchanteur. Il y a aussi un agréable sens du détail qui fait le charme du titre, notamment sur le plan graphique. Il est très plaisant de voir que l'apparence du vaisseau s'adapte au moteur que l'on équipe, par exemple. C'est également amusant de voir que quand le vaisseau se déplace au sol, le bouclier roule autour de notre Opa-Opa. Les arrière-plans, quant à eux, sont travaillés et animés. Tout n'est pas parfait, bien sûr. Le désagrément visuel le plus fréquent est de voir les ennemis scintiller quand ils sont trop nombreux ou qu'ils se superposent. On mentionnera aussi un bestiaire assez peu inspiré en guise d'ennemi (« Mayday! Je suis attaqué par... euh... une pince de dentiste rouge et jaune ? »). Mais bon ! Ne faisons pas la fine bouche. Pour tous ceux qui possèdent encore une Game Gear (ou un émulateur), Fantasy Zone est un bon shoot'em up, nerveux, exigeant et possédant une identité propre.
- Graphismes15/20
Les couleurs sont très séduisantes pour qui cherche un shoot'em up au design un peu plus frais que les traditionnelles invasions de monstres tentaculaires ou de super-robots high tech. L'animation apporte également beaucoup au titre grâce à quelques détails qui montrent un investissement des développeurs. Un bémol toutefois pour les petits bugs de scintillement et pour les ennemis à l'apparence pas forcément très inspirée.
- Jouabilité16/20
Opa-Opa réagit bien aux commandes mais attention toutefois au moteur le plus puissant car il rend le vaisseau tellement rapide qu’il devient difficile à contrôler. Rien ne vous force à employer cet équipement, cela dit. Le choix entre les bonus spéciaux « bouclier » ou « auto-shoot » est plus gênant, par contre, puisqu'il vous oblige à marteler le bouton de tir.
- Durée de vie13/20
On aurait aimé voir quelques niveaux en plus car, objectivement, il faut avouer que six est un total un peu faible. Ce qui n'empêche pas que vous mettrez des heures et des heures pour finir le jeu tant il est difficile. Tout dépend donc de votre acharnement. Et du nombre de calmants que vous avez sous la main.
- Bande son15/20
Une musique tout droit sortie du monde des Bisounours. C'est mignon et joyeux comme tout, donc particulièrement adapté au jeu. Pourtant, LA musique qui vous restera en tête, c'est celle des boss. Par contraste, elle est presque épique et angoissante. Bref, ne jouez pas à Fantasy Zone sans le son, vous perdriez un de ses points forts.
- Scénario/
Opa-Opa doit sauver la Fantasy Zone de l'envahisseur. Voilà, c'est dit.
Seuls les joueurs qui éprouvent une certaine nostalgie pour les vieux titres seront à même de se laisser entraîner par Fantasy Zone. Néanmoins, pour ceux-là, il s'agit de découvrir un shoot'em up qui ne paye pas de mine mais qui s'avère très joli, très difficile et surtout doté de sa propre identité. C'est particulièrement agréable d'acheter plusieurs armes différentes pour essayer une nouvelle stratégie contre un boss qui vient de vous massacrer à l'essai précédent. Tout ça dans la joie et la bonne humeur ambiante. On se retrouve donc avec un jeu vraiment fun, doté du « petit truc en plus » qui le rend séduisant et qui justifie qu'on aime aller au casse-pipe pendant des heures. Et puis bon, on peut le dire maintenant que le test est fini : il existe un code pour être invincible. Parce que se venger de tant d'heures de souffrance, ça aussi c'est fun !