Le jeu du « et si... » est souvent gage d'hilarité générale et d'inventivité audacieuse, et peut remettre en cause notre vision du monde, voire de l'histoire. Cependant, loin des plaisanteries infantiles, feu Westwood Studio s'est posé une question plutôt sérieuse : et si la seconde guerre mondiale n'avait pas eu lieu ? La réponse n'est pas drôle pour un sou.
1946. Albert Einstein travaille à son ultime chef-d'œuvre : la Chronosphère, machine capable de faire voyager les humains dans le temps. Son premier essai l'envoie directement en Allemagne, en 1924, où il rencontre Adolf Hitler tout juste sorti de prison. Une poignée de main expédie celui-ci dans une autre dimension. L'Allemagne nazie n'a donc jamais vu le jour et l'U.R.S.S. de Staline a tout le loisir de s'étendre jusqu'à devenir aussi puissante que les Etats-Unis. Tous les ingrédients sont rassemblés pour enflammer le monde d'une guerre froide alternative...
Et c'est bien ce qui se produit. Le savant spin-off de Westwood nous place aux commandes des armées alliées dans leur lutte contre le rouleau compresseur rouge ou soviétiques dans la conquête irrévocable du continent Européen. Au menu, batailles sanglantes, infiltration et massacres d'innocents... Le jeu de stratégie Alerte Rouge est particulièrement bon en la matière, puisque chaque mission est sensiblement différente des autres. Que ce soit pour sauver le commando Tanya de la torture ou prendre possession d'une île riche en minerai, le jeu se renouvelle sans cesse, ce qui donne au mode solo une profondeur incroyable. Forte d'une quarantaine de missions et d'une IA brutale, la campagne se montre souvent exigeante et par conséquent très prenante.
Au fait, comment se joue-t-il, cet Alerte Rouge ? Pas très différemment de son grand frère Command & Conquer, ce qui est en soi un choix parfaitement compréhensible. À partir du VCM, l'établissement d'une base, alimentée par des centrales électriques, permettra l'entraînement de soldats et la construction de blindés en tous genres. Selon le camp choisi, seront disponibles les terribles MIG soviétiques, ou les croiseurs alliés à la précision dangereuse. Le collecteur de minerai se chargera de remplir les caisses. La minicarte n'étant pas disponible immédiatement, il faudra construire un radar pour percer le brouillard de guerre, d'autant plus que terre, mer et ciel seront à scruter méticuleusement. Le tout est accessible via la célèbre barre de commandes défilante à droite... Pas de grande originalité, donc, pour l'instant.
Pour remporter la victoire, il faudra néanmoins passer par des techniques plus pointues que de spammer des chars et de l'infanterie. Pourquoi ne pas faire appel à la Chronosphère pour téléporter des unités supplémentaires en plein conflit, ou les rendre invulnérables avec le Rideau de Fer ? Et si la base de l'adversaire s'effondre, autant en profiter pour prendre possession des structures grâce à des ingénieurs compétents : de nouvelles technologies sont toujours les bienvenues. Il faudra également faire attention au tir ami, dévastateur... Voilà quelques exemples de subtilités qui peuvent faire pencher la balance en votre faveur. Alerte Rouge regorgeant de petits détails de ce type, il convient d'être toujours aux aguets pour débusquer la stratégie de l'ennemi. Ainsi dynamisée, l'action n'en devient que plus alléchante, démarquant du même coup le titre de ses rivaux –Warcraft II en particulier–, restés sur des affrontements plus communs entre deux factions quasiment identiques.
Si, globalement, il n'y a absolument rien à redire à la jouabilité d'Alerte Rouge, on peut sans doute jaser au niveau de sa réalisation, qui reprend des pans entiers des graphismes de Command & Conquer sans rien modifier. Ce n'est pas vraiment un problème étant donné la qualité de ce que proposait ce dernier, mais on aurait quand même pu s'attendre à une vraie mise à jour de ce point de vue-là. On observe donc toujours les mêmes chars et les mêmes soldats se déplacer sur les mêmes plaines entre les mêmes falaises, avec en prime les sprites des nouveaux venus. Heureusement, ce manque d'originalité est compensé d'une part par une bande-son au top, composée par Franck Keplacki –toujours grandiose, of course– et d'autre part des cinématiques filmées qui viennent comme toujours rythmer la campagne. Constat en demi-teinte, donc, pour le visage d'Alerte Rouge, à la fois décevant et éternel.
Mais nul ne saurait conclure sans mentionner la partie multijoueur du soft. Jouable sur Internet ou en LAN, elle est tout bonnement hallucinante en proposant une quantité phénoménale de cartes, encore enrichie par les extensions. Les factions « Alliés » et « Soviets » y gagnent encore en intérêt puisque de nombreuses unités uniquement disponibles dans ce mode s'ajoutent à l'arsenal, tel le générateur d'ombre ou l'hélicoptère Chinook ; de plus, chacun des pays que l'on peut diriger est doté de capacités qui lui sont propres, rendant le jeu toujours plus dynamique. Imbriqué dans cette logique avant-gardiste, il n'est alors pas étonnant qu'Alerte Rouge soit plébiscité par une pléiade de joueurs. Au fil de ses épisodes, la franchise connaîtra d'autres succès, et parviendra sans mal à nous projeter dans un univers parallèle avec en toile de fond un sujet aussi grave et dramatique qu'une guerre particulièrement meurtrière.
- Graphismes14/20
Alerte Rouge n'invente rien, ce qui peut être rageant vu le potentiel de Westwood, mais reste quand même très agréable à l'œil. Mention spéciale aux animations de construction, toujours plus tordues et amusantes.
- Jouabilité17/20
Reprenant l'ensemble de ce qu'avait déjà réussi Command & Conquer, et y ajoutant son grain de sel, Alerte Rouge est incroyablement plaisant à jouer. Son emblématique interface revue et corrigée pourrait être encore parfaite, comme le prouvera Alerte Rouge 2, mais en attendant, il n'y a rien à railler.
- Durée de vie17/20
La campagne vous tiendra en haleine pendant quinze heures, voire plus si vous tentez de terminer chacune des missions proposées, et le multijoueur vous comblera à jamais. Jouer sur Internet risque cependant d'être légèrement plus compliqué qu'à l'époque, mais les parties en LAN sont toujours au niveau.
- Bande son17/20
Quand Franck Keplacki s'y met, forcément, on ne peut qu’être béat d'admiration... Alerte Rouge a définitivement marqué toute une génération de joueurs, avec des thèmes électriques et mécaniques. Un vrai miracle, surtout quand on sait que « Hell March » était à l'origine destiné à une extension du Command & Conquer original ! Les bruitages et la version française sont quant à eux d'excellente facture.
- Scénario16/20
Et si, et si... Westwood cuisine la guerre froide à sa manière, en faisant revenir les évènements logiques avec une sympathique dose de science-fiction. La campagne s'achève, selon le camp choisi, sur deux scénarios –évidemment opposés– conduisant directement à l'ouverture de l'opus suivant, où... mais j'en dis déjà trop.
Un laboratoire : voilà la vraie nature d’Alerte Rouge. Innovant mais pas désarmant, à la fois classique et subtil... Westwood prouve que tout restait à inventer dans le domaine des STR. Le studio propose sa vision des choses, et remporte haut la main une fière victoire à jalouser. Alerte Rouge est un jeu dans lequel il est toujours bon de se replonger... pour peu qu'il fonctionne sur votre bécane surpuissante.