Carrier… voilà un mot que les fans les plus irréductibles de la Dreamcast n'ont toujours pas chassé de leur esprit. Et pour cause, le magazine officiel Sega de l'époque ne tarissait pas d'éloges sur ce survival-horror japonais qui devait débarquer sur notre vieux continent. Finalement, le jeu est bel et bien sorti en Europe…mais pour une raison encore obscure, seulement dans les boutiques du Royaume-Uni. Pour les acharnés qui sont parvenus à se le procurer, l'incompréhension a fait place à la consternation : il avait bien été traduit en français, espagnol et allemand ! Dans le monde du jeu vidéo, certaines décisions des éditeurs échappent à tout raisonnement logique. C'est dans le cas présent vraiment regrettable car beaucoup de joueurs sont passés à côté d'un titre de bonne facture.
L'action se déroule en 2023 dans un monde en pleine décadence qui risquerait bien de devenir le nôtre si les tensions géopolitiques actuelles étaient amenées à s'accentuer. Dans le courant de l'année 2012, l'épuisement des ressources naturelles, la crise alimentaire et les catastrophes écologiques ont eu pour conséquence de diviser le monde en deux camps bien distincts. Il y a les États du Nord, pays économiquement viables qui gardent toutes les richesses pour eux sans se soucier des États du Sud, terres de désolation sans avenir où la population dépérit lentement. N'ayant plus personne vers qui se tourner, les pays pauvres ont créé la Croix Du Sud : une organisation terroriste obligée de répandre le chaos pour se faire entendre du reste du monde. En réaction, le Nord s'est solidarisé pour donner naissance à l'ATN (Alliance du Traité de l'Hémisphère Nord) et ainsi enrayer plus efficacement le terrorisme. Fleuron de la technologie moderne, le Heimdal a vu le jour. Il s'agit d'un porte-avions furtif, inattaquable par voie aérienne et doté d'un armement surpuissant. Sa première mission en Afrique du Nord s'est avérée être une grande réussite, mais alors que le bâtiment rentrait paisiblement vers sa base aux États-Unis, le contact radio a soudain été perdu, plongeant le Nord dans une inquiétude totale. Alors que le navire continue son silencieux retour, deux équipes d'investigation sont envoyées à sa rencontre...
Vous êtes Jack Ingles, membre de la deuxième équipe. Sa présence n'est pas anodine puisque son grand frère est membre de l'équipage du porte-avions et il espère bien retrouver sa trace. Votre hélicoptère s'apprête à atterrir quand le système d'autodéfense du navire devient soudainement incontrôlable. L'hélicoptère est sévèrement touché et le pilote n'a d'autre choix que de tenter un atterrissage en catastrophe. A peine le temps de reprendre vos esprits et vous remarquez avec effroi que votre coéquipière a disparu. Mais le pire reste à venir : la plupart des matelots ont été infectés par un mystérieux virus. C'est comme s'ils étaient contrôlés par une entité supérieure qui les rendait terriblement belliqueux et vindicatifs. De plus, des salles entières semblent être envahies par une végétation luxuriante. Mais que s'est-il passé ? Ca va être à vous de le découvrir.
Le système de jeu fait immédiatement penser à Resident Evil : Code Veronica. Comme dans ce dernier, vous évoluez dans des décors entièrement en trois dimensions où la caméra sera tantôt fixe et tantôt mobile. Les mécanismes de progression sont dans l'ensemble également identiques. Ainsi, le joueur arpente les innombrables couloirs qui composent les six ponts du navire à la recherche de clefs ou de mots de passe pour pouvoir continuer à progresser. Il résout aussi quelques énigmes jamais bien compliquées et trouve des armes de plus en plus perfectionnées et dévastatrices afin de se débarrasser des différentes créatures qui hantent les lieux. De plus, vous découvrirez au fil de l'aventure des mémos et autres rapports qui vous permettront petit à petit de faire la lumière sur ce qui s'est passé. Ne craignez pas de souffrir d'un manque de contact humain car de nombreux membres de la première équipe d'investigation exploreront le navire en même temps que vous. Vous les croiserez très régulièrement et, même si les dialogues sont assez monotones et convenus, ce sera une bonne façon de faire avancer le scénario et même d'introduire quelques rebondissements pas trop mal sentis. De plus, des dizaines de moussaillons sont toujours en vie et ce sera à vous d'aller les sauver un par un.
Côté gameplay, les concepteurs se sont une nouvelle fois inspirés de la plupart des survival-horror, et ce, pour le meilleur et pour le pire. Lors des déplacements, le personnage sera extrêmement rigide et ira jusqu'à faire du surplace quand il rencontre un mur. Si l'on veut changer de direction, il faut s'arrêter et commencer à tourner sur soi-même ou encore exécuter un tour à 180° grâce à une combinaison de touches. Une fois l'arme dégainée, impossible de se déplacer, le joueur pouvant au mieux orienter son arme vers le haut ou le bas pour toucher des ennemis qui rampent ou qui s'accrochent au plafond. Comme tout fan de survival-horror qui se respecte le sait, l'angle de la caméra est d'importance capitale et contribue largement à l'immersion. Il n'est par exemple pas rare d'entrer dans une pièce, de deviner une présence hostile grâce à des gémissements et autres bruitages inquiétants, mais de ne pas connaître la position de l'ennemi car celui-ci est situé hors du champ de vision de la caméra. Vous commencez alors à angoisser. Que faire ? Devez-vous avancer jusqu'au changement de prise de vue ? Oui, mais imaginez un instant que vous tombiez nez à nez avec un monstre et que vous n'ayez pas le temps de riposter ! Ou au contraire, devez-vous attendre ? Dans ce cas, vous risquez bien de vous faire encercler et de finir en casse-croûte.
Comme dans Resident Evil (oui encore), les concepteurs ont mis au point une petite astuce pour deviner (à défaut de voir véritablement) où se trouvent les adversaires. Si vous dégainez votre arme et qu'un ennemi se trouve à proximité, le héros va se tourner automatiquement dans sa direction et vous serez au moins assuré de ne pas tirer dans le vide. Enfin, il faut tout de même préciser que les munitions (tout comme les trousses de soin) pullulent un peu partout. Pas question donc de compter vos munitions et de les utiliser avec une parcimonie maladive comme c'est souvent le cas dans les jeux du genre, une caractéristique contribuant pourtant à cette sensation de malaise et d'angoisse qui nous fait tant frissonner de plaisir. Le jeu est donc volontairement simple, et, pour accentuer encore un peu le phénomène, une arme aux munitions illimitées est mise dès le départ à votre disposition. Bon c'est vrai, sa portée de tir et sa puissance ne sont pas mirobolantes, mais dans la plupart des cas, elle sera amplement suffisante.
Pour terminer, citons une petite idée sympathique sur le papier mais qui tournera bien vite en eau de boudin : le scope. Il s'agit là d'une espèce de casque permettant d'une part de passer en vue à la première personne, d'autre part d'analyser les personnages pour voir s'ils ont été contaminés par le virus et, finalement de regarder à travers certains obstacles. Honnêtement, ces deux dernières particularités du scope ne seront, et c'est bien dommage, pas énormément exploitées à travers le jeu. Dans 90 % des cas, vous l'utiliserez simplement la vue à la première personne pour voir si des ennemis se trouvent dans la même pièce que vous. Autant dire que le côté horreur en prend un fameux coup et qu'aucune situation ne pourra donc plus vous effrayer. Au final, même s'il ne va pas révolutionner le genre et malgré quelques choix douteux de la part de ses concepteurs, Carrier s'avère être un vrai survival-horror à l'ancienne de bonne qualité qui ravira tous les amateurs du genre. A bon entendeur !
- Graphismes16/20
S'il y a un domaine dans lequel la Dreamcast n'a pas l'habitude de décevoir, c'est bien celui des graphismes. Et croyez-nous, ce n'est pas Carrier qui va faire exception. Les effets de lumière sont réussis, les visages sont terriblement expressifs et les décors ne deviennent jamais répétitifs puisque le jeu se passe tantôt dans les couloirs aseptisés d'un bateau, tantôt dans une véritable jungle. Pour couronner le tout, il n'y a pas un grain d'aliasing et les chargements sont rapides. Du bon boulot !
- Jouabilité14/20
Du survival-horror tout ce qu'il y a de plus classique, ni plus ni moins. Les habitués du genre ne seront donc pas dépaysés tandis que les autres devront s'habituer à une jouabilité rigide et à des caméras volontairement capricieuses qui contribuent au sentiment de peur qui s'empare du joueur. Sentiment qui s'estompera malheureusement vite à cause de la possibilité de passer en vue à la première personne et de supprimer tout effet de surprise potentiel. De plus, certains bugs de collision, à défaut d'être nombreux, sont vraiment agaçants et ce tout particulièrement lors des affrontements brouillons contre certains boss. Signalons finalement qu'un raccourci permet de changer d'arme sans mettre le jeu en pause… ça a l'air tout bête mais qu'est-ce que ça peut faire plaisir !
- Durée de vie15/20
Il faudra compter environ huit heures pour terminer l'aventure principale. Le challenge n'est pas très corsé puisque les munitions et les items de soin sont très nombreux, ne laissant d'autre choix aux ennemis que de trembler sur votre passage. Comme dans tous les jeux du genre, la durée de vie est artificiellement gonflée par un certain nombre d'allers-retours obligatoires. D'un autre côté, vous serez rarement bloqué puisqu'il vous suffira à chaque fois de jeter un rapide coup d'œil sur la carte pour voir quelles zones n'ont pas encore été explorées. Une fois le scénario principal terminé, on pourra se lancer dans une aventure parallèle (beaucoup plus courte) mettant en scène un autre membre de l'équipe d'investigation. C'est un joli cadeau pour ceux qui ne voudraient pas lâcher la manette et continuer à jouer.
- Bande son13/20
Les musiques sont volontairement discrètes et ne se font véritablement remarquer que lors des évènements importants. Le but est évidemment de plonger le joueur dans une ambiance malsaine et pesante. En ce qui concerne les bruitages, le constat est un peu plus mitigé : certains sont, comme on pouvait si attendre, glauques à souhait tandis que d'autres se révèlent assez étonnamment de mauvais goût, ce qui vous empêchera d'adhérer totalement à l'univers du jeu. Les dialogues sont tous parlés en anglais mais les doubleurs souffrent d'un manque flagrant de dynamisme. Si même eux n'y croient pas, il ne faut pas espérer que le joueur soit happé par l'intrigue du jeu.
- Scénario13/20
Comme pour les autres attributs du titre, le scénario est plutôt classique et ne fait que s'inspirer de Resident Evil. Vous débarquez sur un bateau avec lequel tout contact a été perdu et vous commencez votre investigation. Bien vite, vous vous rendez compte qu'un virus a infecté une grande partie de l'équipage et que certains couloirs se sont transformés en une véritable jungle. Les dialogues sont légion mais pas vraiment passionnants, le héros étant plutôt lent à la détente et ayant même tendance à radoter.
Carrier est un survival-horror sans grande prétention et bien sympathique. Il ne va cependant pas faire avancer le Schmilblick puisqu'il emprunte la quasi-totalité de ses mécanismes au ténor du genre, un certain Resident Evil. Si la réalisation graphique est franchement respectable, des petites lourdeurs viennent entacher le tableau. Le gameplay commence par exemple à se faire vieux et on tombe même sur quelques bugs de collision impardonnables. Le titre possède tout de même un petit « je-ne-sais-quoi » de plaisant qui n'est pas sans rappeler Blue Stinger sorti sur la même machine. Carrier reste un bon jeu mais il ressemble beaucoup trop aux autres survival-horror sur le marché et s'aventure sur un terrain que l'on connaît par cœur. Un peu d'audace, que diable !