Fin 2009, Dragon Age : Origins est venu enchanter les amateurs de fresques épiques et de combats tactiques. Son succès a entraîné une série de DLC tous plus insignifiants les uns que les autres, ainsi qu'une extension, Awakening, solide mais pas inoubliable. Tous ces contenus additionnels ont vu le jour en 2010, si bien qu'on se demande où Bioware a trouvé le temps de développer ce Dragon Age II.
Dragon Age II aura suscité la méfiance des fans dès son annonce officielle au cours de l'été dernier. Les trailers et les informations diffusés laissaient augurer un jeu de rôle tourné vers l'action et amputé d'un bon nombre des fonctionnalités qui avaient fait le succès du précédent volet, à commencer par le système des origines et l'aspect tactique des combats. La durée réduite de son développement (une grosse année) est venue renforcer ces craintes. Pourtant, on ne voulait pas trop y croire : De Baldur's Gate à Mass Effect en passant par Neverwinter Nights et Knights of the Old Republic, le parcours de Bioware est jalonné de titres d'une qualité indiscutable. Du coup, s'il était probable que l'orientation donnée à cette suite ne plaise pas à tout le monde, on s'attendait à être une fois de plus bluffé par le travail du studio canadien. Voilà pourquoi on tombe de haut : le problème de Dragon Age II n'est pas un problème de parti pris, c'est juste un problème de qualité.
L'histoire nous est narrée sous forme de flash-back, à l'occasion d'une discussion plutôt houleuse entre Varric Tethras, un nain baroudeur et goguenard, et Cassandra Pentaghast, une Chercheuse de la Chantrie. Cette dernière aimerait bien mesurer l'implication d'un des compagnons de Varric – un certain Hawke – dans les événements qui ont conduit à l'instabilité politique de Thedas. Ce Hawke n'est autre que votre personnage, dont vous ne pouvez déroger au background. On le retrouve fuyant Lothering, sa ville natale, mise à feu et à sang lors de l'assaut des Engeances que vous avez pu vivre dans Dragon Age : Origins. Hawke, qui peut être de sexe masculin ou féminin, est accompagné de sa mère Leandra, de son frère Carver et de sa sœur Bethany. Afin d'équilibrer votre petit groupe, une première conséquence va rapidement découler de votre choix initial : si Hawke est un voleur ou un guerrier, son frère mourra au cours du prologue, terrassé par un ogre (oui, encore...) ; mais s'il est mage, c'est sa sœur qui y passera. La création de votre avatar se limite hélas à ce choix de classe et à la détermination de son apparence physique ; il ne faut pas effrayer le néophyte avec des éléments de jeu de rôle ! De fait, là où le premier volet prenait le temps de poser le contexte au travers des différents prologues, cette suite vous plonge d'emblée dans l'action, histoire de bien afficher sa nouvelle orientation tout en vous apprenant à jouer. Prenez tout de même le temps d'importer votre sauvegarde finale de Dragon Age : Origins si vous voulez retrouver le monde dans l'état où vous l'aviez laissé ; les répercussions sont anecdotiques, mais elles ont le mérite d'exister.
Ce n'est toutefois pas dans le royaume de Ferelden que se déroule l'histoire, mais plus au nord, dans l'ancienne ville minière de Kirkwall, au passé esclavagiste. On y retrouve notre petite famille un an plus tard, tentant comme d'autres réfugiés féreldiens de se faire une place dans la cité. L'intrigue est découpée en trois actes. Dans le premier, Hawke essaie d'amasser suffisamment d'argent pour partir en expédition dans les Tréfonds avec Varric et son frère Bartrand, promesse de richesses inespérées. Vous bénéficiez pour cela de nombreuses quêtes secondaires, qui sont l'occasion de rencontrer vos premiers compagnons : un mage apostat possédé par un démon, une dalatienne exclue qui ira rejoindre le bas-cloître elfe local, un esclave en fuite... On est en terrain connu. Le background de Dragon Age II est toujours aussi noir, mais on n'aurait pas été contre un peu de renouvellement dans les thématiques abordées. Les recrues possibles sont au nombre de sept (exception faite des DLC). Si on apprécie que le rôle et le comportement de certains d'entre eux évoluent au fil du temps (on pense notamment aux responsabilités d'Aveline), ils manquent globalement de personnalité. Il est regrettable de constater qu'Anders, issu de Awakening, est désormais dépourvu de son orgueil et de son arrogance coutumières (même si ce changement est expliqué), ou encore que la plantureuse Isabela, vue quant à elle dans Origins, se révèle moins sulfureuse que prévu. Dragon Age II est également l'occasion de croiser d'autres vieilles connaissances (Flemeth, Leliana...), même si tous ceux qui espéraient connaître le destin de Morrigan risquent d'être passablement déçus.
De manière générale, cette suite manque cruellement du souffle épique qui portait le premier volet. Les enjeux, a priori intimistes, vont certes croissant au fur et à mesure de la progression, mais la trame principale, qui souffre d'une mise en scène relativement sobre, a du mal à décoller et se révèle au final assez ennuyeuse à suivre. La localisation française n'est pas étrangère à ce ressenti. Le problème tient en partie aux doublages, bien trop plats, mais surtout aux traductions textuelles truffées d'approximations, là où le volet précédent était au-delà de tout reproche. On trouve parfois des répliques consécutives sans aucun lien logique, au point qu'on a du mal à comprendre certaines quêtes. Le souci, c'est que cet écueil affecte ce qui devait compter parmi les points forts du jeu : le système de dialogues, emprunté à Mass Effect 2. Il vous propose systématiquement plusieurs choix de réponses, calquées chacune sur une attitude donnée (amicale, hostile, ironique ou cupide). Mais le bref descriptif des répliques possibles n'est pas assez éclairant ; les choix ne sont pas bien délimités. C'est d'autant plus grave que si elles ne donnent jamais lieu à un jet de réussite comme dans un Drakensang ou un Fallout New Vegas, les options de comportement ont parfois de grosses répercussions, ne serait-ce que sur l'appréciation de vos propres compagnons. Ces derniers ne réagissent pas toujours verbalement à vos actes, mais on vous indique au moins l'évolution de leur jauge d'approbation, sachant que rentrer en romance ou en conflit avec l'un d'eux a toujours autant de conséquences, dont la possibilité de débloquer des talents spécifiques (et ça, c'est nouveau !).
La résolution des quêtes est un autre motif de déception. Quelle que soit la nature de votre mission, vous pouvez être sûr qu'elle se soldera par une succession de combats tant il est extrêmement rare de se sortir de situation de façon subtile. Peu de persuasion, peu de réflexion, mais beaucoup de baston : tel est le credo de Dragon Age II. La plupart des quêtes se déroulent dans les différents quartiers de Kirkwall, ce qui ne va pas sans poser problème. En effet, elles impliquent pas mal de PNJ et ont souvent des suites, ce qui serait tout à fait appréciable si le livre de quêtes n'était pas réduit à sa plus simple expression : on se retrouve parfois à se demander à qui on parle et ce qu'on fait là, faute de se rappeler de l'enjeu de la mission. D'autres vous entraînent à l'extérieur des murs de la ville et ce n'est guère plus concluant. Vous évoluez alors dans des zones-couloirs très génériques où le but est d'éliminer toute opposition pour parvenir jusqu'à votre objectif. Déjà en retrait dans le premier volet, l'exploration est ici totalement laissée pour compte. Si l'on osait quantifier les composantes du gameplay, on pourrait dire que Dragon Age II, c'est approximativement 80 % de combats, 15 % de dialogues et 5% d'exploration. Les missions qui consistent à rapporter à leur propriétaire des reliques trouvées çà et là n'ont pas le moindre intérêt et les quêtes liées à vos compagnons sont assez inégales, certaines se résumant à mener un simple dialogue. Qui plus est, les quelques traits d'humour irrévérencieux qui caractérisaient Dragon Age : Origins ont ici disparu. Même la visite d'une maison close se révèle d'un ennui mortel.
De toute évidence, l'immersion ne faisait pas partie des priorités. Là où le premier volet vous permettait de voyager sur une carte du monde, avec rencontres aléatoires à la clé pour créer du liant entre les différentes zones de jeu, cette suite va à l'essentiel en ne vous proposant qu'un simple menu sur lequel s'affichent les destinations possibles (marqueurs de quête à l'appui). Et au lieu de doter son jeu d'un véritable cycle jour/nuit (une demande de fans), Bioware a préféré vous laisser déclencher vous-même le moment de la journée désiré. L'ensemble manque singulièrement d'homogénéité : on a l'impression de naviguer entre des lieux déconnectés les uns des autres plutôt que dans un monde cohérent. En termes d'ambiance, Dragon Age II hérite également des défauts du premier volet : les zones de jeu sont souvent vides et peu interactives (quelques coffres et de nombreux codex, mais c'est bien tout), tandis que les PNJ présents sont trop statiques et se limitent à faire de la figuration : sorti des marchands, ils est généralement impossible de parler à quelqu'un qui n'a aucune mission à vous confier ou de pénétrer dans un bâtiment qui n'est pas lié à une quête. Il est triste de constater un tel manque d'ambition, qui confine parfois au je-m'en-foutisme quand on se surprend à traverser pour la troisième fois le même donjon recyclé à l'envi. Peu variés, les décors traversés ne sont pas non plus particulièrement jolis : si les zones urbaines et les intérieurs ne s'en sortent pas trop mal, les environnements extérieurs affichent sans aucune pudeur leurs polygones anguleux, leurs textures disgracieuses et leur végétation en plastique.
Mais qu'importe la forme si le fond est là, notamment en matière d'évolution des personnages. Sur ce plan, Dragon Age II souffle le chaud et le froid. On est d'abord soulagé d'y retrouver un système de progression qui n'a que peu bougé : à chaque gain de niveau, il faut toujours répartir ses points d'attributs et choisir soi-même ses talents. Aussi nombreux et variés que dans le premier opus, les pouvoirs ont été savamment réorganisés (l'effet de certains peut maintenant être maximisé) et votre personnage a toujours la possibilité de se spécialiser dès le niveau 7. Chaque compagnon dispose même dorénavant d'un arbre spécifique (Varric, par exemple, possède un arbre dédié à Bianca, son arbalète). En revanche, tout le reste a disparu, à commencer par les compétences, qui permettaient d'affiner le rôle d'un personnage : le larcin, la rhétorique et la survie ne sont plus, le désamorçage et le crochetage sont gérés sur la base de la caractéristique de ruse et l'artisanat consiste désormais à commander les consommables à des stands dédiés, à condition de posséder la recette et les composants. Plus grave, les pièces d'armures ramassées sont dorénavant réservées à votre personnage : vos compagnons ont une tenue par défaut dont ils ne peuvent changer, mais qui peut être améliorée. Ils sont donc moins customisables que par le passé. Disparaissent aussi au passage : le système de fatigue qui sonnait la fin des grosbills, le campement (qui faisait le charme du premier volet) et la possibilité d'offrir des cadeaux à ses compagnons. Bref, si l'ensemble n'est pas trop émoussé, on perd tous ces petits détails qui faisaient de Dragon Age : Origins un grand jeu de rôle.
L'objectif de Bioware était clairement de se recentrer sur l'action et de faire en sorte que les combats soient le plus spectaculaire possible. D'un certain point de vue, c'est réussi : les déplacements sont plus dynamiques, les coups plus percutants et les protagonistes sont projetés ou explosent dans des gerbes de sang. Qui plus est, l'osmose entre les différents membres du groupe a été renforcée (certains peuvent fragiliser une cible afin que d'autres en profitent). Mais pour peu que vous jouiez en mode Facile ou Normal, les combats ne présentent guère d'intérêt tant ils donnent l'impression de s'adonner à un simple hack'n slash. Même si le principe des blessures de combat a été conservé, le jeu est bien trop facile. Pour retrouver un semblant de challenge, il faut passer en mode Cauchemar, car même le mode Difficile n'inclut pas de friendly fire (vous pouvez arroser impunément vos compagnons de boules de feu). Problème : si les affrontements deviennent alors bien plus exigeants, avec la nécessité de passer des ordres et d'utiliser la pause active, les errances de jouabilité ne permettent pas de jouer de façon tactique, ce qui ne pardonne pas à un niveau où la moindre erreur est fatale. Pour commencer, la vue aérienne, bien trop rapprochée, ne facilite pas le ciblage. Qui plus est, s'il est techniquement possible de désactiver les tactiques prédéfinies de vos personnages pour contrôler chacun de leurs faits et gestes, cela ne va pas sans poser problème, preuve que le jeu n'a pas été conçu pour cela : ils attaquent à vue alors même qu'ils ne le devraient pas, ne tiennent pas la position ou se retrouvent à courir sur le champ de bataille en frappant dans le vide. Edifiant !
Et ce n'est pas tout : les personnages perdent fréquemment la cible que vous leur avez assignée, soit parce qu'ils sont interrompus par une attaque adverse, soit parce qu'ils sont victimes d'un bug qui survient parfois lors de l'utilisation d'un talent (horripilant quand il s'agit d'une attaque sournoise destinée à achever la cible). Les affrontements tournent donc au cauchemar pour qui souhaite jouer dans le mode éponyme. Pour ne rien arranger, ils souffrent de schémas archi-répétitifs : vous rentrez dans une salle, et une fois parvenu en son centre, des créatures spawnent tout autour de vous ; lorsque leur nombre se réduit, une nouvelle vague de monstres apparaît, au mépris de tout réalisme, vous empêchant de planifier vos actions. Heureusement, il est souvent possible d'exploiter les errements de l'IA pour triompher. Bref, les combats ont perdu tout leur sel. Or, comme dit plus haut, ils représentent l'immense majorité du temps de jeu. Est-il utile d'en rajouter ?
- Graphismes13/20
On s'attendait à ce que Bioware utilise le moteur de Mass Effect 2 pour opérer un vrai lifting. Ce n'est pas le cas : si les personnages sont mieux modélisés, ils souffrent d'animations rigides et sont toujours aussi peu expressifs. Les décors sont inégaux : plutôt jolis en ville et en intérieur, ils se montrent bien peu convaincants en extérieurs. Signalons enfin les bugs visuels rencontrés dans le mode DirectX 11, pourtant nécessaire pour bénéficier de toutes les options graphiques.
- Jouabilité12/20
Chacun se fera son opinion sur le relooking d'une interface qui s'avère en tout cas très pratique. En revanche, le gameplay est décevant : on s'attendait à ce que le système de jeu soit simplifié, mais pas à ce que les dialogues soient mal traduits, les quêtes ennuyeuses et les combats insatisfaisants (surtout si vous aimez jouer au plus haut niveau de difficulté). Reste les choix de comportements et leurs répercussions à long terme, désormais typiques des jeux Bioware.
- Durée de vie13/20
La longévité de Dragon Age II est très variable. Notre expérience, basée sur le mode Difficile, fait état d'une trentaine d'heures de jeu si vous vous limitez à la trame principale, et d'une cinquantaine en épuisant les quêtes annexes. Cela reste honnête mais c'est tout de même moitié moins que le volet précédent, sans compter que la disparition du système d'origines réduit le potentiel de rejouabilité
- Bande son13/20
Si les thèmes musicaux ont une nouvelle fois été confiés à Inon Zur, le compositeur s'est montré un peu moins inspiré. En même temps, il faut reconnaître que leurs accents collent avec le tournant moins épique pris par cette suite. Les bruitages, en revanche, sont plus percutants que par le passé. Si la voix de votre héros se fait désormais entendre lors des dialogues, il est regrettable que les doublages en français soient si inégaux et manquent autant de conviction.
- Scénario11/20
Si la toile de fond de Dragon Age II est toujours aussi riche, sombre et intéressante, elle donne lieu à une aventure moins épique et moins haletante, dont les thématiques ne se renouvellent pas assez. La qualité d'écriture des quêtes, qui virent trop souvent à l'affrontement, est décevante : on est à des années-lumière d'un Divinity II : Flames of Vengeance. Mais ce qui surprend encore le plus, c'est la médiocrité de la traduction française, qui était pourtant un des points forts du premier volet.
Dragon Age II permet de réaliser ce qu'aurait pu donner Mass Effect 2 s'il avait été raté. La simplification du système de jeu était attendue, mais on la pensait motivée par une aventure encore plus épique, servie par une histoire passionnante et une mise en scène spectaculaire, ce qui n'est pas vraiment le cas. Entre le peu de soin accordé aux quêtes, faites d'incessants combats dans des environnements recyclés à l'envi, l'impossibilité de négocier ces affrontements de façon stratégique et la médiocrité de la localisation française, l'ensemble n'est même pas du niveau d'Awakening, mais d'un gros DLC peu inspiré. Les amateurs de jeux de rôle tactiques se reporteront donc sans hésitation sur le dernier Drakensang plutôt que de cautionner cette suite bâclée, en concurrence sérieuse avec Gothic 4 pour le massacre de franchise le plus manifeste de ces dernières années.