Strategic Simulations Inc. DreamForge. Avez-vous déjà entendu ces noms ? La fonderie onirique s'était ouverte aux STR en 1996, et avait frappé un grand coup en moulant un univers unique, presque effrayant. Les tambours de guerre résonnèrent, en accompagnant la pièce au titre pas tout à fait anodin : War Wind.
Ne cherchez point Orques, Elfes ou Humains dans ce monde fantastique. Comme le fera Starcraft deux ans plus tard, War Wind balaye les clichés mythologiques pour imposer sa propre culture. Sur la tranquille Yavaun, les Tha'Roon reptiliens ont mis en place une dictature violente, avilissant les architectes végétaux Eaggra par le biais des poupées cyborgs Obblinox. Dans la nature, les Shama'Li mystiques dansent avec les ombres, attendant le retour du Dieu Naga'Rom... Mais les Eaggra se rebellent, les Obblinox déshonorés n'obéissent plus, et la Grande Guerre éclate.
Jouer à War Wind passe d'abord par une immersion totale dans cette ambiance sombre, froide et mélancolique. Il est impensable de manquer la moindre cinématique, de ne pas lire les idéologies de chacune des quatre races, et encore moins d'abréger les rapports de mission rédigés pompeusement pour notre plus grand plaisir. Toute l'essence de War Wind est exposée là, sous nos yeux. Enfin, presque... Car War Wind est un jeu de stratégie, n'est-ce pas ? Et son gameplay est-il à la hauteur de ses prétentions ? La réponse est oui, bien entendu.
Vous êtes un leader, un chef de clan, et vous devez survivre dans une nature résolument hostile. Des tâches qui vous sont confiées dépend l'élévation de votre race. Mourez, et la partie sera terminée. Pour accomplir vos objectifs, vous avez sous vos ordres une poignée d'ouvriers recrutés à la taverne. Ils devront récolter les ressources nécessaires à l'établissement d'une cité, et s'entraîneront à la magie ou au combat. Utilisez votre influence pour rallier des héros à votre cause, ou effectuer des recherches sur de nouveaux sorts, de nouvelles armes, et des mises à jour biologiques qui feront de votre armée une meute de créatures gavées de fortifiants. Allouez les implants oculaires aux éclaireurs et chargez vos guerriers d'adrénaline : l'ennemi ne peut rien contre des adversaires qu'il ne voit pas, ou dont les blessures se referment toutes seules. S'il se terre par-delà les montagnes ou les rivières, construisez des navires, des camions et des ponts, ou écrasez-le sous une pluie de drones explosifs. Rien ne doit vous arrêter.
Si ces étapes sont identiques pour toutes les races, il faut tout de même remarquer que chacune possède ses propres talents. C'est bien là toute la force du titre : on ne jouera pas de la même manière avec les Tha'Roon psychiques ou les machines de guerre Obblinox ; encore moins avec les Shama'Li pacifistes et les Eaggra à la sève emplie de vengeance. Il faudra concilier les faiblesses et les forces du peuple que l'on incarne pour remporter la victoire. Heureusement, les quatre campagnes nous familiarisent rapidement avec les facultés de chacun d'eux, au travers de missions longues et recherchées.
Ah, la campagne de War Wind... Loin de nous servir une succession linéaire d'épopées à travers Yavaun, DreamForge nous propose de faire évoluer notre clan au fur et à mesure de la progression. Réussite totale ! Entre chaque mission, il est possible de conserver certaines de nos unités pour les réutiliser dans les scénarios suivants. Puisque toutes les technologies ne sont pas immédiatement disponibles, cela permet de former graduellement une garde d'élite, dont on pourra même renommer les membres. Encore mieux, les troupes pourront ramasser toute une panoplie d'objets, comme des balles explosives, qui se montreront indispensables dans les derniers temps de la campagne, quand les mutations ne suffiront plus. Rythmée par des briefings courts et prophétiques, la campagne rend compte d'un univers extrêmement riche, ravagé, et surtout terriblement esthétique.
Car War Wind est beau. Fouiller les Ruines de l'Aube infestées de démons, traverser les marais où gargouille Fess L'Infâme, ou rencontrer les Héros légendaires à la taverne est à chaque fois l'occasion pour DreamForge de déployer des trésors d'inventivité. Alors, oui, on pourra toujours critiquer certaines cartes un peu vides, ou même – Ouh, la honte ! – l'animation pépère en trois images. C'est vrai. Cependant, l'évidence rayonne sur l'écran : débordant de couleurs comme un arc-en-ciel de printemps, Yavaun régale les mirettes et ravit les esgourdes, grâce à un design magique et une bande-son thématique joliment incrustée. On a vraiment l'impression de diriger un groupe de figurines peintes à la main, au son de la pluie et du tonnerre.
War Wind, un jeu parfait ? Hélas, on peut y trouver quelques petites coquilles assez exaspérantes. Le pathfinding, pour commencer, a souvent des ratés, pour peu que l'on se trouve sur un pont ou trop loin du point de destination. Les unités tournent parfois cinq secondes sur place avant de partir ! Par ailleurs, l'IA ultra-vindicative interdit rapidement la faute dans les missions, et le caractère parfois énigmatique des objectifs conduit généralement à une résolution par la méthode d'essais-erreurs – où l'erreur serait beaucoup trop présente. Rien de bien dramatique pour celui qui désirera explorer à fond toutes les cartes, mais un tantinet agaçant quand on erre dans des labyrinthes interminables sans savoir où l'on va.
Ces seuls soucis techniques ne peuvent tout de même pas être la cause de la discrétion de War Wind sur la scène vidéoludique. Avec un mode multijoueur fort d'une quarantaine de cartes (la plupart étant scénarisées) jouables en ligne ou en LAN jusqu'à 8 joueurs, et un éditeur de cartes pour compléter la collection, l'œuvre n'avait donc quasiment rien à se reprocher. Alors quoi ? Eh bien, sans doute la proximité sournoise d'un titre qui fit beaucoup plus de bruit : Warcraft II. Sorti juste un an plus tôt, le bijou de Blizzard aura indubitablement fait main basse sur tout un public qui du coup ne se sera pas intéressé à War Wind. C'est bien malheureux. Avec War Wind II : Human Onslaught, paru l'année suivante, DreamForge entendait-il reprendre la main, en proposant cette fois un univers plus classique ? Peu probante, la tentative échoua bien vite...
Finalement, il est toujours bon de savoir que cette petite merveille est toujours à (re)découvrir, au détour d'un site d'abandonware. War Wind fonctionne en effet encore plutôt bien sous Windows 7 64 bits (malgré des plantages fréquents et totalement aléatoires, que des sauvegardes régulières pallieront.). Pour les plus anciens qui auraient la chance de posséder un original, leur CD rayé et poussiéreux contient sur cinq centaines de mégaoctets la plus mystérieuse des aventures, sans doute pas aussi connue que les Orques verts ou les Humains fainéants, mais pleine de gloire, de créativité et de nostalgie.
- Graphismes17/20
Yavaun fourmille de vie, et découvrir la prochaine destination dans les montagnes est systématiquement un moment fort. Il est en outre assez amusant de constater que le seul humour que l'on rencontrera dans War Wind se situe dans les nombreux sprites des créatures et les portraits des unités. Un détail anecdotique, certes, mais qui rappellera pour toujours à quel point le character design est fascinant. Toutefois, les cinématiques en 3D pré-rendue sont courtes et un peu rigides. Rien de grave dans l'ensemble.
- Jouabilité18/20
Plaignons-nous du pathfinding laborieux. Il n'y a que cela pour geindre, car tout ce que propose War Wind ne cesse de nous surprendre. Gestion d'influence, mises à jour biologiques, récolte d'objets... Le tout, multiplié par quatre, serti d'une immense aide disponible en un clic pour revoir une notion, ou tout simplement se documenter sur le monde de Yavaun. Un gameplay immensément riche, en somme, et pourtant simple à assimiler. De la stratégie novatrice comme on aimerait en voir plus souvent.
- Durée de vie16/20
Terminer les 40 scénarios solos de War Wind (28 missions de campagne, auxquelles s'ajoutent 12 missions indépendantes) n'est pas une mince affaire, même si l'on peut conclure en moins de vingt heures. Cependant, on prend suffisamment plaisir à explorer la contrée pour avoir envie de tout rejouer. Le mode multijoueur et ses 39 cartes est quant à lui un vrai régal pour peu que l'on ait des amis (très) nostalgiques, et il allongera la durée de vie. A noter qu'à présent il n'est plus possible de jouer en ligne.
- Bande son16/20
War Wind compte dix titres très agréables à l'écoute, parmi lesquels des thèmes rythmés, glauques et épiques qui collent avec l'aventure. Quant aux bruitages, ils marquent par leur variété et leur qualité. DreamForge réalise notamment le tour de force de donner à ses créatures des répliques incompréhensibles par un humain, et qui semblent pourtant étrangement familières...
- Scénario18/20
De la reconquête des Tha'Roon à la bataille finale mythique sur le mont Caranei, on se délecte de la succession des évènements. L'ambiance est incroyablement prenante pour un STR. Mais surtout, c'est l'univers totalement original créé par DreamForge qui suscite l'admiration. Nos déboires avec les Slinck Herbes dans la forêt, ou la manière dont les peuples que l'on contrôle se défigurent à coups de greffes bioniques ou de mutations étranges, sont autant d'évènements inénarrables. Tout au long de l'histoire, War Wind traîne une odeur de sang et de tristesse, à laquelle on ne peut que s'attacher. Pour ne jamais l'oublier.
« Lointain. Dangereux. Doux, beau, et mortel. » En cinq termes, le décor était planté. DreamForge nous présentait ses songes et sa vision de la stratégie. War Wind est une claque pour qui le découvre, ou bien un moyen simple de repartir sur un jeu sophistiqué mais pas trop nerveux. Dans tous les cas, ce n'est ni plus ni moins qu'une expérience inoubliable.