Le jeu Trespasser sort sur PC en 1998, soit un an après la sortie en salles du Monde Perdu, le deuxième film de la franchise Jurassic Park. Bien que ce soit un jeu officiel, l’affiliation n’est pas mise en avant sur la jaquette et le titre fera donc une entrée peu médiatisée et très modeste. Simple erreur commerciale ou véritable aveu des développeurs sur la qualité de leur travail ?
Vous incarnez une certaine Anne, dont l'avion s'écrase sur une île abandonnée. Très vite, vous comprenez que vous êtes piégé sur Isla Sorna, le fameux site B d'Ingen Corporation la société à l'origine du parc jurassique. Il vous faudra donc survivre sur cette île peu accueillante, et trouver un moyen de vous en échapper. La particularité de Trespasser tient dans sa volonté d'immersion et de réalisme : à une époque où les jeux proposaient un univers en couloirs, ici, une partie complète de l'île originale a été modélisée d'une seule pièce, ce qui nous permet d'évoluer dans un environnement ouvert, donnant ainsi réellement au joueur l'impression saisissante d'être perdu sur une île tropicale. Et ce d'autant plus que la réalisation permet, en théorie, d'afficher une profondeur de champ assez conséquente. Le problème est que le jeu est assez gourmand en ressources et qu'à sa sortie, peu de joueurs pouvaient le faire tourner convenablement sans avoir à subir d'affreux bugs de clipping.
En termes de gameplay, on nage en pleine expérimentation. Toujours dans un souci d'immersion, aucune barre de vie n'est présente à l'écran. Cette dernière se matérialise par un tatouage en forme de cœur sur la généreuse poitrine de l'héroïne qu'il faudra donc chercher du regard en baissant les yeux sur son décolleté. A ce sujet, sachez que votre vie se régénérera d'elle-même une fois à l'abri, un principe qui rappellera les shooters modernes, bien que Trespasser ne soit ni un FPS ni un jeu d'action. Pour survivre, vous devrez ramasser, à l'aide de votre unique bras, des armes abandonnées çà et là par les anciens occupants. Afin de prendre un objet il vous faudra donc déployer votre bras, le déplacer vers l'objet à l'aide de la souris et appuyer sur le bouton d'action. Il y a en tout cinq boutons pour le contrôler, dont certains totalement inutiles permettant juste de réaliser des mouvements improbables ou encore de diriger le canon de l'arme vers soi pour abréger ses souffrances (une première !). Un gameplay étrange qui causera au final d'énormes soucis en termes de rapidité, de réactivité et de précision, d'autant plus qu'Anne a tendance à lâcher tout objet au moindre obstacle, en raison notamment d'un moteur physique pas toujours optimisé et engendrant de nombreux bugs : ennemis et objets passant à travers le sol, dinosaures coincés dans le décor ou effectuant des mouvements aussi surprenants qu'improbables.
Paradoxalement, ce moteur physique est aussi l'une des qualités du jeu puisqu'il vous permet d'interagir de manière plus ou moins réaliste avec presque tous les objets présents sur l'île : cailloux, caisses en bois ou même carcasses de voitures. La plupart des énigmes à résoudre tournent ainsi exclusivement autour du moteur du jeu : en plus de la centaine de caisses habituelles à déplacer, il faudra aussi compter sur quelques ponts à bascule et autres éboulements. Aussi buggé soit-il, le moteur physique permet tout de même quelques véritables prouesses pour l'époque.
Au niveau du bestiaire, les dinosaures sont plutôt réussis, modélisés sur la base du film. On croisera ainsi de paisibles herbivores tels que le brachiosaure ou le stégosaure. Si leur aspect physique est réussi, tout se complique lorsqu'il est question pour eux de se mouvoir dans un espace. Les dinosaures de Trespasser sont riches en animations, beaucoup trop à vrai dire et cela vire très souvent au n'importe quoi : on pourra par exemple observer un T-Rex terrifiant plier sous son propre poids… Suite à ces problèmes, les possibilités d'action des dinosaures ont dû être restreintes. Il leur est par exemple impossible de pénétrer dans les bâtiments, ce qui nuit quelque peu au sentiment permanent d'insécurité initialement voulu par le jeu. Au premier abord, le comportement des ennemis semble relativement crédible : les carnivores attaquent les herbivores, ces derniers se défendent. On sera même surpris de voir un ennemi s'enfuir après un tir et n'attaquer que si l'on s'approche de trop près. L'IA repose sur un principe expérimental « d'humeurs » (moods) mis en place par les développeurs. Ainsi chaque dinosaure est censé réagir vis-à-vis de vous en fonction de son humeur du moment et du comportement que vous aurez avec lui. Un principe très intéressant, mais qui ne fonctionne de manière crédible qu'à de rares moments, rendant le comportement des ennemis plutôt loufoque et inattendu. Tantôt vous aurez tout le mal du monde à semer un raptor, tantôt ce dernier restera coincé devant un minuscule caillou ou tournera en rond.
Pourtant à côté de tous ces énormes défauts, Trespasser réussit à dégager un certain charme que les fans apprécieront éventuellement en tant que prolongement des films, une sorte de Jurassic Park 2.5. Boudé à sa sortie et vite tombé dans l'oubli, Trespasser mérite bien que l'on y jette un nouveau coup d'œil. Un jeu qui a posé la base de beaucoup d'autres, même si on se souviendra définitivement de lui comme l'un des jeux les plus buggé et injouables de sa génération.
- Graphismes12/20
Très bon pour l’époque, le tout est malheureusement gâché par de nombreux bugs, des animations étranges et des problèmes de clipping. La qualité générale des textures n’est pas excellente et même si par défaut l’affichage ne dépasse pas le 800 par 600 pixels, cela reste encore jouable à l’heure actuelle.
- Jouabilité5/20
Le gros point noir du jeu. La jouabilité est très difficile à prendre en main. Il faut toujours penser à bien orienter le bras pour ne pas faire tomber l’arme que l’on possède si on ne peut pas la ranger sur soi. Ce sera votre principale cause de crise de nerfs et la principale raison qui risquerait de vous faire abandonner le jeu, d’autant que le moteur physique réserve également son lot de problèmes.
- Durée de vie12/20
Une durée de vie raisonnable pour 8 niveaux. Chacun d’entre eux pouvant vous prendre entre une demi-heure et une heure selon votre façon de jouer. Trespasser se base surtout sur le principe de découverte, ce qui offre peu de rejouabilité. Cela dit on peut facilement avoir manqué quelque chose, d’autant que le jeu comporte son lot de lieux cachés. La difficulté est au rendez-vous, mais malheureusement en raison des problèmes de gameplay.
- Bande son16/20
Le gros point fort du jeu, les bons doublages originaux (anglais) contribuent beaucoup à l’ambiance. Les bruitages et autres sons d’ambiance sont bien dosés pour une bande-son qui se veut discrète et de qualité. Dommage que le thème original de John Williams ne soit pas repris, bien que les rares moments musicaux soient de très bonne facture.
- Scénario12/20
Difficile de parler de scénario mais plutôt d’une idée originale bien mise en scène et assurant grandement l’ambiance du jeu. Un concept immersif et une bonne extension à l’univers Jurassic Park pour les fans de la trilogie. On n’en attendait pas plus, surtout pour l’époque.
Derrière Trespasser on sent un jeu hybride inachevé mais porteur d’idées complètement novatrices pour son époque : environnements ouverts et moteur physique en tête. Tout cela ne suffit malheureusement pas à le sauver. Si le jeu repose sur des principes certes innovants, ceux-ci se révèlent au final mal exploités, peu fonctionnels et sources de nombreux problèmes. Néanmoins si l’on s’en donne la peine, Trespasser peut offrir certains moments de plaisir en termes d’immersion pour qui aurait un minimum d’intérêt pour la franchise. Les amateurs de bugs seront servis, d’autant que ces derniers sont souvent à l’origine de grands moments de comédie vidéoludique. Au final, et puisqu'il faut trancher, Trespasser est un jeu raté de plus, bourré de promesses non tenues et sorti trop tôt. Il reste une expérience unique que seuls les plus téméraires oseront relever.