« Beuuuhaaar 'tite n'enfant blanc, bienvenue dans le monde merveilleux de la World Company». On aurait tendance à l'oublier, mais l'une des plus vieilles (plus de 20 ans) et des plus célèbres émissions de la chaîne cryptée a eu droit à son adaptation vidéoludique. C'était en 1995, et c'était plutôt réussi, du moins pour l'ambiance et l'humour.
Eh bien, 1995, ça ne nous rajeunit pas. Encore moins quand on regarde le jeu des Guignols de l'Info, qui est basé en grande partie sur l'actualité de l'époque... Autant prévenir tout de suite les plus jeunes d'entre vous, si jamais ils étaient tentés d'essayer ce titre : certaines personnalités ne vous diront pas grand-chose. Jacques Delors, Anne Sinclair, Raymond Barre, Jacques Toubon, François Léotard, autant de noms dont on n'entend plus vraiment parler, et pour cause, certains ne sont plus de ce monde.
Passé ce préliminaire un peu déprimant, regardons de plus près de quoi est fait ce jeu. Il s'agit en fait d'un point'n click mixé à des mini-jeux, le tout baignant dans une ambiance qui retranscrit l'esprit de l'émission : humour, caricature, parodie, cynisme... Plus précisément, vous incarnez un jeune journaliste débutant, engagé par la World Company Television Corp, dont le patron n'est autre que l'inénarrable M. Sylvestre (Beuuuhaaar!). Vous allez devoir réaliser des reportages sur des personnalités afin de gagner en popularité et en crédibilité, pour grimper au sommet de l'échiquier du Gigamat, le classement des personnalités. En haut du classement se trouve PPDA en personne, et le but du jeu est tout simplement de remplacer le mythique présentateur. Mais attention : un reportage raté, ou ayant trait à une personnalité peu connue, peut vous faire reculer au Gigamat et vous éloigner de votre objectif. De plus, vous n'êtes pas le seul à briguer ce poste, et il va falloir se battre et être rapide pour avoir les meilleurs reportages. Vous pouvez même évincer vos concurrents, si M. Sylvestre vous en donne l'occasion. En fonction de votre popularité et de votre crédibilité, votre bureau, à partir duquel vous accédez à vos ordres de mission, se trouvera plus ou moins haut dans l'immeuble de la World Company.
Ces missions, justement, comment se déroulent-elles ? Tout d'abord, vous devez choisir une personnalité comme sujet. Les choix disponibles sont fonction de l'étage où vous vous trouvez (et donc de votre niveau dans le Gigamat), et comme vous êtes en concurrence avec d'autres journalistes, vous pouvez vous retrouver à choisir un reportage déjà pris. Dans ce cas, il s'agit de faire mieux et plus vite que votre concurrent. Car les missions sont en temps limité, une voix off vous prévenant à intervalles réguliers des délais qui vous séparent de la prise d'antenne. Au niveau gameplay, les missions sont de deux types : soit il s'agit de naviguer entre des écrans et d'interagir avec des objets (écouter, regarder, filmer, parler...), soit elles prennent la forme de mini-jeux (vente aux enchères, infiltration dans un système informatique, pièce de théâtre interactive...) dont il faut venir à bout. Dans les deux cas, tout se joue à la souris. Attention cependant à ne pas filmer n'importe quoi ou à cliquer n'importe où : la batterie de votre caméra est limitée et les erreurs sont souvent rédhibitoires dans les mini-jeux.
Si vous réussissez, PPDA diffuse votre reportage, qui consiste en réalité en un petit sketch des marionnettes, parfois inédit, souvent tiré de l'émission. Si vous êtes rapide, vous pourrez même terminer plusieurs reportages, et s'ils sont acceptés, choisir celui qui vous rapporte le plus au Gigamat. L'ennui, c'est que tout cela devient vite rébarbatif : les missions point'n click sont répétitives (une même zone de jeu peut d'ailleurs servir pour plusieurs reportages), et certains mini-jeux sont si peu maniables ou si obscurs que les réussir relève de l'exploit. Par ailleurs, il est parfois difficile de comprendre pourquoi il faut filmer tel objet pour réussir un reportage, de même qu'on ne sait pas très bien pourquoi on monte plus dans le Gigamat pour un reportage plutôt qu'un autre. Tout cela influe grandement sur la durée de vie, puisque vous pouvez très bien finir le jeu rapidement sans savoir pourquoi, tout comme vous pouvez rester longtemps bloqué à un certain niveau sans en savoir davantage.
Autre ombre au tableau, l'aspect visuel. Le jeu se compose la plupart du temps d'une succession d'écrans fixes. Même si les développeurs ont fait des efforts pour les remplir de détails, dont certains sont interactifs et/ou drôles, le tout est assez fade et manque cruellement de vie. Les seules vidéos du jeu sont les (trop) courts extraits de sketches qui correspondent aux reportages. Extraits qui ne sont d'ailleurs disponibles qu'en petit écran, et qu'on ne peut pas revisionner ultérieurement. Bref, le jeu est un peu plat de ce point de vue là. En revanche, l'ambiance sonore est très satisfaisante. Tous les imitateurs de l'époque ont participé au jeu, et on retrouve donc avec plaisir près d'une quinzaine de personnalités souvent caricaturées alors dans l'émission, de Johnny Halliday (Ah que coucou!) à Jacques Chirac (P****n, deux ans...) en passant par François Mitterrand (Imbécile! Andouille!). De plus, la quasi-totalité des objets interactifs lancent des enregistrements audio tous plus amusants les uns que les autres. Et c'est là l'essentiel, d'autant plus que le jeu se veut être, à l'instar de l'émission, une satire humoristique du show-biz, du journalisme et de la politique. Et c'est réussi de ce point de vue là : malgré ses défauts, on joue au jeu des Guignols avec le même plaisir qu'on regarde l'émission. L'esprit est là, c'est drôle, tout simplement.
- Graphismes13/20
Les écrans, peu nombreux, sont désespérément fixes. L'esthétique globale est un peu fade, et son aspect cartoon tranche un peu avec l'émission. Les vidéos de sketches sont trop courtes et pas assez nombreuses, sans compter qu'elles ne sont pas en grand écran et qu'il n'est pas possible de les revisionner par la suite. Même si les développeurs ont fait de louables efforts pour placer des détails amusants, il était possible de faire mieux en termes de contenu, même à l'époque.
- Jouabilité12/20
Alors même que le principe du jeu est tout simple, et que tout se joue à la souris, on se heurte à quelques écueils. A cause d'un manque d'indications ou d'une difficulté mal dosée, certains reportages ou mini-jeux sont délicats à réussir. Au final, le jeu est assez répétitif et il est clair que l'intérêt du soft ne se trouve pas dans sa jouabilité.
- Durée de vie12/20
Les voies du Gigamat étant impénétrables, sans qu'on sache vraiment pourquoi, on peut finir le jeu très rapidement ou bien y passer des heures. Globalement cependant, la difficulté n'est pas très élevée. Le potentiel de rejouabilité est presque nul, étant donné qu'une fois qu'on sait comment réussir tel ou tel reportage, il y a peu d'intérêt à le refaire. En revanche, on prend plaisir à ressortir le jeu de temps à autre comme on regarde parfois de vieux sketches des Guignols.
- Bande son19/20
Tous les imitateurs de l'époque ont répondu présents. C'est un réel bonheur d'entendre ces voix, d'autant plus qu'il y a une profusion de petits enregistrements audio éparpillés dans les niveaux, autant de créations pour le jeu que de références à des sketches existants. A moins d'être imperméable à l'humour de l'émission, impossible de ne pas aimer.
- Scénario16/20
L'idée de base n'est qu'un prétexte. Le but est de recréer l'ambiance et l'univers des Guignols, et c'est réussi. La World Company et M. Sylvestre sont un parfait terrain de jeu pour les auteurs des sketches de l'émission, qui se moquent allègrement (entre autres) de la mondialisation. De même, les reportages sont autant de caricatures désopilantes de personnalités du show-biz et de la politique. C'est drôle, et c'est finalement tout ce qu'on demande.
L'intérêt ludique du jeu des Guignols est très limité, puisqu'il s'agit d'un point'n click médiocre, avec une durée de vie limitée. En revanche, l'esprit et l'humour de l'émission sont parfaitement retranscrits, grâce à un environnement sonore étoffé par les imitateurs, et à l'humour des auteurs des sketches. Une plongée dans l'univers des Guignols qui a pas mal vieilli, mais qui reste un agréable moment pour qui apprécie l'émission.