Dans ces si lointaines années 1990, le jeu vidéo relevait encore plus de l'artisanat que de l'industrie. Ainsi, il n'était pas rare de voir des studios développer à peine quelques jeux avant de disparaître, faute de moyens ou de succès. Exemple avec Total Annihilation, sorti entre les deux monstres sacrés que sont Alerte Rouge et Starcraft, et aujourd'hui un peu tombé dans l'oubli, à tort.
L'histoire commence en 1995. L'éditeur GT Interactive demande à un tout jeune studio, Cavedog Entertainment, de développer un STR futuriste. Aux commandes du projet, Chris Taylor, alors inconnu mais qui deviendra célèbre par la suite pour Dungeon Siege ou Supreme Commander, notamment. Cavedog prendra son temps, deux ans exactement. L'idée est de se démarquer de la concurrence en proposant un gameplay différent des classiques de la stratégie, et des graphismes poussés. Total Annihilation sort donc en 1997, immédiatement et unanimement salué par la critique et les joueurs. Le jeu ramasse des récompenses à la pelle.
Car, il faut bien le dire, Total Annihilation a tenu son pari, celui de proposer quelque chose de différent de la concurrence. Notamment grâce à son gameplay, principal atout du soft. Les principes de base sont les mêmes que dans tout bon STR, à savoir partir avec une unité principale (ici appelée Commandeur, unité surpuissante à tout faire), récolter des ressources (ici de l'énergie et du métal) pour fabriquer des bâtiments et des unités, et au final détruire l'ennemi. La première différence est que le système de ressources n'est pas un système de stocks, mais un système de flux. Concrètement, vous disposez d'une capacité de stockage limitée pour chaque ressource (des bâtiments peuvent l'augmenter), représentée par une barre, à côté de laquelle s'inscrivent les chiffres de votre production et de votre consommation de ressources. Si la consommation dépasse la production, vous tapez dans le stock, si c'est l'inverse, il se remplit. L'un des premiers objectifs du jeu est donc de maîtriser finement votre consommation en fonction de votre production, afin de ne pas se retrouver en rade, ni gâcher des ressources. Cela induit par ailleurs une dynamique de jeu « en flux tendu ». Hors de question de construire d'abord une armée, puis de l'envoyer se battre. Vous devrez gérer à la fois votre consommation, votre production, et vos troupes au combat. Dit comme ça, ça n'a rien de révolutionnaire, mais Total Annihilation est l'un des seuls, si ce n'est le seul STR à procéder de la sorte. Fort heureusement, tout est parfaitement jouable, puisque quelques clics de souris et quelques raccourcis clavier permettent de naviguer rapidement entre les menus et les unités.
Pour rentrer un peu dans le détail, précisons que le jeu nous propose de prendre en main la destinée d'une des deux factions, le CORE et l'ARM, opposées dans un conflit sans merci qui dure depuis des siècles. Il y a une campagne solo par faction, assez intéressante, mais le soft se révèle plus passionnant encore en multi. En effet, l'une des autres particularités de Total Annihilation est que, à l'inverse de Starcraft par exemple où les trois factions sont bien distinctes, le CORE et l'ARM sont très proches, pour ne pas dire identiques, tant au niveau du design que des unités. Un mauvais point ? Un peu, car cela diminue les possibilités du joueur. Mais il faut bien comprendre que les développeurs l'ont fait exprès : en effet, si deux armées ont les mêmes possibilités de départ, et sont potentiellement égales, qui va l'emporter ? Le meilleur général, évidemment. Par ce biais, le titre fait donc la part belle à la tactique et à l'opposition entre joueurs humains. Toutefois, si on regarde dans les détails, les unités ennemies sont souvent similaires mais diffèrent sur un point qui peut se révéler crucial au cœur d'une bataille. Par exemple le bombardier lourd du CORE dispose d'une tourelle pour se défendre, tandis que celui de l'ARM doit se faire escorter par des chasseurs.
Un exemple parmi tant d'autres. Car le nombre d'unités et de bâtiments différents est proprement ahurissant. On compte ainsi des collecteurs de ressources, des usines (de robots, de chars, d'avions et de bateaux), des systèmes de défense... Sachant qu'il y a plusieurs niveaux de technologie et que chaque type d'usine peut produire au minimum une demi-douzaine d'unités ayant des fonctions différentes (constructions, transports, éclaireurs, combattants légers, médiums ou lourds, etc.), on se retrouve avec un nombre d'unités disponibles conséquent. Sans compter qu'il existe deux extensions officielles qui rajoutent des missions et des unités supplémentaires, et que les sites Web amateurs proposant de nouvelles unités ne sont pas rares.
Et tout ça s'anime comment à l'écran ? Bien, merci. Si l'esthétique est plutôt froide et carrée, et manque un peu de caractère, techniquement le jeu s'en sort haut la main. Les effets sont réussis, et plus de dix ans après, la gestion de la balistique et la prise en compte du relief sont toujours au niveau. Ainsi, seules des unités pouvant tirer « en cloche » pourront voir, et donc toucher, des ennemis cachés derrière une colline, et les projectiles tirés suivent une trajectoire qui prend en compte le déplacement des unités, ce qui peut entre autres occasionner des balles perdues. De plus, les missions et les maps multijoueurs vous font voir du pays : déserts, étendues glacées, lunes, plaines, forêts, planètes métalliques, de lave ou d'acide, etc. Le jeu est donc très varié, même si, encore une fois, le tout manque un peu de caractère. Rappelons qu'à sa sortie, Total Annihilation nécessitait une bête de course pour tourner correctement, d'où une limite d'unités de 250. Aujourd'hui vous pouvez officieusement la pousser à plus de 1000 unités sans perdre en fluidité ou en clarté, preuve que le moteur du jeu en avait dans le ventre. Le sentiment de participer à d'épiques batailles est parfaitement renforcé par la bande-son, composée par Jeremy Soule, et qui compte parmi les meilleures jamais entendues dans un jeu vidéo. Les thèmes, qui empruntent beaucoup à John Williams, sont même interprétés pas un orchestre symphonique.
- Graphismes13/20
Les menus sont austères, et l'esthétique plutôt froide, mais correspond à l'esprit du jeu. Les effets ont un peu vieilli mais restent de bonne facture. Cela étant, la gestion de la balistique et du relief est bluffante pour un jeu aussi vieux, et la fluidité et la clarté des batailles sont parfaites. Les environnements proposés sont très diversifiés.
- Jouabilité17/20
Total Annihilation se paie le luxe d'être maniable et immersif qu'on soit novice ou expert en la matière. La navigation dans les menus se fait rapidement à la souris, et pour peu que vous preniez le temps de retenir les raccourcis clavier, vous pourrez créer puis mener vos troupes à l'assaut en un clin d'œil. On appréciera la possibilité d'utiliser plusieurs unités de construction sur un même chantier, et le fait que les carcasses des unités détruites et certains éléments de décor puissent servir de ressources « de secours ».
- Durée de vie16/20
La campagne solo, d'une difficulté croissante, vous prendra quelques heures, plus si vous possédez les extensions qui rajoutent un nombre conséquent de missions. Les escarmouches vous opposeront à une IA correcte sur un très grand nombre de maps. Enfin, vous pouvez trouver aujourd'hui encore des acharnés qui combattent en ligne, de 2 à 8 joueurs selon les maps. La question est en fait de savoir si vous accrocherez aux particularités du gameplay.
- Bande son19/20
Un orchestre symphonique avec Jeremy Soule à la baguette, rien que ça. Différents thèmes grandement inspirés de John Williams qui se déclenchent selon les situations, pour une immersion totale. Même si les bruitages restent classiques, il y en a un pour chaque unité et chaque bâtiment. Total Annihilation s'écoute autant qu'il se joue.
- Scénario12/20
Le background est intéressant, mais les missions ne permettent pas vraiment de le développer. De toute manière, dans un jeu où l'unique but est l'anéantissement de l'adversaire, et qui prend tout son sens en multi, pourquoi s'encombrer d'un scénario ?
Même si ses créateurs ont disparu (Cavedog mettra la clé sous la porte après l'échec de Total Annihilation Kingdoms, suite spirituelle de Total Annihilation), le jeu n'a pas à rougir de son âge. Excellente alternative à Starcraft à l'époque, toujours aussi fun aujourd'hui, bénéficiant d'une communauté de fans toujours active, la création de Chris Taylor reste ancrée dans le cœur de nombreux joueurs. Le principal tort de Total Annihilation est de manquer de caractère sur le plan esthétique, et d'avoir fait le choix de deux factions similaires là où ses principaux concurrents misaient sur la diversité du gameplay et un background plus marqué.