Sorti en France début 2009, Drakensang : L'Oeil Noir avait connu un joli succès à la fois critique et commercial. Développé par le studio allemand Radon Labs, ce titre adaptait avec brio le système de règles du jeu de rôle papier l'Oeil Noir. Sa suite, intitulée The River of Time, vous transporte à nouveau en Aventurie, mais vous propose cette fois de remonter une vingtaine d'années en arrière afin de lever le voile sur le passé de certains personnages.
Souvenez-vous : dans le premier Drakensang, votre personnage se rendait à Ferdok sur demande expresse de son ami Ardo de la Verraterie, pour finalement découvrir que ce dernier venait d'être assassiné. Il y rencontrait alors Forgrimm, un ancien compagnon d'Ardo qui noyait son chagrin dans la bière, mais aussi la ravissante Gladys qui allait l'aider à démêler le nœud d'intrigues de Ferdok. Comme vous l'explique la séquence d'introduction de The River of Time, l'histoire que vous allez vivre est celle que Forgrimm raconte à Gladys un soir d'hiver, devant l'un des foyers de la vaste demeure d'Ardo. C'est la première fois que le vieux nain bourru lève le voile sur ses jeunes années, durant lesquelles ses compagnons et lui croisèrent la route d'un apprenti qui descendait lui aussi la Grande Rivière en direction de Nadoret. Ce jeune aventurier n'est autre que vous.
La création de votre personnage est très similaire à celle du premier volet. Ne soyez pas surpris de ne pouvoir choisir librement votre combinaison de classe/race/sexe : c'est une des particularités du système de jeu de l'Oeil Noir. Aussi fidèle que son prédécesseur aux règles de la 4ème édition, The River of Time vous donne accès à plusieurs professions en fonction de l'ethnie sélectionnée (les humains étant une nouvelle fois les mieux pourvus). Parmi les vingt-deux archétypes disponibles, deux font leur apparition : ceux qui déploraient l'absence de lanceurs de sorts nains se réjouiront de l'arrivée des Géodes (qui ne se déclinent qu'au masculin), tandis que les adeptes de barbares se porteront sur les féroces Guerriers Tribaux. Autre nouveauté : la possibilité de choisir la corpulence, le visage et la coupe de cheveux de votre personnage. Ce sont les seules options de customisation physique : pour le reste, il vous faudra toujours compter sur les nombreuses pièces d'équipement disponibles (qui ont gagné un look moins désuet !) pour modifier l'apparence de votre avatar.
Drakensang : The River of Time vous octroie en contrepartie une latitude totale pour développer votre personnage comme vous l'entendez. Six pages de statistiques, légèrement relookées dans cette suite, vous permettent de gérer caractéristiques, talents, compétences sociales, maîtrises des armes, coups spéciaux, sorts et recettes d'artisanat. L'ensemble peut paraître un tantinet touffu et complexe à appréhender pour qui n'est pas familier des règles de l'Oeil Noir. Mais le système de progression se montre toujours aussi souple et gratifiant. A chaque performance accomplie (combat remporté, énigme résolue, quête menée à bien), vous gagnez à la fois des points d'aventure et des points d'expérience. Les PA permettent de franchir les niveaux, qui déterminent la valeur maximale de vos différentes aptitudes. Mais pour améliorer ces dernières, qui n'augmentent pas automatiquement, il vous faut dépenser les PE accumulés. L'ensemble permet une évolution fine et poussée de vos héros. Seule manque à l'appel une gestion de l'alignement, qui a toujours fait défaut à la licence.
Aussitôt créé, votre avatar embarque près de Ferdok sur un bateau qui descend la Grande Rivière en direction de Nadoret, qu'il doit rallier pour compléter sa formation. Mais un groupe de pirates profite d'une escale pour attaquer le navire. Vous en réchappez de justesse grâce à l'intervention de trois passagers : Forgrimm, Cano et leur chef Ardo. Arrivé à destination, vous décidez de leur prêter main forte dans leur enquête sur la recrudescence des raids pirates. Vous allez très vite découvrir que Nadoret est la plaque tournante d'un vaste trafic... Forcément linéaire puisqu'elle vous conduira d'étape en étape le long de la Grande Rivière, la trame de ce second Drakensang se révèle toutefois plus prenante que celle de son prédécesseur dans la mesure où les auteurs ont su tirer parti de cette linéarité pour dynamiser la progression, qui accuse moins de chutes de rythme. Dotée d'enjeux un peu moins épiques, elle fonctionne paradoxalement bien mieux. Qui plus est, cette suite vous offre de nombreuses occasions de tracer votre propre voie et de faire valoir votre libre arbitre.
Tout d'abord, votre personnage dispose à Nadoret d'un contact dédié (capitaine de la garde, chef de la guilde des voleurs, etc.) qui est fonction de son archétype et qui lui fournit des quêtes spécifiques (surveiller un entrepôt/s'y infiltrer furtivement). D'une partie à l'autre, cela change radicalement la façon d'aborder le début de l'aventure et procure au titre un certain potentiel de rejouabilité. Qui plus est, plusieurs situations vous permettent de choisir entre les différentes approches suggérées par vos compagnons. Le sort d'un de ces derniers sera d'ailleurs étroitement lié à l'une de vos décisions. Ajoutez à tout cela la possibilité, caractéristique de Drakensang, d'utiliser plusieurs compétences (marchandage, séduction, baratin, intimidation) pour résoudre une même situation. Et sachez que The River of Time corrige l'un des gros défauts du premier volet en vous permettant de revenir dans des zones explorées pour y boucler d'éventuelles quêtes secondaires non achevées. Vous comprendrez en quoi cette suite évite tout dirigisme en dépit de sa trame relativement linéaire.
Si la première partie de l'aventure vous laisse le temps de vous familiariser avec votre unique avatar, vous aurez vite l'occasion de diriger jusqu'à quatre personnages. Le jeu vous accorde une maîtrise absolue sur chacun d'eux, de leur évolution à leur inventaire en passant par leur déplacement. La jouabilité paramétrable vous permet de mouvoir vos troupes via une vue aérienne tactique ou de prendre le contrôle d'un personnage précis dans une représentation à la troisième personne plus immersive ; dans ce dernier cas, le reste du groupe vous suit à distance, ce qui peut se révéler utile pour jouer les éclaireurs dans les donjons truffés de pièges. Au bout d'une dizaine d'heures de jeu, vous prenez le commandement d'un navire, le Thalaria, qui vous sert à voyager à gré le long de la Grande Rivière et fait aussi office de stockage ainsi que de refuge pour tout compagnon à qui vous donnez congé ; ce dernier vous attend alors sagement et continue à gagner une partie de l'expérience accumulée par le groupe afin de ne pas être trop largué quand vous ferez à nouveau appel à lui.
Dommage que vos recrues potentielles soient nettement moins nombreuses que dans le premier opus ; elles bénéficient en contrepartie d'une personnalité plus travaillée. Les quêtes annexes ont elles aussi bénéficié d'un soin tout particulier. Nombreuses, variées, bien écrites et souvent cocasses, la ville de Nadoret en regorge. Cette dernière, qui représente une prouesse de level design avec ses ruelles sinueuses et ses dénivelés, se paie le luxe d'être construite d'un seul tenant et de pouvoir être parcourue, contrairement à Ferdok dans l'opus précédent, sans aucun temps de chargement. The River of Time offre en effet des zones plus vastes, avec à l'appui un système de portails inédit pour les joueurs qui voudraient s'épargner de fastidieux retours. Et bien qu'il soit toujours impossible de rentrer dans la plupart des bâtiments, le monde a été rendu plus vivant et plus crédible : les PNJ vaquent à leurs occupations, les missions de nuit font leur apparition et certaines zones évoluent au fil de l'aventure – autant de stratagèmes qui cassent l'aspect figé du premier Drakensang.
En revanche, il faut reconnaître que les combats n'ont guère évolué. Toujours aussi peu dynamiques, ils souffrent plus que jamais de n'être que la retranscription visuelle d'une succession de jets de dés, qu'une option permet d'ailleurs d'afficher. Le système de pause active et l'utilisation possible de nombreux sorts, coups spéciaux et talents divers leur procure par contre une dimension tactique indéniable, servie par un système d'états que l'on a plaisir à retrouver (blessures de gravité plus ou moins prononcée, hébétement, empoisonnement, mais aussi saleté !). On regrette d'autant plus que l'IA des monstres et le pathfinding, particulièrement perfectibles, n'aient pas été améliorés. A côté de ça, la variété du bestiaire et la possibilité de dépecer les corps pour en extraire des ingrédients d'artisanat sont toujours aussi appréciables. Quoi qu'il en soit, The River of Time a la particularité, plus encore que son prédécesseur, de restreindre les affrontements au minimum : une bonne moitié des combats (qui ne surviennent jamais par hasard) peut être évitée d'une manière ou d'une autre.
Au niveau de la réalisation, Drakensang : The River of Time tire remarquablement son épingle du jeu. Le moteur graphique est inchangé, mais les modèles plus détaillés, les éclairages plus travaillés et les textures en haute définition font leur petit effet. Les environnements ont conservé leur caractère bucolique tandis que les personnages sont plus expressifs que jamais. Le tout est magnifié par de somptueux thèmes musicaux et des bruitages particulièrement efficaces. En revanche, si on peut se féliciter que le doublage en anglais ait été conservé, il est impossible de passer sous silence la traduction française déplorable dont s'est rendu coupable Micro Application. Ce travail d'amateur, qui aligne approximations et contresens, agit parfois comme un véritable broyeur d'immersion. Pire : un bug de traduction, que nous espérons voir corrigé d'ici la sortie du jeu, se permet même d'entacher la progression. C'est tout bonnement scandaleux, même si cela ne doit pas vous empêcher de profiter de cet excellent jeu de rôle que nous vous conseillons sans hésitation.
- Graphismes17/20
Les personnages sont toujours aussi expressifs et bien animés. Plus fouillés, mieux éclairés, les environnements de jeu ont surtout gagné, sur le plan artistique, des textures somptueuses et un level design très travaillé. On ne se lasse jamais de déambuler à travers les différentes zones de jeu.
- Jouabilité18/20
Le système de règles est un tantinet difficile à appréhender mais d'une complétude inégalée. Enrichie de choix déterminants, l'expérience n'en est que plus exaltante. Seule ombre au tableau : le manque d'influence de certaines actions sur le monde environnant (cf. le vol à la tire toujours impuni).
- Durée de vie14/20
Moins longue que celle du premier opus, l'aventure offre entre 30 et 50 heures de jeu selon que vous épuiserez ou non les nombreuses quêtes annexes. Moins linéaire, The River of Time aurait pu bénéficier d'un meilleur potentiel de rejouabilité avec davantage de compagnons à enrôler.
- Bande son17/20
Les thèmes musicaux sont plus réussis encore dans cette suite ; ils contribuent beaucoup à l'ambiance bucolique qui se dégage du jeu. Les effets sonores sont particulièrement immersifs. Sans être exceptionnelles, les voix anglaises sont de bonne facture.
- Scénario16/20
The River of Time bénéficie d'une trame scénaristique aux enjeux moins épiques, qui offre en contrepartie une progression plus fluide et plus dynamique. Les personnages sont bien croqués et attachants et les quêtes annexes écrites avec grand soin. Hélas, la traduction française est catastrophique.
Si Dragon Age : Origins se destinait aux amateurs de fresques épiques et de combats tactiques, Drakensang : The River of Time s'adresse à tous les rôlistes, à ces êtres étranges qui se retrouvent le week-end pour lancer des polyèdres chiffrés, tracer des plans incompréhensibles, compléter des feuilles de personnage à rallonge et déclamer des tirades théâtrales en mangeant des pizzas. Dotée d'un système de jeu riche et complexe, enrichie de choix déterminants, cette nouvelle incursion dans l'univers de l'Oeil Noir s'appuie sur une aventure plus solide et mieux mise en scène. Sans compter qu'un jeu de rôle où le combat n'est qu'une option parmi d'autres, on n'en avait plus vu depuis Fallout 2 et Arcanum. Rien que pour ça, vous vous devez d'acheter ce titre exceptionnel, quitte à vous accommoder de sa traduction française déplorable.