Sortie depuis longtemps sur Wii, sur DS et sur iPhone, la version Director’s Cut des Chevaliers de Baphomet est enfin disponible sur PC. Charles Cecil et toute l'équipe de Revolution Software nous proposent une relecture audacieuse d'un des plus grands classiques du genre, qui ne pouvait manquer son come-back sur son support d'origine.
C'était en 1996. Alors que les adeptes de jeux d'aventure se remettaient à peine du sublime Gabriel Knight II, c'était au tour des Anglais de Revolution Software de nous gratifier d'un véritable petit bijou qui allait lui aussi faire date. A l'instar de leur précédente production intitulée Beneath a Steel Sky, Les Chevaliers de Baphomet était issue d'une étroite collaboration entre la matière grise de Charles Cecil (co-fondateur du studio) et le pinceau d'artistes et d'animateurs issus de l'univers du dessin animé. La mayonnaise prit si bien que le titre connut plusieurs suites et fut adapté sur de nombreux supports, ce qui était peu courant à l'époque pour un jeu d'aventure. Pourtant, les derniers épisodes de la série eurent du mal à convaincre les joueurs, qui regrettaient l'époque où Georges Stobbart et Nico Collard s'affichaient en 2D dans les rues de Paris à la recherche du "clawne" tueur. Revolution Software a pensé à eux ainsi qu'à ceux qui n'avaient jamais eu la chance de pratiquer le premier volet, en leur en proposant une version améliorée et enrichie intitulée Les Chevaliers de Baphomet : The Director's Cut. D'abord sortie sur Wii, DS et iPhone elle ne pouvait manquer son come-back sur PC.
La bonne nouvelle, c'est que les nouveautés qu'elle intègre justifient l'appellation quelque peu pompeuse de "Director's Cut". Charles Cecil nous propose en effet un nouveau montage qui laisse le joueur incarner un personnage - Nico Collard - qui n'était pas jouable à l'époque, et qui lui offre de surcroît de nombreuses séquences supplémentaires. Ces dernières sont destinées à éclairer certains points que le jeu d'origine laissait dans l'ombre ou se limitait à évoquer ; elles permettent de revisiter l'intrigue sans jamais en trahir les fondements. Rappelez-vous : la version originale s'ouvre sur une inoubliable séquence d'introduction narrant l'attentat commis par un clown grimaçant dans un bistrot parisien. Puis le jeu vous laisse incarner Georges Stobbart, un touriste américain ayant échappé de peu à la mort. Désireux d'éclaircir cette histoire, Georges va rapidement bénéficier de l'aide de la journaliste Nicole Collard, qui lui dévoile qu'elle avait rendez-vous avec la victime de l'attentat, qui devait lui faire des révélations à propos de l'affaire dont elle s'occupe.
Sachez à présent que cette nouvelle version des Chevaliers de Baphomet débute non plus par la scène du bistrot, mais par une séquence inédite qui se déroule la veille. Le joueur y suit les pérégrinations journalistiques de Nico dans l'affaire du tueur déguisé et peut ainsi comprendre dans quel cadre elle va être amenée à rentrer en contact avec la future victime de l'attentat. Il dirigera ensuite à plusieurs reprises la jeune femme en alternance avec George : c'est l'occasion d'explorer des lieux inconnus et de résoudre de nouvelles énigmes, ou au contraire de retrouver des endroits, des situations ou des personnages connus en empruntant un autre point de vue. La continuité et la transparence avec lesquelles les nouvelles séquences ont été intégrées est un véritable tour de force : tout se goupille admirablement bien sans altérer d'une quelconque manière les événements de l'opus d'origine, même si les fans ne manqueront pas de relever les petites retouches qui étaient nécessaires (disparition de certains personnages secondaires, modification de certaines énigmes et de certains dialogues...).
La cohésion qui se dégage de cette nouvelle version est donc admirable sur le plan scénaristique, mais il en est hélas tout autrement d'un point de vue technique. Chacun se fera son opinion sur l'aspect graphique qui, malgré le peu de retouches subies, n'a pas trop mal vieilli (le style cartoon y fait beaucoup). Les environnements, notamment, produisent toujours leur petit effet. Mais il est navrant de constater que cette mouture PC n'est proposée que dans sa résolution d'origine (640 x 480). Du coup, il faut choisir entre s'abîmer les yeux sur le mode fenêtré ou souffrir de la pixellisation du mode plein écran. Bien qu'elle n'en ait que le nom, l'option « résolution augmentée » reste un bon compromis, mais elle ne comblera pas l'absence d'une remasterisation en haute définition. Pour ne rien arranger, les médaillons représentant les personnages, qui s'affichent lors des discussions, ont un aspect désuet renforcé par l'absence de synchronisation labiale ; ils accentuent de surcroît une impression de prépondérance des dialogues qu'on aurait préféré oublier. Les développeurs n'auraient-ils pas mieux fait de consacrer leurs efforts à retravailler l'animation des personnages lors des déplacements ? Les voir faire 7 ou 8 pas pour aller d'un lit à la fenêtre d'une petite chambre est franchement insupportable, d'autant que le scrolling accuse parfois quelques légers ralentissements dans les décors les plus chargés.
Heureusement, la jouabilité d'origine se montre toujours aussi efficace. L'interface vous indique la proximité des zones interactives lorsque vous balayez l'écran de votre curseur. En cliquant dessus, vous accédez à un menu radial qui laisse apparaître les différentes possibilités d'action. Durant les phases de dialogue, il suffit de cliquer sur l'icône voulue pour engager la conversation sur ce sujet précis. L'ensemble est facile à prendre en main. A côté de ça, les développeurs ont trouvé le moyen de truffer les séquences où vous contrôlez Nico de puzzles désormais indissociables du genre. Leur intérêt divisera les foules mais ils n'entraveront pas plus que ça votre progression, tout comme les énigmes traditionnelles dont certaines ont été retravaillées afin d'être facilitées (on pense à celle de la chèvre). Si toutefois vous êtes bloqué, vous pouvez recourir au système d'aide intégré, mais sachez qu'il est particulièrement mal fichu. Sa disponibilité est erratique (c'est toujours quand on en a le plus besoin qu'on n'y a plus accès) et l'évolutivité des indices décevante : tantôt le second indice ne fait que formuler autrement ce que dit le premier et tantôt il vous donne carrément la solution !
La bande-son fait souffler le chaud et le froid. Vous aurez grand plaisir à retrouver les doubleurs d'origine, y compris dans les nouvelles répliques. Et c'est un soulagement, parce que Georges Stobbart sans Emmanuel Curtil, c'est un peu comme Tintin sans sa houppe ou comme un pirate sans sa jambe de bois ! On regrette par contre l'absence de refonte complète de l'aspect sonore : la qualité de l'enregistrement des nouvelles lignes de dialogue tranche considérablement avec l'aspect "radiophonique" des anciennes. Là encore, il aurait sans doute été plus sage de reprendre le doublage à zéro pour favoriser l'homogénéité. Si on fait le bilan, cette version PC des Chevaliers de Baphomet : The Director's Cut souffre de trop nombreuses tares pour convaincre. Les nouvelles séquences de jeu, agréables mais somme toute anecdotiques, ne sauraient compenser l'absence de refonte graphique et sonore. Bien qu'elle ne soit proposée qu'à une dizaine d'euros, il paraît difficile de conseiller son acquisition, surtout à ceux qui possèdent déjà la version d'origine.
- Graphismes8/20
Le style cartoon adopté a permis au jeu de ne pas vieillir trop vite : la plupart des environnements produisent toujours leur petit effet, tout comme certaines animations. On reste plus réservé sur ces immenses médaillons qui apparaissent lors des dialogues, mangeant une bonne partie de l'écran : ils ont beau accentuer l'aspect BD, ils souffrent d'un rendu beaucoup trop désuet. Enfin, difficile de pardonner l'absence de résolution en haute définition dans cette version PC, qui contraint l'utilisateur à s'accommoder d'un vilain compromis entre pixellisation et lisibilité.
- Jouabilité13/20
L'interface, qui était un modèle du genre à l'époque, a conservé toute son efficacité. Il est toutefois dommage que les déplacements soient plus lents que jamais et que le système d'indices proposé se montre très insatisfaisant.
- Durée de vie12/20
Les séquences additionnelles permettent d'accroître la longévité sans la pousser au-delà d'une douzaine d'heures, ce qui n'est déjà pas si mal. Attention tout de même : cette estimation ne vaut que pour ceux qui découvrent le jeu pour la première fois : les autres le boucleront en moitié moins de temps !
- Bande son9/20
Vous l'aurez compris à la lecture du test : ce ne sont pas les thèmes musicaux qui sont en cause, pas plus que les bruitages ou le talent des doubleurs. Le problème, c'est qu'il y a une grosse différence de qualité sonore entre les anciens dialogues et les nouveaux et que les développeurs semblent n'avoir trouvé d'autre moyen pour l'atténuer un peu que de tirer les seconds vers le bas !
- Scénario16/20
Nous ne reviendrons pas sur l'excellente qualité du scénario original, qui vous entraîne autour du Monde à la recherche du trésor du Templiers. Nous préférons insister sur le soin avec lequel Charles Cecil et son équipe se sont livrés à cette relecture du scénario d'origine sans jamais en trahir l'esprit. Dommage que les dialogues soient toujours aussi prépondérants.
Relecture intelligente d'un fleuron du jeu d'aventure, Les Chevaliers de Baphomet : The Director's Cut avait pour ambition de séduire aussi bien les inconditionnels de la version d'origine que les joueurs qui n'y avaient jamais touché. Or, nous ne conseillerons cette version PC ni aux uns ni aux autres. Car si Revolution Software semble s'être donné les moyens de ses ambitions sur le plan scénaristique en assurant avec brio la continuité entre anciennes et nouvelles séquences de jeu, il en est tout autrement sur le plan technique : l'absence de refonte visuelle et sonore contraint l'utilisateur à s'accommoder de graphismes en basse définition, de déplacements plus poussifs que jamais et de doublages d'une qualité inégale. Le bilan est peu glorieux pour un jeu de cette trempe.