Pour une série aussi pointue que Civilization, qui fait autorité dans le genre, il n'est jamais facile d'évoluer. Comment contenter les adeptes, en demande constante de nouvelles fonctionnalités, sans faire fuir les néophytes ? Voilà une équation dont Firaxis a confié la résolution à John Schafer, un gros fan de la franchise qui passait son temps à créer des cartes avant d'être embauché par le studio !
L'avantage c'est que Schafer, lead designer sur Civilization V, a insufflé au projet sa vision initiale d'utilisateur. A commencer par l'adoption d'une grille hexagonale, qui aurait dû prévaloir depuis longtemps dans une série qui s'enracine dans les jeux de plateau et les wargames. Ce changement accroît les possibilités tactiques (chaque hexagone ayant un côté commun avec six autres), accélère les déplacements et modifie l'aspect tactique des combats (nous aurons l'occasion d'y revenir). Bien entendu, il est possible d'afficher ou de masquer cette grille à tout moment d'un simple clic. Et là, tout de suite, difficile de ne pas évoquer le nouvel habillage de ce cinquième opus, qui s'offre une interface bien plus moderne, pourvue de menus escamotables et d'un système de notifications bien fichu. La carte n'est pas en reste, avec une activité humaine qui modifie progressivement les vilaines textures de paysage du début de partie pour vous laisser admirer l'ampleur de l'amélioration visuelle.
Le deuxième gros changement, c'est la présence d'un seul et unique type d'unité par case, qui modifie profondément l'approche des combats puisqu'il est désormais impossible d'empiler plusieurs unités militaires pour profiter de l'hexagone le plus favorable (si vous tentez de le faire, l'une cèdera automatiquement la place à l'autre). Dans le cas d'un siège, il faut donc prendre grand soin d'occuper le terrain sans souffrir des malus qui peuvent lui être liés. Ce n'est pas toujours simple, même si vos troupes peuvent tirer partie de la structure hexagonale (qui offre six angles d'attaque possibles, donc deux de moins qu'auparavant) pour se soutenir mutuellement. Autre menace : les attaques à distance, perpétrées, par-dessus un ou plusieurs hexagones, par des unités heureusement très vulnérables au corps-à-corps. Quant aux cités adverses, elles ne manquent pas de répondant. Elles commencent par vous bombarder si, déclaré comme ennemi, vous stationnez près d'elles. Puis elles se défendent contre vos assauts, même sans unité en garnison, cette dernière ne servant qu'à booster leur puissance de feu et leurs points de vie. Les affrontements sont donc bien plus tactiques que par le passé. Il ne s'agit plus de produire en nombre des unités militaires (dont la construction a d'ailleurs été ralentie) et de les envoyer submerger une ville adverse après visite d'un espion. D'ailleurs, un regret : ces derniers ont disparu.
Ce n'est malheureusement pas la seule perte de Civilization V, puisque la politique et la religion n'y tiennent plus le même rôle. Ces deux volets sont désormais intégrés dans une nouvelle fonctionnalité : les politiques sociales, qui se présentent sous la forme de 10 arbres de développement dédiés chacun à une aspiration (tradition, liberté, piété, autocratie, rationalisme, commerce...). Chacune de ces politiques sociales comprend plusieurs branches à débloquer, moyennant des points de culture, avec différents bonus à la clé. Et si vous déverrouillez cinq arbres complets, vous pouvez alors vous lancer dans la construction du projet Utopia, qui représente la condition de victoire culturelle de cet opus. Le fonctionnement des politiques sociales reste tout de même sacrément superficiel, surtout en ce qui concerne la religion, qui ne semble plus avoir aucune influence sur les autres civilisations. A l'évidence, quelques dents vont grincer. Les trois autres conditions de victoire sont plus classiques puisqu'on retrouve la Domination (qui n'est autre que l'ex-mode Conquête renommé, puisqu'il s'agit d'être la dernière civilisation à posséder une capitale), la Science (être le premier à développer le programme Apollo en envoyant une navette sur Alpha du Centaure) et la Diplomatie (obtenir un nombre de votes suffisant aux Nations Unies).
Qu'en est-il de la condition de victoire basée sur l'émancipation territoriale et la progression de la population ? Elle a été abandonnée, et pour cause : Civilization V se déroule sur des cartes à échelle plus réduite, où les différents peuples sont, dès le départ, plus proches les uns des autres et où la géopolitique, définie précocement, ne variera plus guère que par les armes. L'exploration revêt donc une importance plus mesurée, même si elle permet, par exemple, d'être la première civilisation à découvrir les quelques Merveilles réparties sur la map (une nouveauté) et à profiter des bonus qu'elles octroient. Et au cas où vous voudriez conquérir les Océans, sachez qu'une unité déployée sur un hexagone maritime se transforme automatiquement en navire de transport (hérésie ! crieront certains). Pour le reste, inutile d'envoyer trop de colons fonder de nouvelles cités aux quatre coins du monde : l'expansion des villes est à la fois lente et coûteuse, sachant que vous pouvez tout de même, moyennant de l'or ou des points de culture, acheter des hexagones supplémentaires pour repousser les frontières de votre zone d'influence. Il semble préférable de se concentrer sur un réseau de 2/3 villes pas trop éloignées les unes des autres, et d'exploiter à fond les richesses alentours. Déjà amorcée dans Civilization IV, la primeur de la qualité sur la quantité est plus que jamais à l'ordre du jour dans ce nouvel opus, et ce n'est sans doute pas plus mal.
Venons-en enfin au changement majeur de Civilization V, celui qui chamboule complètement le déroulement des parties : la présence de Cités-Etats sur la carte du monde. En les découvrant, vous obtenez un peu d'or ; vous pouvez en rester là ou essayer de vous attirer leurs faveurs. Pour cela, vous devez remplir des quêtes (par exemple, détruire le camp de barbares qui menace leur sécurité), les protéger des agressions ennemies, ou tout simplement leur verser une coquette somme. Si une Cité-Etat vous est alliée, elle vous fournit régulièrement unités et ressources et vous épaule contre vos ennemis ; il est donc conseillé de la protéger en la prenant officiellement sous votre aile. De leur côté, les Cités-Etats ne vous attaquent jamais directement, mais sont susceptibles d'entrer en guerre grâce au jeu des alliances. En fin de partie, en attaquer une revient souvent à déclencher la Troisième Guerre mondiale ! Sachez pour finir que vous pouvez désormais choisir de ne pas annexer une ville conquise : en lui laissant son autonomie, vous éviterez le mécontentement de ses habitants qui continueront à travailler pour vous. L'arrivée des Cités-Etats dans Civilization V renforce donc considérablement la dimension stratégique du jeu. On peut toutefois regretter qu'elles occupent un rôle aussi prépondérant, déterminant la majorité de vos relations diplomatiques avec les autres civilisations.
Moins touffu que l'opus précédent mais nettement mieux fini, Civilization V se concentre sur de nouvelles fonctionnalités intéressantes (les politiques sociales, les Cités-Etats) et sur une refonte des affrontements particulièrement prometteuse pour décupler littéralement le potentiel stratégique propre à la série. Ajoutez à cela une interface remise au goût du jour, un multijoueur attendu au tournant et une gestion des mods plus efficace, et vous comprendrez pourquoi le nouveau jeu de Firaxis fédère tous les espoirs des fans de gestion/stratégie.