A une époque lointaine où le jeu de rôle informatique se limitait quasi-intégralement à parcourir d’interminables couloirs en exterminant tout ce qui avait le malheur de se présenter sur la route du héros, une série parmi toutes les autres est parvenue à se faire un nom en proposant une véritable approche du rôleplay en lieu et place de l’habituelle course à l’expérience. Initiée par Richard Garriott, la saga Ultima a marqué au fer rouge toute une génération de joueurs, et inspiré des références aussi célèbres que Dragon Quest ou Final Fantasy.
Lors de sa sortie, le quatrième épisode de la saga Ultima, sous-titré Quest for the Avatar, avait été une véritable révolution. C'était tout simplement le premier jeu de rôle où le but du jeu n'était pas d'aller tuer le grand méchant à la fin, mais de suivre un principe philosophique instauré par Lord British, le suzerain du royaume, afin de devenir l'Avatar, l'incarnation des huit vertus. Conscient de tenir là quelque chose de très intéressant, Richard Garriott ne créa pas pour Ultima V un nouveau monde à visiter, avec un nouveau héros à incarner : il s'agissait pour la première fois de revenir sur Britannia, le monde que l'on avait appris à connaître dans Ultima IV, aux commandes du même personnage, pour faire face à une nouvelle situation.
Vous incarnez donc l'Avatar. Alors que vous étiez revenu sur Terre pour reprendre votre vie quotidienne, vous voyez une nuit apparaître un étrange symbole qui n'a à vos yeux qu'une seule signification possible : on vous convoque sur Britannia ! A peine le temps de ramasser quelques affaires, et vous franchissez la porte de lune qui relie vos deux mondes. Votre arrivée va rapidement virer à la tragédie : votre ami Shamino, venu vous accueillir, est grièvement blessé par trois apparitions spectrales auxquelles il donne le nom de « Seigneurs des Ombres » (Shadowlords). Le temps de le mettre à l'abri, et vous apprenez que les choses ont bien changé en votre absence : le roi a disparu, le régent Blackthorn a élevé les vertus au rang de loi, et le mal erre de ville en ville. Bienvenue dans Ultima V ! Toute cette introduction vous sera narrée textuellement, accompagnée d'images fixes d'une très honnête qualité pour une réalisation en seize couleurs, avant de vous laisser créer votre personnage par un jeu de questions/réponses (ou bien, plus simplement, importer votre personnage d'Ultima IV). Puis vous commencez le jeu très exactement là où la présentation vous a laissé, et disposez d'une liberté totale pour aller visiter le monde qui s'offre à vous.
Pour bien comprendre pourquoi la saga Ultima – et cet épisode en particulier – est toujours aussi populaire, il est temps de procéder à une rapide présentation de la richesse du jeu. Toute la carte de Britannia est modélisée en vue de dessus, vous pouvez la parcourir en totalité, ainsi que le monde souterrain qui existe en contrebas, ce qui représente déjà une surface de jeu assez gigantesque. Lorsque vous entrez dans une ville ou un château, un changement d'échelle a alors lieu afin de pouvoir parcourir l'endroit plus en détail. Car il est vivant, le monde de Britannia ! Non seulement chaque personnage a quelque chose à vous dire, grâce à un système de discussion à base de mots-clefs, mais chacun d'eux a un emploi du temps : vous pourrez ainsi les voir attablés à midi ou sur leur lieu de travail en journée. De la même façon, les gardes suivent des relèves, et il faudra parfois observer leurs rondes pour accéder à des endroits protégés sans vous faire voir. Parcourir les villes et interroger chaque citoyen donne ainsi lieu à une passionnante enquête, d'autant que certains personnages ne seront loquaces qu'à certaines heures, à l'image de ce somnambule beaucoup plus bavard pendant son sommeil que lorsque vous l'interrogez dans la journée…
Bien entendu, un RPG n'en serait pas un sans un solide système de combat. Lorsque vous rencontrez un monstre errant, le combat se déroule alors dans une zone à part, qui vous permet de déplacer individuellement chacun des membres de votre groupe en tour par tour tandis que les monstres en font autant, un peu comme dans les tactical RPG actuels. Les monstres ne se cantonnent d'ailleurs pas à avancer en frappant : ils lancent des sortilèges, prennent le contrôle des membres de votre groupe, se divisent et se multiplient, ou parfois même convoquent des renforts, ce qui fait que les combats de haut niveau n'ont rien d'une promenade de santé. Le système de magie d'Ultima V, à base d'ingrédients à mélanger et de syllabes à prononcer, est d'ailleurs excellemment pensé. De la même façon, les donjons sont passionnants : leurs couloirs se visitent à la première personne, avant de revenir à la vue traditionnelle lorsque vous rentrez dans une salle. Vous y trouverez de nombreuses énigmes, des passages secrets par dizaines, et de véritables casse-tête qui sauront vous tenir en haleine un bon moment. Entrer dans les donjons sera d'ailleurs une quête en soi, ne parlons même pas du fait d'en ressortir vivant…
Cartographier les donjons, préparer minutieusement les expéditions, mener l'enquête dans les villes, explorer le moindre recoin du royaume et du monde souterrain, tout cela a déjà de quoi vous garder occupé un bon moment. Mais n'oubliez pas que vous êtes toujours l'Avatar : il est hors de question pour vous d'aller vous servir chez les gens, comme c'était pourtant la norme dans tous les jeux de rôle de l'époque, ou même d'aller vider les coffres du château. La moindre action contraire aux vertus vous fera perdre du karma, ce qui vous compliquera sérieusement la tâche, beaucoup de personnages importants n'étant disposés à vous aider que s'ils reconnaissent effectivement en vous l'Avatar. De la même façon, il faudra parfois être prêt à laisser fuir les monstres blessés ou à donner de confortables sommes aux mendiants que vous croiserez : Ultima, où la fin du héros kleptomane et sanguinaire ! Beaucoup de jeux de rôle actuels pourraient encore en tirer des leçons…
Résumons : une aventure longue, fascinante, dans laquelle le joueur se sent impliqué de la première à la dernière minute, un monde crédible et vivant où chacun vit sa vie, des thèses, des complots, des révélations, des coups de théâtre… Il est facile de comprendre comment la saga Ultima a gagné ses lettres de noblesse, et pourquoi elle a inspiré durablement une très large partie de la production informatique. Par son ambiance particulièrement lourde, ou le héros devient soudain une bête traquée par le royaume qu'il avait sauvé, le cinquième épisode reste encore aujourd'hui une référence incontournable, apte à fasciner plusieurs générations de joueurs.
- Graphismes12/20
Le mot qui résume la réalisation est : simplicité. La version PC ne fait que reprendre les graphismes, forcément basiques, de la version originale sur Apple II. Malgré tout, le monde est vivant : les monstres et les personnages sont tous animés. On peut voir le courant de l’eau, le jour et la nuit sont gérés, il existe plusieurs types de graphismes au sein des donjons… Bref, on ne touche certes pas à la virtuosité, mais l’univers graphique reste cependant efficace.
- Jouabilité14/20
Ancienneté oblige, n’imaginez pas jouer au jeu sans une lecture poussée du manuel. Le titre n’est pas pour autant une usine à gaz. Une heure après l’avoir lancé, on maîtrise l’intégralité de l’interface à la perfection. Mention spéciale au système de magie, particulièrement bien fichu, aux combats qui n’ont pas pris une ride, et aux différents sortilèges de cartographie qui vous simplifieront fortement la tâche au moment de tenir les plans des donjons. A noter également la présence d’une carte en tissu et d’un packaging superbe qui aident à entrer dans l’univers encore plus facilement.
- Durée de vie16/20
Finir le jeu pour la première fois vous demandera d’en visiter scrupuleusement chaque recoin, et de tirer de chaque personnage toutes les informations qu’il a à vous livrer. Vaincre la totalité des donjons n’est pas nécessaire, mais le jeu regorge de suffisamment d’éléments de quêtes à résoudre (ouvrir les donjons, apprendre les mantras, découvrir l’origine et le but des Seigneurs de l’Ombre, récupérer les artefacts du roi…) pour pouvoir y passer un bon bout de temps. Comptez au grand minimum une cinquantaine d’heures.
- Bande son/
Quelques « bips » lâchés par le beeper PC, et rien d’autre.
- Scénario17/20
Certes, on ne s’attendra pas ici à retrouver les centaines de milliers de lignes de dialogue d’un Planescape Torment. Mais replacé dans le contexte de l’époque, le royaume de Britannia, son histoire et ses turpitudes étaient un véritable direct à l’estomac, un endroit qu’on apprenait à connaître comme chez soi, et surtout un monde fascinant qu’il était très difficile de quitter, même lorsque les paupières étaient lourdes, et que le soleil se levait… S’impliquer à ce point dans la vie quotidienne de Britannia pour comprendre le rôle qu’on est censé y jouer plutôt que de se contenter d’aller tuer le prochain monstre, voilà qui était particulièrement rafraîchissant à l’époque, et qui l’est d’ailleurs tout autant aujourd’hui.
Plus de vingt ans après sa sortie, Ultima V a encore beaucoup de choses à apprendre aux jeux de rôle contemporains. Grâce à une histoire prenante, à un monde parfaitement bien pensé, à un système de combat rodé depuis le début de la saga et à des donjons qui restent aujourd’hui des modèles du genre, cet épisode a encore de quoi séduire tous les joueurs qui seront prêts à oublier les réalisations sublimes en 3D et à revenir à une époque où l’imagination était l’outil le plus puissant pour vivre d’inoubliables aventures.