Pratiqué depuis des décennies dans les cours de récréation, devenu un concept vendeur avec l'avènement de la télévision puis des jeux vidéo, le jeu des gendarmes et des voleurs conserve un inégalable pouvoir d'attraction. David Jones, le créateur de Grand Theft Auto et de Crackdown, en est bien conscient, et nous propose d'ailleurs de tenter à nouveau l'expérience dans APB : All Points Bulletin, un GTA-like massivement multijoueur en ligne.
San Paro était une de ces mégapoles modernes rongées par la criminalité et la violence, jusqu'à ce que l'assassinat de son maire, John Derren, ne la fasse basculer dans le chaos le plus total. Il fallut l'élection de la propre fille de Derren, Jane, pour voir la ville retrouver un semblant de stabilité : en armant une partie de la population pour surveiller et punir les délinquants, ce fin stratège réussit son coup. Les gangs de criminels et les milices corrompues se livrent désormais une lutte acharnée dans les rues de San Paro qui fait de nombreuses victimes collatérales parmi la population, mais au moins cette guérilla urbaine motorisée a-t-elle permis de ramener un équilibre précaire. Et vous, de quel côté allez-vous vous ranger ? C'est la première question qui vous est posée par APB : All Points Bulletin, le premier MMOG de Realtime Worlds, qui tente plus ou moins de reproduire, dans le cadre d'un univers persistant, l'expérience multijoueur offerte par un Grand Theft Auto IV.
Le principe est simple : quel que soit le camp choisi, celui des criminels ou des justiciers, vous prenez part à une série de missions qui vous opposent à d'autres joueurs aux motivations inverses. Au fil de vos succès, votre personnage se dote d'un meilleur équipement. Mais cette possibilité d'évolution ne fait pas pour autant d'APB un véritable MMOG, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, outre le découpage de la ville en trois districts, il faut savoir que ces derniers sont instanciés et n'accueillent que 100 joueurs au maximum, ce qui n'est pas l'idée qu'on se fait d'une population « massive ». D'autre part, sauf exception dont nous reparlerons en temps voulu, il est impossible d'ouvrir le feu sur un joueur de la faction adverse s'il ne vous est pas opposé dans le cadre d'une mission. Le PvP ouvert n'est donc pas au programme. En même temps, on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait rendu le déroulement des missions un tantinet chaotique. On pourra en juger dans quelques mois, avec l'arrivée promise par les concepteurs d'un district Chaos qui promet des affrontements à plus grande échelle. Dans l'état actuel des choses, APB ne se distingue guère du mode multi d'un GTA IV. L'action simultanée des autres groupes de joueurs sert surtout à assurer l'ambiance (ça canarde dans tous les sens, les véhicules accidentés explosent, les passants s'enfuient apeurés...), mais chacun œuvre en réalité dans son coin. Vos actes n'ont, de toute façon, pas la moindre influence sur le monde environnant, bien trop statique.
Dans ces conditions, il paraît difficile de justifier la souscription mensuelle proposée. Mais bien conscient de l'orientation de son bébé, qui est un mauvais MMO mais un bon titre multi, Realtime Worls vous offre 50 heures de jeu gratuites (qui ne se consument que dans les districts de missions) et la possibilité d'acheter des packs de 20 heures à un tarif plutôt raisonnable. Voilà qui colle déjà beaucoup mieux à l'optique d'APB, bien plus sympa lorsqu'il est pratiqué à petites doses de temps en temps entre potes. Car si le principe n'est ni très profond ni très original, il offre un fun immédiat et un dynamisme constant. C'est bien simple : aussitôt connecté, vous êtes dans le feu de l'action. Tout comme dans City of Heroes, la progression est construite autour d'un système de contacts qui vous proposent des missions à distance. Une fois la tâche acceptée, vous remplissez une série d'objectifs successifs qui permettent de la faire évoluer. On vous demande par exemple d'aller chercher un véhicule, puis de l'utiliser pour récupérer plusieurs livraisons, avant de devoir faire face à des adversaires désireux de s'en emparer.... La particularité qui fait la force d'APB, c'est que les missions n'impliquent jamais aucun PNJ ; elles sont conçues pour confronter des joueurs aux objectifs opposés. De deux choses l'une : soit vous optez pour la création manuelle de groupe afin de jouer avec vos amis ou avec votre clan, soit vous êtes seul et vous avez alors la possibilité de demander au jeu de vous trouver automatiquement des coéquipiers.
Dans les deux cas, un système de matchmaking se charge de vous opposer à un groupe de la faction adverse. Aussi performant soit-il, il reste tributaire du faible nombre de joueurs présents sur chaque instance, qui conduit parfois à tomber sur des adversaires avec un niveau de menace et un rang supérieurs au vôtre, c'est-à-dire des joueurs mieux équipés et plus puissants. Heureusement, en cas de déséquilibre dans les forces en présence, vous avez la possibilité d'appeler en renfort d'autres groupes de joueurs de votre faction, sachant que la mission peut impliquer jusqu'à 20 participants de chaque côté. Mener à bien une mission permet d'abord d'augmenter votre niveau de réputation auprès du contact qui vous l'a confiée et de l'organisation à laquelle il appartient, ce qui vous donne accès à un meilleur armement et à de nouveaux éléments de customisation pour votre personnage et votre véhicule. Mais cela vous octroie également du prestige (pour les justiciers) ou de la notoriété (pour les criminels). Cet axe de progression temporaire influe sur vos gains de réputation et permet de compenser ponctuellement l'absence de full PvP : au niveau maximum, vous obtenez la possibilité de tirer sur n'importe qui et devenez une cible de choix pour tous les joueurs du district. Une autre fonctionnalité favorise les interactions entre joueurs : si un criminel peut effectuer de mauvaises actions (casser des vitrines, voler des voitures) en marge des missions, un justicier a la possibilité de signaler tout crime constaté et de pourchasser/arrêter le joueur impliqué.
Aussi bien conçues soient-elles, les missions sont trop peu variées et deviennent vite répétitives. Ce qui préserve leur intérêt sur le moyen terme (on évitera de parler du long terme), c'est leur dimension PvP : un adversaire humain restant imprévisible, une mission déjà jouée X fois peut encore vous réserver des surprises. Il faut dire que les affrontements proposés par APB, qu'ils soient motorisés ou non, jouissent d'un dynamisme certain, bien que la prise en main ne soit pas forcément des plus intuitives. De fait, si c'est un véritable plaisir pour les passagers que de pouvoir tirer par la fenêtre d'une voiture ou par la porte ouverte d'une camionnette lors d'une course-poursuite, le conducteur devrait pour sa part connaître son lot de sueurs froides tant la conduite des véhicules se montre rigide et parfois crispante. On s'y fait à la longue, mais quand même ! Qui plus est, il y a fort à parier que vous aurez du mal à négocier vos premiers gunfights. Simples dans leur approche, ils demeurent pourtant trop confus, la faute à une caméra mal fichue qui rend parfois la visée difficile, ou encore à l'absence quelque peu gênante de jauge de vie : si vous savez pertinemment quand vous êtes blessé puisque l'écran se grise, vous avez par contre du mal à savoir quand vous touchez votre adversaire, la gestion de la hitbox se révélant assez déconcertante. D'aucuns reprocheront également l'équilibrage perfectible des armes (certaines ne servent à rien, d'autres sont indispensables), qui demande à être corrigé.
Pourtant, s'ils se montrent perfectibles en comparaison des TPS solos qui inondent le marché, les combats d'APB restent plaisants parce qu'ils profitent d'un excellent level design. Les objectifs de missions se situent souvent dans des lieux bien choisis offrant une réelle variété d'approches et un terrain de jeu idéal pour les embuscades (c'est toujours un plaisir que d'arriver par les toits pour surprendre l'ennemi qui vous attend planqué derrière une poubelle). De manière générale, la ville de San Paro est extrêmement bien agencée. La taille des districts, bien étudiée, permet aux joueurs de se croiser souvent. On a grand plaisir à foncer dans les rues en bousculant les passants, en escaladant des barricades où en enfonçant des portes pour rallier au plus vite l'objectif d'une mission. Starsky et Hutch et Deux Flics à Miami ne sont jamais très loin ! Cette immersion réussie s'appuie sur une dimension sonore particulièrement efficace, à commencer par un système de chat vocal permettant d'entendre les autres joueurs (quelle que soit leur faction) discuter localement pour peu que vous vous en rapprochiez assez. Déjà expérimenté dans d'autres titres multi, il est intégré ici de façon vraiment convaincante. Au niveau visuel, on se montrera plus réservé. Si les personnages et les véhicules ont été modélisés avec soin et finesse, les environnements génériques et trop peu texturés évoquent un Second Life remis au goût du jour. Alors comment expliquer ces temps de chargement à la limite du supportable et la lourdeur de la configuration requise ?
C'est bien simple : si APB se montre aussi gourmand en matière de ressources et de sollicitation des serveurs, c'est qu'il vous permet de modifier à peu près tout à votre guise, à la faveur d'un système de customisation ultra complet. En l'absence de classe de personnage et de feuille de statistiques, et si l'on excepte la possibilité de bénéficier de quelques améliorations et de débloquer des rôles (ouvrant à des avantages) en fonction de votre façon de jouer, la personnalisation de votre avatar reste essentiellement cosmétique. Il fallait donc que le jeu assure sur ce terrain, et le contrat est rempli : l'éditeur, dont la puissance et la souplesse n'ont rien à envier à celui de Champions Online, vous permet de modifier à souhait votre physionomie, vos vêtements, vos tatouages ou vos véhicules en changeant couleurs, motifs, décals à appliquer... Il est même possible de créer ses propres symboles, et si la (relative) complexité de l'outil a de quoi effrayer quiconque voudrait plonger les mains dans le cambouis, le résultat en vaut la chandelle. Bref, si vous croisez votre clone dans le jeu, c'est vraiment que vous l'avez fait exprès ! Et pour être complet, sachez que vous avez la possibilité d'importer et de faire entendre vos propres mp3, ou bien encore de composer votre « thème de mort » perso, c'est à dire celui que vos victimes entendront lorsque vous leur porterez le coup fatal ! Cerise sur le gâteau, c'est dans le district social, où le temps de jeu restant n'est pas décompté que vous avez accès à tout ce volet personnalisation. On apprécie !
- Graphismes14/20
Si l’animation des personnages est correcte (exception faite des sauts), si les véhicules et les dégâts sont superbement modélisés, il faut composer avec des décors fades et sans personnalité, qui sont souvent trop peu texturés pour faire impression. Reste la possibilité de personnaliser tout ce qu’on veut selon ses souhaits, une fonctionnalité qui permet de relever cette note graphique.
- Jouabilité15/20
La prise en main n’est pas forcément évidente, le maniement des véhicules étant rigide et les gunfights un peu confus. Mais on finit par s’y faire au bout d’un moment, pour se concentrer sur des possibilités d’action somme toute nombreuses et vraiment grisantes même si les missions ont tendance à se répéter. Bref, on s’amuse et voilà bien le principal !
- Durée de vie12/20
Soyons clairs : APB n’a pas grand-chose d’un MMOG et propose une expérience finalement très proche du mode multijoueur d’un GTA IV, à apprécier au gré de courtes sessions régulières. Ceci étant, il faut bien reconnaître que le titre manque un peu de contenu et de modes de jeu. On espère voir arriver très vite le fameux district Chaos promis par Realtime Worlds.
- Bande son18/20
Un quasi sans-faute. La tracklist, qui n’a rien à envier à celle d’un GTA, est entièrement personnalisable avec vos propres mp3. Vous pouvez même composer votre « thème de mort » perso. L’ambiance sonore, très efficace (ça canarde, ça explose et ça crie en permanence), s’appuie sur un chat vocal local superbement intégré. L’utilisation d’un micro est vivement recommandée !
- Scénario9/20
La toile de fond, qui se limite à la cinématique d’intro et aux fiches de background de vos contacts, est un peu légère. Mais ce n’est pas vraiment gênant dans un jeu très orienté action. Le vrai problème, c’est que les missions, a priori variées (voler un véhicule, éliminer une cible, protéger un lieu donné...), font preuve d’une redondance trop prononcée.
En réduisant considérablement l’importance des PNJ et en remettant la coopération et l’opposition entre joueurs au centre du système, APB : All Points Bulletin était bien parti pour révolutionner un genre désormais retranché dans ses certitudes. Hélas, l’absence de PvP ouvert, le manque d’influence sur le monde environnant et l’instanciation prononcée de l’univers tuent dans l’oeuf une dimension MMO pourtant prometteuse. Realtime Worlds a préféré accoucher d’un jeu moins ambitieux mais susceptible de procurer une dose de fun immédiate, tout en confiant au joueur de nombreux outils de personnalisation. Qu’on apprécie ou non ce parti pris, on ne peut s’empêcher de penser que sur le long terme, APB est condamné à s’essouffler. Pour l’heure, il reste un jeu diablement prenant, à savourer entre potes, un casque-micro sur les oreilles.