Attendu avec impatience par une bonne tripotée de joueurs avides de FPS en cette période estivale généralement avare en nouveautés, Singularity nous propose une aventure sympatoche, centrée sur le concept de manipulation du temps. Les amis, l'heure est venue de tuer plus ou moins efficacement le temps en triturant ce dernier dans tous les sens.
Si Singularity fait preuve d'un certain raffinement pour ce qui est de son scénario, la séquence d'ouverture et le pitch de départ ont tout de même un méchant arrière-goût de déjà-vu. Normal pour un jeu qui fait du temps sa matière première remarquez. Bref, dans les grandes lignes, Singularity débute comme un tombereau d'autres jeux du même genre. On se retrouve effectivement dans l'uniforme tout neuf d'un gentil soldat américain de 2010, mandaté par son état-major pour enquêter sur des anomalies émanant de Katorga 12, une île située au large de la côte orientale de la Russie. Comme on peut s'y attendre, les deux hélicos de l'équipe de reconnaissance vont évidemment s'écraser comme des bouses et vous laisser tout seul sur place, en slip qui plus est. Très vite, vous allez découvrir qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'île fut utilisée pour mener toutes sortes d'expériences scientifiques sur l'E99, un élément rare qui dans certaines conditions, rend possible l'altération de la nature même du temps.
A partir de là, Singularity va déployer un scénario assez complexe à base d'histoire alternative, d'actes à changer dans le passé (les années 50 en l'occurrence), de théories scientifiques, d'honnêtes citoyens zombifiés par l'E99 et de méchants pas propres en quête de domination mondiale. Avouons-le, à trop vouloir bien faire, Raven se prend un petit peu les pieds dans le tapis et donne finalement naissance à une histoire digne d'une grosse série B. Reste que l'ambiance est là, dans la première partie du jeu tout du moins. Progresser à travers les restes d'un gigantesque complexe désaffecté, avec ses quartiers d'habitation d'après-guerre et ses installations variées agrémentés de macchabées plus ou moins bien conservés fait naître un délicieux sentiment d'angoisse. Car voyez-vous, Singularity lorgne plus que de raison du côté d'un certain BioShock pour donner vie à son univers désuet en pleine décomposition. Même si le soft reste bien plus linéaire que le bébé de 2K, il regorge de notes écrites et de journaux audio censés vous donner un aperçu de ce qu'ont vécu les habitants de Katorga 12. Autre similitude avec le FPS sous-marin évoqué à l'instant : la présence d'une multitude de valises, de bennes à ordures et autres casiers à examiner pour récupérer des munitions et autres trousses de soin.
A tout cela se greffent bien évidemment quelques généreuses marées temporelles, vous plongeant régulièrement dans les années 50 pour y faire des trucs et y voir des gens que nous vous laissons le soin de découvrir. Car au fond, votre véritable souci, ce sera davantage de survivre aux troufions russes en maraude et aux représentants de la faune locale. Résidus d'humanité (ou de bestioles moyennement identifiables) déformés par l'E99, beaucoup de ces derniers ne pourront souvent être abattus qu'en manipulant le temps. Chance inouïe, vous allez rapidement tomber sur un Manipulateur Temporel (MT pour les intimes), un gadget qui tient autant de la montre bracelet que du gant de toilette de Robocop. En effet, le bousin vous offre la possibilité de perturber le cours du temps dans un sens comme dans l'autre. Dans un premier temps, le MT vous permettra ainsi de faire vieillir les ennemis jusqu'à les réduire en poussière et de générer une onde de choc pour repousser les créatures un petit peu trop entreprenantes.
Mais au fur et à mesure de votre progression, le MT pourra être amélioré et développer de nouveaux pouvoirs : soulever des objets imposants pour les projeter sur l'ennemi, générer des sphères de stase dans lesquelles le temps sera stoppé pendant quelques secondes, transformation d'un humain de base en zombie désireux d'aller bouffer ses potes, etc. Autant de charmants usages qui nous permettront de mettre à mal l'adversaire. Le tout s'associe évidemment à des armes plus conventionnelles (fusil-mitrailleur, shotgun, pistolet, snipe, sulfateuse type gatling) ainsi qu'à une petite sélection d'armes modifiées à l'E99 qu'on ne pourra malheureusement utiliser qu'à des moments clés. On pense notamment au bien nommé Seeker, dont les projectiles pourront être contrôlés directement, histoire d'aller arracher des bras ou faire exploser une tête. Malgré cela, il faut reconnaître que dans l'ensemble, l'armement de Singularity manque singulièrement (wouhoo !) de patate. Pour dire ça avec élégance, on a souvent l'impression de tirer des boulettes en papier sur des ennemis en mousse. Et pour couronner le tout, l'IA n'est pas franchement des plus mirobolantes, si bien que les gunfights - qui constituent l'essence (avec plomb) d'un FPS tout de même – apparaissent souvent trop mollassons.
Aussi, pour cacher la misère et détourner notre attention, Singularity tente de nous offrir notre quota d'énigmes temporelles. Car le fait est que le MT ne sert pas seulement à pulvériser du malandrin, mais également à triturer l'environnement, enfin, disons plutôt certains objets très précis, à des moments bien déterminés qui plus est. Exemple : bibi se retrouve coincé dans une ruelle sans issue apparente. En observant le décor, bibi finit par remarquer une passerelle qui s'est effondrée. Qu'à cela ne tienne vieille branche, un petit coup de MT sur les débris et hop, la passerelle va rajeunir, se reconstituer et ainsi, ouvrir une voie qui permettra à bibi de continuer à progresser. Et comme pour le vieillissement accéléré des ennemis, rien ne vous empêchera non plus de détériorer rapidement quelques objets en faisant s'écouler le temps plus vite. Pratique pour attraper d'une caisse aperçue derrière une barrière ou un mur : on liquéfie le machin, on s'en saisit en faisant passer ses restes par une fente que l'on pensait impraticable, et hop, on reconstitue la caisse de l'autre côté. Ne restera plus alors qu'à poster cette dernière au bon endroit pour nous aider à grimper un bout de mur.
Mais le truc, c'est que la plupart de ces petits challenges, même si alléchants sur le papier, s'avèrent généralement simplistes, pas originaux pour un sou et souvent redondants (vous allez manipuler une sacrée tripotée de caisses). Pire, certains font franchement artificiels. Vous n'allez pas me dire que notre beau Marine n'est pas capable de passer par dessus un mur d'un mètre vingt et qu'il doit nécessairement aller se trimballer une caisse pour le franchir ? Pourtant, c'est exactement ce que Singularity nous propose. Bon, le cas est extrême, mais est assez représentatif de la maladie du jeu : l'idée du MT est super sympatoche, mais mal exploitée. Une fois encore, Singularity semble vouloir faire dans le BioShock, mais sans en avoir jamais la trempe. Transition toute trouvée pour évoquer un dernier aspect du jeu, aspect qui se révèle tout de même assez réussi. A défaut de plasmides et de fortifiants, le jeu de Raven nous offre la possibilité de l'E99 et de s'en servir pour booster la puissance du MT ou les compétences du héros (précision, nombre de kits de soin, santé accrue, durée du sprint). Cela ne changera pas radicalement le résultat final, mais ces possibilités ont le mérite d'exister et de nous faciliter la traversée d'une campagne d'une huitaine d'heures, globalement bien ficelée, mais sans génie.
Une fois les mystères de Katorga 12 éclaircis, il ne vous restera plus alors qu'à vous pencher sur le multijoueur, que nous n'avons pas été en mesure d'essayer comme il se doit, faute de joueurs. Vous devez néanmoins savoir que le multi de Singularity est capable d'accueillir jusqu'à 12 participants et propose deux modes distincts : Match à mort en équipe et Extermination. C'est de loin ce dernier qui devrait attirer votre attention puisqu'il verra s'affronter une équipe de Soldats contre une équipe de Créatures pour le contrôle de territoires. L'intérêt réside en effet dans un gameplay qui fait la part belle à des classes spécialisées. Du côté des monstres, on joue à la troisième personne et on cherchera toujours le corps-à-corps, que l'on soit dans la peau d'un Zek capable de bondir sur l'ennemi comme un Ezio à pustules, dans celle d'une petite Tique susceptible de marcher sur les murs, dans celle d'un Inversé vomissant ou dans la grosse carcasse d'un Radion, une sorte de tank insectoïde. Les Soldats en revanche se servent des armes de base déjà rencontrées dans le solo (mais sans MT) et possèdent tous une capacité spéciale : téléportation limitée, onde de choc pour repousser les bestioles, guérison et enfin camouflage. Difficile pour l'heure de dire si tout cela est bien équilibré, mais l'ensemble apparaît tout de même des plus séduisants. On doute cependant que le seul multijoueur constitue un véritable argument de vente, il s'agit tout au plus d'un petit bonus agréable.
- Graphismes13/20
Singularity offre un rendu général assez inégal, souvent marqué par une bonne couche d'aliasing (sur consoles tout du moins) et par des textures assez grossières. Le jeu se rattrape par quelques environnements bien glauques assez détaillés ainsi que par quelques effets de bonne facture. L'ensemble reste tout de même très plat.
- Jouabilité12/20
Malgré sa volonté de se distinguer de ses innombrables congénères en nous permettant de manipuler le temps dans tous les sens, Singularity reste désespérément quelconque. Ses petites idées sont mal exploitées pour la plupart et ses gunfights trop mous. Le soft semble en outre vouloir se calquer sur BioShock par tous les moyens, mais ne parvient que très rarement à se rapprocher de son modèle, tout en perdant au passage une partie de son identité.
- Durée de vie11/20
Comptez entre 7 et 8 heures pour faire le tour du jeu, sans doute plus si vous souhaitez vous amuser à ramasser tous les kits d'amélioration d'armes. Quant au mutltijoueur, il semble plutôt sympathique, mais fait davantage office de joli bonus que d'expérience à part entière. On y passera sans doute quelque temps, avant de partir sur autre chose pour ne plus y revenir.
- Bande son15/20
Un environnement sonore soigné, avec des soldats qui gémissent avec ferveur et des monstres qui hurlent généreusement. Le reste est tout aussi convaincant et permet généralement de se plonger au coeur de l'action. Les compositions musicales sont plus inégales et oscillent entre la série B et les morceaux plus inspirés, capables de faire naître un peu de tension dans les recoins les plus sombres.
- Scénario13/20
Beaucoup d'efforts ont été consentis pour donner de la consistance à l'univers de Singularity. Notes, journaux audio très nombreux, vieilles vidéos qui fleurent bon la guerre froide, tout est là pour nous mettre dans le bain. Dommage que le scénario en lui-même - pourtant servi par une jolie intrigue à base d'Histoire alternative et de passé à modifier - s'essouffle au contact de situations qui elles, restent résolument classiques. Les premiers niveaux du jeu s'avèrent néanmoins excellents et parviennent à faire naître un véritable sentiment d'oppression.
La note paraîtra sans doute sévère à certains, mais le fait est que Singularity n'est finalement qu'un FPS de plus, sympathique, plein de bonne volonté, mais beaucoup plus convenu qu'il ne cherche à le faire croire. Ses bonnes idées ne donnent pas lieu à de véritables situations inédites, aussi bien au combat que dans les séquences de "réflexion". Le titre ne livre en effet que quelques rares moments de bravoure, perdu au milieu d'un océan de fusillades un petit peu trop molles pour leur propre bien. On traversera donc l'aventure sans réel déplaisir, mais sans jamais grimper aux rideaux non plus. Dommage.