Découvrir Distant Worlds, c'est un peu comme découvrir un groupe de musique industrielle. Au début, on ne comprend rien, ça agresse les sens, on se demande ce qu'on fait là avec perplexité. Puis petit à petit, à force de persévérance, on se rend compte qu'en fait c’est vraiment pas mal... même si on continue à ne pas y comprendre grand-chose...
Dernièrement, l'espace avait été un peu déserté par un genre qui avait fait sa gloire : le jeu de stratégie 4X (pour eXpansion, eXploration, eXtermination et eXploitation). Exit donc les Master of Orion et autres Galactic Civilizations, remplacés par des space operas, des RTS ou même des MMO. Les pauvres stratèges qui rêvaient de mettre à genoux des galaxies entières et de réduire en esclavage des milliards d'êtres vivants sont donc restés un peu sur leur faim. C'était sans compter le retour en force de jeux 4X à la fin des années 2000, avec des titres plutôt bons (comme Armada 2526) et d'autres un peu légers (Sword of the Stars). Le dernier représentant du genre est donc Distant Worlds et force est de constater que le joujou de Codeforce – développé en tout et pour tout par deux personnes – a de l'ambition.
Évacuons tout d'abord le gros point noir : oui, Distant Worlds est moche. Les planètes et les vaisseaux sont de vulgaires sprites en 2D qui se déplacent sur un fond d'écran statique représentant le reste de l'univers. Cette débandade graphique est d'autant plus dommage que les quelques artworks qu'on peut apercevoir sont eux plutôt réussis. Mais non content d'offrir un design graphique qui laisse à désirer, Distant Worlds est aussi caractérisé par une ergonomie quasi-incompréhensible : le joueur croule sous les informations et il est fort probable que votre cerveau panique en voyant le contenu de l'écran de recherche ou de création de vaisseaux. Des chiffres, des petits icônes partout, des tableaux, des graphiques... La quantité de données à assimiler est impressionnante et risque de faire fuir pas mal de joueurs potentiels, voire de provoquer certains comas.
Il faut dire que Distant Worlds est un jeu qui s'adresse à une cible bien définie : les pros, les vrais, les mecs qui s'amusent à faire des statistiques pendant les pauses cigarette, bref aux hardcore gamers. Mais pour autant, le titre fait un minimum d'effort pour se rendre accessible au public. En dehors de la Galactopedia bien utile (mais en anglais), on trouve donc deux tutoriaux, qui permettent d'aborder – un peu trop rapidement – les bases du jeu. Une fois ces derniers complétés, il ne reste plus qu'à lire le manuel avant de faire le grand pas et de se lancer. Le joueur peut choisir une partie rapide ou bien définir lui-même les caractéristiques de la galaxie qui lui servira de terrain de jeu : nombre de systèmes (entre 100 et 1.400 – chaque système pouvant contenir jusqu'à 15 planètes), nombre d'empires présents, vitesse de la recherche technologique, niveau de présence des pirates ou de la vie extraterrestre, thé ou café à 16h…
Première surprise une fois la partie lancée : fini le tour-par-tour des illustres ancêtres. Distant Worlds est un jeu en temps réel. Cette véritable révolution dans le monde du jeu 4X dans l'espace donne au titre des airs de ‘Europa Universalis Galactique'. Et comme dans le jeu de Paradox, on peut augmenter ou réduire la vitesse et mettre le jeu en pause avec la barre espace. Une pause salvatrice, tant il est facile de se perdre au milieu de la dizaine de menus accessibles : en plus de la recherche et de la création des vaisseaux, il y a un menu pour la diplomatie, pour l'espionnage, pour gérer les flottes, les planètes, les troupes au sol, pour avoir une vue d'ensemble de la galaxie...
Comment gérer une telle masse d'informations ? Il n'y a pas de secret : au début, c'est tout simplement impossible. D'où le coup de génie des types de Codeforce qui ont créé un assistant pour filer un coup de main au joueur. Un menu permet de choisir quelle partie du gameplay laisser entre les mains de l'IA, mais il est à tout moment possible de reprendre le contrôle du jeu voire de travailler de concert avec l'assistant. Dans le même ordre d'idées, le comportement de n'importe quel vaisseau ou bâtiment peut être laissé aux petits soins de l'IA : il suffit de sélectionner une unité et d'appuyer sur A pour que celle-ci passe en mode automatique. Vos vaisseaux de construction iront donc établir des mines sur les planètes inexploitées, vos frégates iront chasser les pirates qui traînent et vos satellites iront explorer les systèmes voisins, sans une seule intervention de votre part. Seul hic : cette aide est parfois infantilisante. « Bon allez, je vais coloniser cette planète-là... Ha, c'est déjà fait. Tant pis ‘'Bip – Je vous conseille de construire 4 frégates et 2 Escorteurs Euh, okay, si tu le dis... ‘'Bip – Je vous conseille de proposer un traité de commerce à la Dictature Populaire Utopiste des Haakut Bon, d'accord ». Bref, pendant un moment, le débutant se contente de laisser l'assistant agir en essayant de comprendre ce qu'il se passe.
Ce système d'assistance par l'ordinateur est complété par une autre nouveauté introduite par Distant Worlds : la distinction entre secteur public (tous des feignants) et secteur privé (saletés de capitalistes). Le secteur public représente plus ou moins ce que l'on dirige dans un jeu de ce genre : les flottes, les vaisseaux de constructions, les spatioports, la diplomatie, la recherche… Tout cela reste entièrement entre les mains du joueur (sauf s'il s'en décharge sur l'assistant). Le secteur privé représente les entrepreneurs et marchands qui en font selon leur bon vouloir : navires de commerce, cargos, installations minières, etc. Il est lui complètement indépendant et ne peut recevoir d'ordres. Et bien entendu, tout ce beau monde est sans défense face aux pirates ou aux limaces géantes qui peuplent la galaxie. Il faut donc veiller à ce que nos charmants capitalistes ne se fassent pas dévorer ou rançonner entre deux systèmes, sans quoi l'économie de l'empire risque de prendre un sérieux coup dans l'aile. La recette d'un développement équilibré repose ainsi sur une symbiose entre ces deux secteurs : le secteur privé produit des revenus pour le secteur public qui doit à son tour assurer la défense des lignes commerciales.
Enfin, autre petit point de gameplay intéressant : les événements aléatoires. Au cours de l'exploration de la galaxie, le joueur va tomber sur tout un tas de vieux trucs qui traînent. Disques de données offrant une nouvelle technologie, vaisseaux-mères abandonnés dans un champ d'astéroïdes, ruines d'une civilisation éteinte offrant un bonus de défense, carte de la galaxie en partie décryptée, message annonçant l'arrivée d'une race destructrice… Tout cela, ajouté au va-et-vient des vaisseaux de commerce et des flottes, contribue à donner l'impression que le monde de Distant Worlds est vivant malgré son look peu aguicheur. De quoi faire oublier des défauts comme les limites de l'IA ennemie en matière de diplomatie ou son incapacité à créer des vaisseaux viables. En guise de conclusion, remarquons l'absence d'un mode multijoueurs. Il est vrai que le jeu ne s'y prête pas trop, mais si cela existe sur Europa Universalis et Victoria, pourquoi pas là ?
Distant Worlds est donc un titre extrêmement touffu, certainement pas accessible à tout le monde. Cependant, pour peu qu'on s'en donne la peine, il cache une profondeur et une complexité rarement égalée dans un jeu récent. Comme quoi tout ne devient pas plus simple et plus accessible dans les jeux vidéos.
- Graphismes10/20
Avec ses petits sprites en 2D, ses graphiques difficiles à lire et ses artworks trop rares, Distant Worlds n'est pas très beau. Oui, c'est comme ça. Mais le fait est qu'on n'attend pas de ce jeu qu'il soit une tuerie visuelle.
- Jouabilité11/20
Il est clair que le soft de Matrix Games est avant tout destiné aux hardcore gamers, à ceux qui ne seront pas découragés par l'interface parfois effrayante. Pour autant, le jeu se veut également accessible aux débutants, grâce au système d'automatisation des tâches par l'IA.
- Durée de vie16/20
Rien à redire à ce niveau-là : s'il n'y a pas de campagne, le soft propose un large choix de parties prédéfinies, ainsi qu'un éditeur de galaxies très puissant et intuitif. Ajoutons qu'il faudra un temps considérable pour arriver à bien assimiler toutes les fonctionnalités du jeu.
- Bande son12/20
Les musiques sont vraiment réussies mais l'ambiance sonore est un autre point noir. Le jeu est rythmé par la répétition d'une vingtaine de sons différents. On se lasse bien vite de l'alternance du "piou piou" des lasers et des alarmes signalant une attaque de pirates.
- Scénario/
Difficile de noter un jeu comme Distant Worlds. Celui-ci s'adresse avant tout aux adeptes des jeux de stratégie galactique à grande échelle. Nul doute que ceux-là trouveront leur bonheur. Ceux qui veulent s'essayer à ce genre auront besoin de pas mal de volonté pour arriver à dompter le bébé de Matrix Games et découvrir la richesse incroyable du titre. Quant aux autres, ils se contenteront de hausser les épaules en se demandant ce qu'il peut y avoir d'attirant à regarder des vaisseaux en 2D se déplacer d'une planète à une autre...