Boooorn to be wiiiild… plus de 40 ans après la sortie d’Easy Rider, le tube de Steppenwolf sonne encore comme un cri de ralliement pour tous les amoureux de grosses bécanes, de cheveux dans le vent et de liberté. Le mythe du biker, cow-boy des temps modernes n’obéissant qu’aux codes propres à sa tribu, fascine toujours autant. Il revient même un peu à la mode. On le voit à la télévision (avec la série Sons of Anarchy) comme dans les jeux vidéo avec le récent épisode de GTA IV, Lost and Damned. Voilà donc l’occasion parfaite de revenir sur un jeu qui a été un des premiers à aborder cet univers si particulier, Full Throttle. Mais ici, on ne parle pas d’un jeu d’action ou de courses… mais bien d’un point and click made in Lucasarts.
Mis au monde en 1995 par Lucasarts, qui nous avait jusque-là habitués à des jeux d'aventure certes totalement délirants, mais plutôt légers et colorés, Full Throttle est un ovni… parmi les nombreux ovnis déjà enfantés par le studio. Issu du cerveau dérangé de Tim Schafer, le petit dernier tranche avec le style de ses grands frères. Il est nettement plus viril, plus sombre, et plus violent… car quand vous chevauchez une moto muni d'une tronçonneuse, c'est rarement pour aller chercher un sapin de Noël. Mais Full Throttle ne sera pourtant pas un vilain petit canard : malgré ses apparences, il se révèle être tout à fait dans l'esprit de la famille. Il est peut-être même son rejeton le plus ambitieux…
Ambitieux car ce qui frappe dès les premiers instants du jeu, c'est son cachet très cinématographique. L'ambiance et la mise en scène sont particulièrement soignées, à l'image du générique de début. Sur fond de paysage désertique, la voix du héros se fait entendre, le temps d'un court monologue introduisant notre aventure. Direction la route N°9 sur laquelle file une limousine. A l'intérieur, un dialogue entre deux personnages clefs laisse percevoir l'enjeu principal de l'histoire. Puis place au morceau de bravoure avec l'arrivée tonitruante de Ben et ses Putois, accompagnés par un riff de rock'n roll qui sent bon l'asphalte. Les moteurs vrombissent et les motards doublent le luxueux véhicule avec un dédain affiché. Ben se paye même le luxe de sauter par-dessus l'engin et d'en érafler la carrosserie. Cigare aux lèvres, il poursuit sa route, entraînant derrière lui ses frères d'armes.
La véritable force du jeu est donc son atmosphère, et l'univers particulier dans lequel nous évoluons. Il ne possède pas de background précis – ce qui n'est pas plus mal - mais on peut le décrire comme une sorte de western futuriste, qui évoque quelque peu Mad Max. Futuriste au niveau des voitures, qui planent au-dessus du sol, ou des bécanes lookées façon engins de destruction massive… Les décors, eux, donnent plutôt dans le genre crade, limite post-apocalyptique : bar paumé au bord d'une autoroute traversant un immense désert aride, garage miteux, décharge saturée de métal rouillé, arène de stock-cars… Une description chatoyante qui ravirait sans doute les fans de science-fiction ou de cyberpunk. Mais les fans de jeux d'aventure Lucasarts n'ont pas à s'enfuir pour autant : l'esprit et l'humour des précédentes productions sont bien là, notamment par l'intermédiaire de votre héros, anti-Guybrush Threepwood par excellence. Un blouson en cuir, une gueule d'1km de long, mal rasé, froid et bourru, Ben n'est pas sans rappeler le célèbre Snake Plissken, interprété au cinéma par Kurt Russell, et cela en dit long sur le charisme qu'il dégage. Son cynisme et ses réparties sévèrement burnées ne manqueront donc pas de vous faire sourire… de même que certaines situations ou personnages non-joueurs. Si l'univers est sombre, la distance et le second degré sont bien présents, ce qui nous donne un cocktail aussi surprenant qu'agréable.
Autre élément marquant l'aspect cinématographique du jeu, sa BO très élaborée. C'est le groupe Gone Jackals qui s'en charge et nous offre de beaux moments de rock'n roll bien agressif, mais aussi des morceaux plus calmes ou teintés de blues. N'oublions pas non plus le reste des musiques, aux sonorités très western spaghetti, qui donnent une touche de caractère supplémentaire au jeu. Et pour couronner le tout, comme souvent avec Lucasarts, le casting voix est excellent : en VO vous retrouverez entre autres Mark Hamill dans la peau du grand méchant. Oui LE Luke Skywalker, mais aussi doubleur émérite puisqu'il est également connu pour sa brillante interprétation du Joker dans les dessins animés et jeux vidéo Batman. Côté VF, du très bon boulot là aussi, même en l'absence de stars… à part peut-être pour les puristes qui reconnaîtront la voix de Jean Claude Donda, doubleur pour de nombreux jeux vidéo dont Sam & Max dans lequel il incarne les deux principaux protagonistes.
Mais intéressons-nous maintenant au fond, et au scénario. Celui-ci est assez classique : le dernier fabricant de motocyclettes du monde, Malcolm Corley, est très vieux. Mais il ne veut pas crever, et ça commence sérieusement à agacer son bras droit Adrian Ripburger, qui se voit bien lui succéder à la tête de son empire. Alors ce dernier va tout simplement essayer de liquider le vieux Malcolm, et de mettre le meurtre sur le dos de votre gang. Après tout, les motards ont déjà bien mauvaise réputation. En fuite, Ben va devoir mener son enquête, prouver l'innocence de sa fratrie et faire tomber Ripburger, désormais à la tête de Corley Motors et qui a pour infâme projet d'arrêter la production de motos pour faire… des mini-vans ! Sacrilège ! Au cours de votre aventure, vous croiserez notamment Maureen, une mécanicienne tête brûlée, elle aussi pourchassée par les hommes de Ripburger, pour une raison que vous découvrirez au cours du jeu. Bien sûr, des gangs rivaux seront présents comme les Charognards, les Pourraves et autres noms chantants…. On pourra par contre regretter que le tout soit assez court. Au vu de la richesse du monde proposé, on avait envie de visiter d'autres endroits insolites ou de croiser d'autres gueules hautes en couleur… dommage, d'autant plus que la suite du jeu n'aura jamais vu le jour.
Au niveau du gameplay, le jeu se démarque également de ses prédécesseurs. Fini la rangée d'actions qui bouffe tout le bas de l'écran. Désormais en cliquant sur un objet, vous avez 4 choix : Utiliser votre poing, votre pied, vos yeux ou votre bouche. Une interface plus simple, mais pas simpliste et qui ne facilite pas particulièrement la résolution des énigmes, ce qu'on aurait pu redouter. Outre l'inévitable inventaire, vous aurez également droit à quelques séquences de castagne à moto. Une bonne idée, mais trop limitée : on déplace la bécane à la souris, puis on envoie notre poing, planche, chaîne ou donc … tronçonneuse dans la tronche du voisin à l'aide d'un simple clic. Pas follement intéressant, mais ces passages restent peu nombreux et ils ont le mérite d'apporter un peu de variété dans un pur point'n click.
- Graphismes16/20
15 ans après, le jeu n’est pas aussi fin que Curse of Monkey Island, le dernier Lucasarts en 2D. Mais il demeure encore très agréable à l’oeil, et est magnifié par une mise en scène soignée. Les animations sont fluides, et le design général propose un vrai univers, peuplé d’une galerie de gueules très réussies, souvent dépeintes sur le mode de la caricature.
- Jouabilité15/20
Le bon vieux système des 9 actions cher aux jeux Lucasarts a cédé la place à une interface simplifiée et efficace. Pour le reste, c’est du classique : déplacement au curseur, inventaire, choix de dialogues… les bastons à moto apportent un plus sympathique mais pas mémorable.
- Durée de vie12/20
L’un des rares reproches qu’on puisse faire au jeu. Si l’aventure est bien menée et intense, elle est assez linéaire, courte et la progression relativement simple : c’est sans doute le jeu Lucasarts qui comporte le moins d’énigmes improbables complètement tirées par les cheveux. Ici la plupart du temps, la logique ou un bon coup de poing là où il faut vous suffira.
- Bande son19/20
La bande-son de Full Throttle reste une référence. Que ce soit pour son coté « Ennio Morriconien » ou ses morceaux de rock endiablés interprétés par les Gone Jackals, elle participe grandement à l’atmosphère générale du jeu. Les doublages sont également impeccables, en VO ou en VF.
- Scénario18/20
Un homme accusé à tort, en fuite et cherchant à prouver son innocence, un vice-président de multinationale très très méchant, une fille avec de grosses clefs à molette… rien de très original, mais le tout est bien ficelé, très référencé et agrémenté de pas mal de second degré et de répliques mémorables. « Tu sais ce qui irait bien sur ta tête ? Le bar… ».
Full Throttle n’est peut-être pas le plus célèbre des jeux d’aventure Lucasarts. Pourtant, ce serait une erreur de l’oublier, car il fait partie de ces jeux qui vous plongent dans un univers unique et qui vous marquent pour longtemps. Et ce, que vous appréciiez l’univers des bikers ou non. Ambitieux de par sa réalisation, drôle et captivant, il pèche par sa courte durée de vie… mais reste jouissif du début à la fin. De plus il est aujourd’hui disponible pour une poignée d’euros. Alors qu’attendez-vous ? En selle !