En 1997, alors que le genre des jeux de stratégie en temps réel est braqué vers la science-fiction et les temps futuristes, une jeune équipe de développement prend le contre-pied en choisissant un cadre existant et ancien : la Préhistoire et l'aube de l'Antiquité. Ensemble Studios ne se contente pas de cette innovation, et lorsque Age of Empires est mis sur le marché, les joueurs découvrent un titre aux décors chaleureux et au gameplay particulièrement bien ficelé. Une formule qui en séduira plus d'un...
Le principe du jeu est au premier abord celui d'un STR classique. Les villageois amassent des ressources naturelles, qui interviennent à toutes les phases de l'expansion de sa civilisation : construction de bâtiments, création d'unités (militaires ou nouveaux villageois) et développement de technologies pour améliorer tout ce beau monde. Le but est d'affirmer la suprématie de sa civilisation sur les autres, et quoi de mieux que la guerre pour cela ? Le soft propose donc un large panel de soldats avec une douzaine de branches au total, et tout l'intérêt du jeu réside dans le fait que chaque combattant a ses qualités et ses points faibles : les archers et les catapultes sont efficaces contre l'infanterie mais se trouveront en difficulté face à de la cavalerie, qui elle-même se fera massacrer par des éléphants... Ce système de "pierre-feuille-ciseaux" fonctionne pour l'instant de fait, par les seules caractéristiques des unités, plutôt que par des coefficients donnant un bonus chiffré à un soldat contre un autre, système qui sera largement utilisé dès l'extension The Rise of Rome. Quoi qu'il en soit, il faut sans arrêt réfléchir à quelles unités entraîner et s'adapter à la situation. La méthode "bourrin" consistant à inonder l'adversaire d'un seul type de soldats est très facile à contrer, et c'est tant mieux !
S'il ne fait que reprendre et perfectionner un gameplay comme celui de Warcraft : Orcs & Humans, sorti 4 ans plus tôt, Age of Empires apporte un certain nombre de bonnes idées, inspirées ou non d'autres jeux, qui expliquent son succès et sa renommée. Tout d'abord, les ressources sont au nombre de 4 - or, bois, nourriture et pierre - soit le double de ce que proposait Warcraft. Et la subtilité du jeu n'en est que plus grande ! D'autant qu'Ensemble Studios est allé encore plus loin, en proposant plusieurs manières de les amasser : ainsi, pour la nourriture, autant dire que vos hommes mangeront équilibré puisque vous aurez le choix entre les baies, les fermes, le poisson, la gazelle ou l'éléphant. Cette dernière option peut avoir des conséquences fâcheuses pour un joueur peu rodé à l'art de la chasse, ces mastodontes se faisant un plaisir d'écraser nos pauvres petits villageois insouciants. Toujours est-il que les développeurs ont réussi à créer une véritable interaction avec le terrain. Autre exemple : un soldat posté en altitude aura un avantage sur son adversaire en contrebas. Pour en revenir aux ressources, signalons qu'il est possible d'en échanger avec un autre joueur via le commerce maritime. Malheureusement, des soucis de pathfinding rendent cette option très irritante sur certaines cartes : les navires s'échouent régulièrement sur une langue de terre au lieu de la contourner. Dommage…
Deuxième spécificité du soft, le nombre de civilisations proposées. Alors qu'un Total Annihilation ou un Command & Conquer se cantonnent à 2 ou 3 peuples, Age of Empires n'en exhibe pas moins de 12 ! Babyloniens, Sumériens, Égyptiens, Perses, Minoens... Le jeu se concentre sur la Méditerranée orientale et sur l'Asie de l'est avec les Yamato, les Chang et les Chosons. La comparaison n'est en réalité pas très honnête, puisqu'il faut avouer que ces civilisations sont beaucoup plus semblables les unes aux autres que celles, plus tard, de Starcraft, ou des jeux cités plus haut. Pour être clair, il existe un arbre des technologies général, et la différence entre les peuples réside dans le fait qu'ils n'ont pas accès à toutes les composantes de cet arbre. Ainsi, les Grecs entraînent des phalanges mais pas de chars et n'ont pas accès à la métallurgie, tandis que les Perses peuvent créer des éléphants mais manquent d'armes de siège. On remarquera au passage que les développeurs se sont efforcés de rendre le jeu fidèle à la réalité historique. Par ailleurs, chaque civilisation dispose de quelques bonus spéciaux, là encore inspirés des peuplades de l'époque, même si ce n'est pas forcément flagrant. Par exemple, les catapultes des Hittites sont plus solides et leurs navires de guerre tirent de plus loin ; les villageois des Assyriens se déplacent plus vite... Si bien que chaque faction possède sa propre identité et qu'il faut la choisir en fonction de la stratégie envisagée. Ou inversement.
Mais le vrai tour de force d'Age of Empires est d'avoir intégré la possibilité d'évoluer à travers quatre âges, concept inspiré du jeu de stratégie en tour par tour Civilization. Pour un STR, il s'agit d'une première, qui formera le socle de la série autant qu'elle révolutionnera le monde de la stratégie en temps réel, comme en témoignent, entre autres, Empire Earth et Rise of Nations, qui s'inspireront directement de l'innovation d'Ensemble Studios. Concrètement, passer à l'âge suivant est une technologie coûteuse et longue à développer, mais ouvre tout un panel de nouvelles constructions, unités et améliorations, en plus de moderniser l'aspect des bâtiments existants. Au fil des âges, le joueur a vraiment l'impression de faire évoluer son peuple à travers les siècles, de la Préhistoire à l'Antiquité. Ainsi, à l'âge du fer, catapultes et cavalerie lourde viendront s'entretuer à la place des fantassins rudimentaires des premiers âges. Bon, il s'agit toujours de s'entretuer me direz-vous. Eh bien pas forcément, grâce au prêtre, une unité qui permet de convertir villageois ou militaires ennemis en disant une sorte d'incantation (le célèbre "Wololo"). En cas de succès, la cible visée se ralliera à notre cause. Ou comment faire d'une pierre deux coups. Les prêtres sont alors tout indiqués contre des unités fortes, qui deviennent de sérieux atouts une fois entre vos mains ! Une autre bonne idée qui sera à jamais associée au titre.
Tout ceci est habillé par des graphismes en isométrique très plaisants dans l'ensemble. Le studio a fait preuve de beaucoup de finesse, avec des décors pleins de vie, des animations soignées et des unités qui sont de vrais bijoux de couleurs. On aperçoit des lions attaquer les gazelles qui gambadent joyeusement, les poissons sautiller et les oiseaux planer. L'affichage reste cependant fluide en toute occasion, et l'information est très lisible, ce qui est essentiel pour un STR. On peut par ailleurs accéder à la résolution 1024 par 768, spacieuse pour l'époque. Les thèmes quant à eux, rythmés ou plus vaporeux, privilégient les effets de répétition. S'ils collent très bien à l'ambiance du titre et sont vraiment sympathiques en général, ils sont malheureusement trop peu nombreux, donc assez pénibles à force. Au-delà des graphismes, l'interface toute entière est plutôt bien conçue ; il existe en outre un certain nombre de raccourcis clavier, incontournables aujourd'hui mais moins répandus en 1997. Mais attention à la prise en main, car il faudra tout gérer manuellement : pas question pour les villageois de se mettre tout seul au travail, ni pour les soldats nouvellement produits de se rendre à un point prédéfini. Toutes les unités se créent une par une. On passera donc beaucoup de temps à donner des ordres précis à chacun de ses sujets, ce qui risque de dérouter les joueurs habitués à des titres plus récents, qui vont de plus en plus dans le sens d'un certain assistanat. Mais qu'on se rassure, le jeu est peut-être exigeant pour qui veut avoir un bon niveau, il reste accessible à tous.
Le mode de jeu principal, une escarmouche classique, consiste à bâtir une civilisation puissante à partir de presque rien. Pour remporter la partie, la méthode la plus directe est de détruire entièrement l'adversaire, mais il existe des alternatives pour gagner : construire une merveille, bâtiment très cher et long à ériger, et la défendre pendant un certain temps, preuve de la suprématie de son peuple. Ou encore, capturer toutes les reliques ou les ruines présentes sur la carte. Certes, la plupart du temps, le jeu revient à un affrontement classique, mais ces options apportent une touche supplémentaire d'originalité. Au programme également, le combat à mort, variante où l'on commence avec un stock de ressources pour en venir plus vite aux armes. Ces deux modes sont jouables jusqu'à 8 en multijoueur, local ou en réseau, ce qui était très appréciable à l'époque pour ceux qui disposaient d'une connexion. Le solo n'est pas en reste étant donné que l'IA est assez correcte, même si le titre est clairement fait pour le multi et révèle vraiment tout son intérêt contre d'autres humains. Ensemble Studios nous propose aussi quatre campagnes dont un didacticiel. Fondées sur l'Histoire et exceptionnellement sur la mythologie, elles ne sont pas foncièrement mauvaises, mais n'ont sans doute pas reçu toute l'attention des développeurs : on retrouve parfois des civilisations complètement farfelues par rapport à la campagne, les objectifs sont souvent ennuyeux... Ce n'est pas ce qu'on retiendra du jeu et ça ne le gâche en rien. Surtout qu'il est possible de créer ses propres parties et campagnes grâce à l'éditeur de scénarios inclus. Un éditeur simple et complet, qui permettra de laisser libre cours à son imagination. Aussi, certains scénarios mis en ligne par des fans sont franchement sympathiques. Au final, c'est bien un grand nom de la stratégie qui est né en 1997 et il reste très appréciable de nos jours. Les joueurs qui n'y ont jamais joué ne seront sans doute pas dépaysés, ses mécanismes ayant été repris par de nombreux titres sortis par la suite.
- Graphismes17/20
Beaucoup de finesse, aussi bien dans les animations que dans les textures des unités et bâtiments. À vrai dire, le jeu reste agréable à l'oeil aujourd'hui et rien n’est vraiment grossier. Le tout est coloré, vivant, et pourtant très lisible, ce qui est peut-être l'aspect le plus primordial dans ce genre de jeux. À aucun moment on ne se perd dans le luxe des détails.
- Jouabilité17/20
Assez simple à prendre en main, le soft n'en est pas moins profond. Le système de combat bien rodé, associé à de bonnes idées comme le passage à travers les âges ou les merveilles, fait d'Age of Empires un jeu au gameplay particulièrement riche. Il prend tout son sens en multijoueur, où la dimension tactique atteint son maximum. On pardonnera les quelques soucis de pathfinding. Signalons enfin aux joueurs habitués aux titres récents, qu'ils risquent d'être un peu perdus par le manque d'assistance : il faut tout gérer soi-même !
- Durée de vie18/20
Le multi constitue sans doute le principal intérêt du titre. Jouable jusqu'à 8, il garantit à lui seul de très nombreuses heures de jeu. Un plaisir qui se renouvelle puisqu'il existe plusieurs types de cartes et modes de jeu. Tout ceci est jouable en solo et s'accompagne de nombreuses campagnes, hélas peu séduisantes. Notons également la présence d'un éditeur de scénarios, intuitif et complet. Des parties créées par des fans foisonnent sur internet.
- Bande son15/20
Les musiques sont très plaisantes mais hélas trop peu nombreuses. Pour ce qui est des bruitages, les épées font "bling", les arcs "scratch", les hommes qui meurent "Aaark" : toujours ce côté bon enfant, que l'on retrouvera dans le second volet et qui participe à l'ambiance si inoubliable d'Age of Empires.
- Scénario/
-
Certes, le jeu pourrait paraître assez banal de nos jours. Et pour cause : il a inspiré bon nombre de STR sortis par la suite. Beaucoup lui préféreront le deuxième volet, qui reste tout à fait dans le style tout en proposant des mécanismes plus rodés et plus modernes. Ce premier Age of Empires manque peut-être de maturité, avec quelques soucis de pathfinding et imprécisions dans l'équilibrage. Il n'en est pas moins un titre incontournable, aussi émouvant à retrouver après de longues années que passionnant à découvrir, pour peu qu'on ne craigne pas trop de devoir tout gérer à la main : contrairement aux jeux plus récents, il laisse au joueur le soin de commander chaque élément, sans jamais fournir d'assistance ou d'automatisation de certaines tâches. Mais qu'on se rassure, il reste très abordable et rien que le mode solo promet déjà de nombreuses heures de jeu, même si c'est en multijoueur qu'il déploie son incroyable charme.