Présenté pour la première fois en 2005, Alan Wake est depuis resté un mystère intouchable. De reports en refontes, le "thriller psychologique" de Remedy s'est fait attendre et a joué avec nos nerfs avant même sa sortie. Aujourd'hui, il est enfin là, pour le plus grand bonheur des amateurs de grosse ambiance et des romans de Stephen King.
Changements de gameplay, changements dans le scénario, reports et délais, avec plus de 5 ans de développement, Alan Wake n'est pas passé loin du statut de vaporware. Mais le voilà enfin arrivé à bon port cet écrivain en veste en tweed. Enfin, bon port, façon de parler. Pour cet auteur à succès souffrant du syndrome de la page blanche, s'installer dans la si charmante petite ville de Bright Falls en compagnie de sa femme Alice devait être synonyme de repos et d'inspiration. Ce qui aurait certainement été le cas si Alice n'avait disparu dès leur première nuit sur le lac Cauldron. Une disparition qui n'a rien de naturelle et qu'Alan va chercher à élucider par tous les moyens, quitte à retourner toute la région de Bright Falls. Charmante région par ailleurs, sortie tout droit d'un roman de Stephen King. Bright falls est une petite ville dans laquelle tout le monde se connaît, habitée par un ensemble de stéréotypes des zones rurales de l'Amérique de l'Ouest, une contrée de chasseurs adeptes du pièges à ours, contrôlés par des gardes forestiers faisant également office de réceptionnistes au camping local, d'un shérif qui possède les clefs de tous les magasins, d'une radio locale animée par un hibou nocturne et surtout de son festival du cerf. Une galerie de personnages qui ont tous une petite histoire, le portrait d'un bled comme un autre qui a toutefois un drôle de passé, son lot de légendes indiennes, de campeurs disparus, sa vieille mine fermée suite à des effondrements, son lac volcanique ou son illuminée qui vérifie les ampoules de chaque bâtiment public. Hors de la ville, on visite le parc naturel, des bois nichés au coeur d'un massif montagneux sublime. Un coin de paradis qui la nuit devient l'enfer sur Terre.
Car loin des lumières, l'Ombre Noire guette. Cette présence maléfique s'empare de tout. Humains comme objets. Et pour une raison ou une autre, elle en veut à Alan Wake qui devra l'affronter s'il souhaite suivre la piste de sa femme, comprendre pourquoi il lui manque une semaine de sa vie et pourquoi il trouve sur son chemin les pages d'un manuscrit signé de sa main mais qu'il n'a aucun souvenir d'avoir écrit. Et pour lutter contre cette ombre, l'atout principal de monsieur Wake sera sa lampe torche, car l'ombre n'aime guère la lumière. Si certaines séquences se déroulent de jour, en pleine nature ou dans la bonne ville de Bright Falls, la quasi-totalité du titre se passera de nuit. Parcourant les bois, vous avancerez dans l'attente que quelques possédés vous tombent sur le râble, de pauvres bougres dont l'Ombre s'est emparée. Pour les défaire, il vous faudra avant tout les illuminer en braquant votre lampe en plein sur eux. Abandonnés par l'Ombre mais toujours fort agressifs, vous pourrez alors leur truffer le corps de plomb.
Globalement, le gameplay n'est donc pas plus compliqué que ça : éclairer, tirer. En sus de votre lampe torche, vous pourrez évidemment faire usage d'autres jouets, à commencer par les fusées éclairantes ou le pistolet d'alarme, provoquant tout deux une lumière rouge aveuglante qui repoussera vos assaillants ou parviendra même à les anéantir. Les très rares grenades flash seront également dévastatrices. On les gardera donc précieusement, afin de faire face aux attaques les plus redoutables, celles mettant en jeu plusieurs possédés, dont certains particulièrement coriaces et armés d'une tronçonneuse. A moins de préférer les conserver pour affronter certains objets... car l'Ombre ne se contente pas de posséder les humains, elle se plaît également à animer des barils, de vieux essieux qui traînent, une voiture ou un engin de chantier. Oui, il faudra parfois affronter un bulldozer ou plus volumineux encore. Et les choses iront de plus en plus mal à mesure que la rage de l'Ombre augmentera.
Jouer à Alan Wake c'est donc plonger au coeur de la nuit, perdu dans l'immensité de la région de Bright Falls. Perdu, même si en soi le jeu est très linéaire (et scripté) mais sait parfaitement vous le faire oublier. Dans le bois, même si vous avez une direction à suivre, il est souvent possible de se détourner du chemin à ses risques et périls mais sans jamais rencontrer de murs artificiels, toute limite est acceptée car toujours cohérente et crédible, qu'il s'agisse du rebord d'une falaise ou d'un enchevêtrement d'arbres. L'une des premières choses qui frappe dans Alan Wake, c'est la qualité de ses environnements. De jour comme de nuit, on arpente montagnes et forêts. Même s'il s'agit toujours du même type d'environnement, rien ne se ressemble jamais. Chaque lieu est différent. Et libre à vous d'explorer les restes de cabanes de trappeurs ou les résidus du glorieux passé minier de la région. Mieux encore, tous les décors lointains sur lesquels le regard peut se poser "existent". Au pied d'un pic rocheux, on a vraiment le sentiment de sa présence imposante. Au bord d'un canyon, on a presque le vertige. Sensation accentuée par le fait que Remedy n'ait pas cédé à la mode des murs invisibles. Si vous ne regardez pas où vous allez, vous claquerez comme une buse. On tombe vite sous le charme de cette reproduction fidèle et réaliste d'une région vaste, sauvage et propice à l'imaginaire.
D'ailleurs, la galerie de personnages suit cette ligne directrice. Chaque personnage rencontré a sa personnalité, sa façon de parler, et même si on les effleure, Remedy a trouvé le moyen de leur donner une histoire dont ne sait rien, mais dont on soupçonne l'existence. Là encore, l'influence des films inspirés des romans de King, de certaines séries télé ou de Twin Peaks se fait ressentir. Car si le gameplay d'Alan Wake est assez simple, tout le monde aura saisi que c'est pour son ambiance que l'on y joue. Ou plutôt que l'on y plonge. Etre attaqué par les possédés est déjà souvent tout un poème. S'il leur arrive de vous tomber dessus par derrière, vous les verrez aussi arriver de loin, ombres inquiétantes dans la brume, serinant des restes de leur vie passée. Ceux qui furent gardes-chasses feront encore la leçon sur l'usage des permis, d'autres parleront on ne sait pourquoi de graisses saturées ou de matériel de camping, des propos incohérents mais toujours sur un ton menaçant, comme s'ils voulaient vous effrayer, mais sans être capables de trouver les mots justes, simplement ce qu'il leur reste d'antan. Une absurdité à mettre au compte de l'influence de Lynch sans aucun doute. Oppressants, ils vous contraindront parfois à fuir le combat, courant jusqu'à un vieux générateur que l'on cherchera à actionner avant qu'ils ne s'approchent de trop près, espérant que la lumière les fera déguerpir et qu'elle s'allumera avant que l'on ramasse un coup de serpette.
Comme beaucoup de ses congénères, l'Ombre Noire a tendance à planer, en l'occurrence, sur la ville, ou surtout sur la forêt. Parfois brume, parfois tornade, vous en sentirez souvent la présence en voyant au loin des arbres s'effondrer ou lorsqu'elle tentera de vous stopper en faisant tomber sur vous... des wagons de trains ! Présence inquiétante elle rôde toujours autour de vous et reste l'un des principaux ressorts de l'atmosphère pesante et détaillée du jeu. Par ailleurs, lors de vos visites en intérieur, vous trouverez souvent des postes de télé qui, entre autres choses, diffuseront des vidéos live d'une série télé à mi-chemin entre la 4ème Dimension et Au-Delà du Réel. Et comme dit plus haut, les différents protagonistes du jeu forment une drôle de compagnie. Du peu digne de confiance docteur Hartman aux deux ex-stars du Metal en passant par la serveuse membre de votre fan club, seul l'ami fidèle et agent littéraire Barry semble vraiment garder les pieds sur terre. Stéréotype du faire-valoir, mais efficace dans son rôle. Le jeu fourmille ainsi de détails venant renforcer son ambiance, épaissir son identité. Si c'est le genre de choses auxquelles on est sensible, difficile de passer à côté d'Alan Wake.
On a déjà dit que les environnements jouissaient d'un caractère saisissant, il va sans dire que l'aspect technique du jeu est donc soigné. Alors non, Alan Wake n'est peut-être pas le plus beau jeu de la console, mais c'est, à notre sens, l'un de ceux qui proposent les décors les plus séduisants. La gestion de la lumière également est un régal pour les yeux. On apprécie particulièrement l'éclairage variant et rougeoyant des fusées éclairantes ou encore la façon dont certaines sources de lumière se détachent dans la nuit, petit point éblouissant synonyme de zones sécurisées vers lesquelles on se rue. Pour autant, tout n'est pas parfait, il y a quelques problèmes de synchronisation labiale, en intérieur, on voit bien que certaines textures sont en basse définition ou manquent en tout cas de finesse mais encore faut-il avoir envie de s'attarder sur ce genre de peccadilles. A vous de voir si vous préférez la technique ou la direction artistique. Nous avons choisi.
Quant à la bande-son, elle n'est pas en reste. La version originale est excellente et on la recommande si vous le pouvez. La VF est ceci dit elle aussi d'excellente qualité, simplement, l'anglais va comme un gant à la reconstitution du bled isolé quelque part dans l'état de Washington. Les effets sonores sont maîtrisés de bout en bout et la bande originale est juste fabuleuse. Vous y trouverez quelques perles composées pour l'occasion allant de la country aux hard FM mais également une petite poignée de morceaux sous licence dont on n'a pas le droit de vous faire une liste, tout juste de mentionner un certain Nicolas Grotte et les Mauvaises Graines ou un David B qui se prend pour un dénommé Major Tom. Oups.
- Graphismes17/20
Remedy a réussi à nous perdre dans la région de Bright Falls. Il se dégage des environnements un sentiment de grandeur et de cohérence, loin des textures collées à plat de beaucoup de jeux. Le relief est saisissant et même si la nature des décors en change guère, on ne trouve jamais deux endroits qui se ressemblent. Certains effets, comme le vent propulsant la brume sont excellents. Certes, certaines textures sont un peu cradingues et tous les intérieurs ne sont pas réussis mais bigre, la direction artistique l'emporte largement sur la technique.
- Jouabilité14/20
La prise en main est simple, comme le gameplay d'ailleurs. Il faut bien reconnaître que les mécaniques sont très répétitives et que si Alan Wake n'était pas pourvu de cette ambiance et de cette mise en scène, on s'en lasserait sans doute rapidement. En l'état, il n'y a pas eu un seul moment de lassitude durant le test, du début au générique de fin.
- Durée de vie14/20
Pour être honnête, je n'ai pas joué avec un chronomètre à la main mais comptez une quinzaine d'heures pour venir à bout de l'aventure, grossièrement. On est loin des trente annoncées par Remedy à l'origine mais au-dessus de la moyenne des jeux d'action actuels.
- Bande son18/20
On aurait tendance à recommander la VO même si la VF est de très bonne qualité, simple question d'immersion. Les dialogues sont franchement bons, on regrette juste que celui dont les tirades sont les moins intéressantes soit... l'écrivain à succès et héros du jeu. Les effets sont irréprochables et la bande originale colle à merveille au jeu.
- Scénario17/20
Wake ne comprend pas ce qu'il lui arrive, on passera donc beaucoup de temps à se le demander soi-même. Le travail sur l'atmosphère est de si bonne facture qu'on est happé par l'intrigue et l'univers dès les premières minutes. Ensuite, difficile d'en ressortir. Le tout n'est peut-être pas à la hauteur d'un Stephen King ou de Twin Peaks, mais Remedy n'a pas à rougir, les influences sont bien présentes.
Alan Wake porte la signature d'un jeu Remedy et a donc un point commun avec Max Payne. Dans ce dernier, on ne fait guère que tirer et jouer du bullet time en faisant des sauts sur le côté et pourtant... Dans Alan Wake, on éclaire des possédés et on leur explose la tête en errant dans les bois. Dans les deux cas, c'est tout ce qui est autour qui fait que l'on devient accro.