Au loin, des bateaux approchent. Malgré la brume, on aperçoit des silhouettes épaisses s'avancer au bord de ces navires. Ici, sur la terre ferme, dans les remparts, les armes sont distribuées, les ordres donnés, les canons préparés. Chacun sait ce qu’il se passera dans quelques minutes. Le sang. Les cris. Le choc des lames. Ce sera la survie contre la furie. L’humanité devra puiser jusqu’au bout de ses ressources pour faire face à la menace la plus terrible qu’elle ait jamais connue : la Horde.
Moins de deux ans après son jeu de stratégie Warcraft : Orcs and Humans, le studio Blizzard remet le couvert et sort Warcraft II : Tides of Darkness, ou en bon français Warcraft II : Les Marées de l'Ombre. Ce sous-titre, mais aussi le slogan placardé sur la boîte du jeu vendent la mèche sur la principale innovation de cet opus. Cette fois-ci, la bataille pour Azeroth entraînera orcs et humains sur terre, mais aussi sur les mers et dans les airs grâce à l'apparition de navires de guerre et d'aéronefs aux côtés des traditionnels sorciers et catapultes. Ces nouveaux terrains d'affrontement obligent le tacticien à approfondir ses plans d'action. En effet, s'il faut envahir un camp au-delà d'une mer, cela signifie qu'il faut pouvoir y débarquer des hommes. Cela suppose donc de construire des embarcations au chantier naval, mais aussi que ces frêles esquifs puissent braver les vagues sans encombre et arriver sur des côtes le moins hostile possible. Il faut dès lors construire des bateaux armés pour pouvoir couler la flotte ennemie et ainsi obtenir la suprématie marine. Et bien qu'ils soient à voile, la construction de tous ces navires réclame du pétrole. Il faudra alors troquer sa casquette d'Eisenhower planifiant le D-Day pour celle de Rockefeller, en mettant en place des filières d'approvisionnement depuis des plates-formes pétrolières.
Au passage, signalons d'ailleurs que le cœur du gameplay n'a pas changé depuis le premier volet. Chaque partie débute généralement par la récolte de ressources (bois, or, et donc désormais pétrole), indispensables pour bâtir les infrastructures adéquates puis monter une armée suffisamment puissante. Au fur et à mesure des constructions, de nouvelles options apparaissent, démultipliant ainsi les stratégies possibles. L'installation d'une église par exemple ouvre la voie à la transformation des chevaliers en paladins. Pour en revenir aux nouveaux terrains de jeu, notons des possibilités aériennes déjà plus réduites que pour les maritimes. La voie des airs n'est pourtant pas à négliger puisque la rapidité des unités volantes est telle qu'elle pourra largement faciliter le travail d'éclaireur en survolant tous les obstacles sans difficulté. Mais attention, ces unités sont particulièrement vulnérables aux armes de projection comme les haches, les flèches et autres balistes. Une information à prendre en compte à l'édifice de vos propres défenses… La mécanique reste toujours la même, mais ces nouveaux aspects sont rafraîchissants et constituent un défi supplémentaire pour le joueur aguerri.
Les nouveautés de Warcraft II ne s'arrêtent pas là ! Des renforts arrivent aussi des deux côtés pour accroître les possibilités stratégiques. Afin d'établir un équilibre parfait entre les races disponibles, chaque unité trouve son équivalent direct dans le camp d'en face. Comme dans Warcraft I, les orcs ont donc les mêmes caractéristiques que les humains et accueillent dans leurs rangs des renforts très similaires de part et d'autre. Les nains (côté humains) et les gobelins (côté orcs) sont ainsi tous deux férus de technologie. Les elfes (humains) et les trolls (orcs) travaillent le bois et attaquent à distance tandis que les griffons (humains) et les dragons (orcs) sont capables d'attaques aériennes dévastatrices… La balance est donc parfaite entre les deux camps et finalement, choisir entre les visages pâles et les peaux vertes ne sera donc qu'un choix cosmétique, les différences de gameplay étant nulles.
Le scénario reprend les événements là où le premier épisode les avait laissés, en retenant toutefois l'hypothèse d'une victoire des orcs. Après avoir rasé le royaume d'Azeroth, la Horde des orcs traverse les mers pour envahir les humains au nord. Ceux-ci ne se laissent pas faire, et décident de créer une Alliance unifiant les différents royaumes pour affronter sur un pied d'égalité ce flot de barbarie. Chaque mission du mode Histoire sera l'occasion de développer une colonie et d'entraîner une armée pour remplir certains objectifs. Les missions orcs et humaines se répondent les unes aux autres. Notez toutefois qu'il n'y a plus de missions sous forme de donjons à explorer comme dans le premier épisode et qu'il n'est question qu'une seule fois d'escorter une personnalité d'un point A à un point B. Pour le reste, Warcraft II réutilise tous les concepts de son prédécesseur en prenant soin toutefois de les peaufiner. Rien que le passage des disquettes au support CD ROM rend possible un indéniable bond technique. Les cinématiques sont certes courtes et très compressées, mais représentaient le dernier cri technologique à la sortie du jeu. La qualité des graphismes et des sons a elle aussi progressé de façon notable, ne rechignant jamais à ajouter des petites touches d'humour çà et là. On remarque ainsi que les gobelins aiment mettre des décorations de Noël sur le toit pendant l'hiver, et l'on s'amuse des réactions des différentes unités lorsqu'on les harcèle. Attention, cliquer incessamment sur les innocents animaux sauvages pourra vous valoir les foudres de Brigitte Bardot !
L'intelligence artificielle a également été améliorée. Bien que les unités aient encore parfois un peu de mal à suivre le chemin le plus efficace quand on les déplace, les stratégies mises en place par l'ordinateur semblent désormais bien plus malignes qu'avant. Votre adversaire n'hésite pas à épuiser vos forces par une éreintante tactique de commando lorsque vous cherchez à occuper le terrain. Et quand vous croyez avoir entièrement détruit le camp adverse, il vous faudra veiller à ce que l'ennemi n'ait pas tout simplement fuit au-delà de la zone conquise pour reconstituer ses forces ! Warcraft II innove d'ailleurs en rendant plus vicieux le brouillard de guerre. Jusqu'à présent, il fallait envoyer des éclaireurs pour dévoiler les régions masquées par cet écran opaque. Cette fois-ci, une seule expédition ne suffira pas : seules les zones présentes dans le champ visuel de vos troupes seront toujours accessibles. Celles où il n'y a plus personne seront recouvertes d'un léger voile qui vous empêchera de voir les mouvements de l'adversaire et ses éventuelles nouvelles constructions.
Ce n'est un secret pour personne, les stratégies les plus redoutables sont bien souvent celles de joueurs en chair et en os. Et c'est pour cela que le mode multijoueur complète à merveille la campagne solo. Jusqu'à huit personnes peuvent ainsi s'affronter sur des cartes prévues à cet égard, la seule condition pour la victoire étant l'anéantissement total de l'adversaire. Un éditeur de cartes plutôt bien fichu laisse le joueur créer ses propres champs de batailles, qui viendront se rajouter à ceux déjà inclus avec le logiciel. Et pour organiser ces rencontres sanglantes, deux possibilités sont proposées : le réseau local, ou un serveur sur internet. Rappelons-nous que Warcraft II fut l'un des premiers titres plébiscités en multijoueur, à l'heure des modems 33kbps. Malheureusement, les options de jeu en ligne de l'édition originale ne fonctionnent plus de nos jours. On aura peut-être plus de chances avec l'édition Battle.net sortie en 1999. A vrai dire, ce n'est pas le seul aspect où le jeu souffre des évolutions technologiques de ces 15 dernières années. Alors que Warcraft II est encore jouable sous Windows XP, il devient très difficile de le faire tourner sans modifications à partir de Vista, le PC le refusant dès l'installation. Le joueur nostalgique pourra toujours se consoler en insérant le disque dans une platine CD : les seize titres de la bande originale peuvent y être toujours parfaitement écoutés. Parfait pour se mettre dans une ambiance militaire médiévale !
- Graphismes17/20
En plein écran, la résolution 640x480 du jeu lui sied parfaitement. Elle permet notamment une belle finesse dans les sprites. Si les unités sont joliment animées, les bâtiments ne sont pas en reste. Les phases de construction donnent un aperçu de l’architecture mise à l’oeuvre. Et quand un édifice brûle, la flamme est de toute beauté.
- Jouabilité15/20
Dans de telles simulations, une bonne partie du challenge est de gérer un grand nombre d’unités en un temps limité. Or on ne peut en contrôler que neuf en même temps, ce qui rend les mouvements de masse un peu pénibles. Il y a bien quelques raccourcis clavier, mais il n’y en pas pour les sélections de groupes. Néanmoins, à l’époque, c’était tout à fait standard.
- Durée de vie18/20
Il y a quatorze missions à accomplir dans chaque camp. Les premières se font sans problème, les suivantes demandent du temps et des efforts. L’ennemi est en effet mieux installé au départ, et dispose donc de forces disponibles pour vous harceler sans relâche. Les dernières batailles sont l’occasion de confrontations homériques, où il faudra surmonter des désavantages numériques majeurs. En somme : de nombreuses heures de jeu en perspective. Cela ne s’arrête pas là puisque le mode multijoueur démultiplie la durée de vie du jeu. Entre le réseau local ou les possibilités online, il y a le choix. Et si l’on se lasse des cartes proposées, il est possible d’en créer soi-même. De quoi faire durer le plaisir bien des années…
- Bande son17/20
C’est par la qualité de ses doublages et de ses bruitages que Warcraft II se distingue le plus. Chaque unité « joue » son rôle : le paysan est bourru, le chevalier hautain, l’elfe obséquieux… Vous ne vous étonnerez pas que des gobelins soient suffisamment fous pour se faire sauter, vu leur ton de grand malade ! Petite phrase par petite phrase, le jeu arrive ainsi à peindre les personnalités de chacun, et contribue à l’immersion dans ce vaste monde. Bien que ne laissant pas un souvenir impérissable, les musiques bénéficient de la qualité CD, et peuvent être laissées sans problème le temps de longues parties. Avec une utilisation importante du tambour guerrier, elles sont même parfaitement adaptées au contexte.
- Scénario18/20
Chaque jeu de la franchise Warcraft est l’occasion pour ses producteurs de détailler davantage un univers grandiose et exaltant. Sur la base de lieux communs de l’heroïc-fantasy, Warcraft II prolonge les pistes lancées dans le premier épisode, et bâtit un monde, une histoire, des relations complexes… Ce background détaillé sera un terrain fertile pour toutes sortes de produits dérivés : outre le célèbre MMORPG, on peut compter des BD, des cartes à jouer, un jeu de rôle papier, etc.
Warcraft II a marqué l’histoire du jeu vidéo à sa façon : non pas en innovant de tous les côtés, mais plutôt en améliorant subtilement toutes les facettes du jeu de stratégie temps réel. Par sa mythologie pleine de couleurs, ses guerres épiques et ses nombreuses possibilités, le monde d’Azeroth nous appelle et transforme la position de seigneur de guerre en une occupation à la fois divertissante et passionnante.