L’Arbre Monde est un motif récurrent de nombreuses mythologies. Selon les croyances nordiques, il regrouperait entre ses trois différents niveaux neuf royaumes, un par race. L’idée d’un arbre gigantesque, source de vie et que l’on pourrait visiter a souvent été exploitée dans les jeux vidéo. Mais Faxanadu fut l’un des premiers à le mettre au centre de l’intrigue. Il est ici le théâtre de l’affrontement de deux de ces races, les elfes et les nains. Mais au fil de l’aventure, l'Arbre s’avère être plus qu’un lieu : c’est l’âme même du jeu…
En 1987, trois action-RPG vus de profil sont sortis consécutivement au Japon sur Nes : The Adventure of Link (Zelda 2), Simon's Quest (Castlevania 2) et Faxanadu. Si les deux premiers ont eu une influence notable dans l'histoire des jeux vidéo, le dernier est un peu moins connu. Il faut dire que Faxanadu ne s'inscrivait pas dans des licences aussi fortes. Certes, le jeu est lié à la série des « Dragon Slayer » que l'éditeur Falcom a produits notamment pour les ordinateurs MSX, mais il n'en partage ni la mythologie, ni le gameplay. De ce fait, Faxanadu apparaît un peu comme un jeu orphelin. Contrairement à de nombreux titres de qualité égale, il n'a pas eu de vraie suite susceptible d'entretenir son souvenir. Faxanadu ne méritait pourtant pas de tomber dans l'oubli.
Il raconte l'histoire d'un elfe qui, au retour d'un long voyage, découvre que son pays natal est à l'agonie. Les sources se tarissent, l'Arbre Monde qui protège le royaume se meurt et les nains ont subitement juré la destruction de son peuple. Immédiatement convoqué par le roi, notre héros se voit chargé de remédier à tout ça. Le souverain se révèle un peu radin : plutôt que de mettre son meilleur équipement à disposition, il se contentera d'offrir un maigre pécule, tout juste de quoi acheter une dague… Et pas question de passer par la porte de derrière : il faudra prendre d'assaut de façon frontale l'Arbre Monde infesté d'ennemis pour conquérir le royaume des nains, la source du mal.
Une fois sorti de la première ville, le joueur doit donc grimper à cet arbre gigantesque, divisé en plusieurs zones distinctes. Ce sera à chaque fois l'occasion de résoudre des mystères et d'affronter de nouveaux monstres hostiles. Au pied des racines de l'Arbre Monde, l'objectif sera d'abord de restaurer les sources. Puis, à l'intérieur du tronc, il faudra découvrir l'origine de l'oppressante brume qui gangrène l'arbre. Enfin, les branches seront l'occasion de s'armer lourdement en prévision des affrontements dans le royaume des nains. En chemin, villes et donjons s'enchaînent. Les premières sont l'occasion d'acheter des armes, des potions ou des clés. Elles sont aussi le moment idéal pour glaner des informations, se reposer ou obtenir un mot de passe chez le gourou. Les donjons quant à eux abritent des objets nécessaires pour avancer, et sont évidemment remplis d'ennemis coriaces.
La formule n'est pas d'une originalité folle, mais a le mérite de bien fonctionner. Malgré les pauses occasionnelles, c'est surtout un long et éreintant combat qui attend le héros. Les monstres, nombreux, ont chacun une façon particulière de se mouvoir. Leurs déplacements peuvent sembler erratiques, mais pour pouvoir être combattus efficacement, il faut rapidement comprendre quel est leur rythme. Si leur intelligence artificielle est assez limitée, la plupart cherchent quand même à se rapprocher constamment du héros pour lui infliger des dommages. En outre, dans plusieurs régions, le décor est conçu pour masquer délibérément la visibilité et ainsi rendre les combats plus ardus. Hors le jeu fonctionne un peu comme « The Legend of Zelda » : pas de vrai scrolling continu mais une progression écran par écran avec un certain nombre de monstres qui apparaissent systématiquement à chaque écran, et ce même s'ils avaient été entièrement décimés auparavant. Fatalement, avec aussi peu de répit, les points de vie s'envolent inéluctablement, et les potions deviennent obligatoires.
Il faudra également compter avec plusieurs séquences de plates-formes pour progresser dans l'aventure. Elles y sont bien intégrées, mais souffrent d'une maniabilité quelque peu défaillante en ce qui concerne les sauts. Passer un simple trou demande un peu d'exercice, et si les ennemis interfèrent à ces moments-là, c'est rapidement une vraie galère qui attend le joueur. Celui-ci peut néanmoins tenter de vaincre ses adversaires en ayant recours à la magie. On peut en effet acheter des sorts qu'une simple combinaison de touches permet d'activer. Ils permettent tous des attaques à distance, et se différencient principalement par leur force.
Avec les cadavres de monstres qui s'accumulent, le héros verra son expérience grimper. Ici, il n'est pas question de changements dans ses statistiques de base. L'objectif est plutôt de se voir attribuer par le gourou des titres valorisants, qui déterminent le niveau d'or avec lequel on repart après une mort ou l'utilisation de mots de passe. Ceux-ci se souviennent en revanche plus précisément de l'équipement du joueur et de sa position dans le jeu, et c'est bien là l'essentiel.
Armé de ces atouts, le joueur peut partir l'âme tranquille à la découverte de l'Arbre Monde. Les graphismes et encore plus les musiques peignent admirablement un univers à la dérive, et génèrent une ambiance à la fois triste et épique qui captive le joueur. D'une manière générale, le jeu n'a rien d'enfantin. Il s'ingénie au contraire à faire ressentir le vice profond qui assaille le peuple elfe. Si ce dernier correspond peu aux stéréotypes du genre Legolas et compagnie, les nains, eux, sont à mille lieues d'un Gimli. Tous ces monstres difformes qui prennent le héros à la gorge sont pourtant bien des nains, victimes d'étonnantes transformations. Plutôt que de s'appesantir sur les haines proverbiales entre les deux races, trouver la cause de ces changements s'avérera le but ultime de l'aventure. On ne peut guère parler de rebondissements, le jeu distille en fait de façon progressive les informations sur ce qu'il se passe réellement. Au terme de la quête, le combat final n'a rien d'extraordinaire, mais c'est l'ensemble du chemin parcouru qui laisse une impression forte.
- Graphismes16/20
La palette de couleurs mêle les teintes ocre de la terre et du bois à des tons plus sombres symboles de corruption. Grâce à cela, Faxanadu fonde sa propre identité visuelle caractéristique, et construit son propre monde. Un monde résolument organique, à la fois vivant et mourant. La finesse des décors, des ennemis et des portraits des personnages secondaires contribuent également à l’immersion dans cet univers. Il y a bien quelques bugs d’affichage, mais ils sont sans conséquence sur le jeu et étaient d’ailleurs communs à la plupart des jeux Nes.
- Jouabilité13/20
Alors qu’attaquer ne pose aucune difficulté, effectuer des sauts se révèle être une autre paire de manches. Il est difficile de bien doser son saut, et le héros a tendance à retomber comme une pierre. Malheureusement, le jeu propose un lot notable de séquences de plates-formes qui mettent ce défaut en évidence. Cela énerve, mais il faut noter qu’un saut raté signifie toujours un bout de chemin à refaire, plutôt qu’une mort directe et injuste.
- Durée de vie15/20
L’aventure n’a rien d’évidente et certains passages sont particulièrement retors. Il n’est donc pas rare de mourir, ce qui ici signifie un retour immédiat au dernier gourou rencontré. Et à moins de connaître le jeu par cœur, il faudra s’y reprendre à plusieurs fois pour terminer Faxanadu. Faute d’une pile de sauvegarde, le jeu a été conçu autour d’un système fiable de mots de passe. C’est peut-être plus fastidieux, mais cela permet de choisir plus tard le niveau de l’aventure que l’on souhaite refaire.
- Bande son18/20
Tour à tour envoûtante, mélancolique ou stressante, la bande originale de Faxanadu emporte le joueur dans un monde magique par ses mélodies riches et somptueuses. Bien sûr, les musiques sont limitées par les capacités de la Nes, mais elles sont sans aucun doute parmi les meilleures de la console, aux côtés des Castlevania par exemple dans un autre registre. A l’heure où des organisateurs de concerts mobilisent des orchestres de musique classique pour interpréter des bandes originales de jeux vidéo, Faxanadu est un candidat tout indiqué pour de telles reprises.
- Scénario15/20
Il n’y a pas 36 chemins pour arriver au but. Le jeu s’avère même assez linéaire, demandant rarement de revenir sur ses pas. L’intrigue en elle-même n’est pas très profonde. Elle a en revanche le mérite d’être cohérente et bien construite. Les personnages secondaires donnent toutes les explications qu’il faut sur les buts à atteindre, et en profitent pour étayer le contexte des événements en cours.
Voilà un titre qui mériterait totalement une réédition sur la Console Virtuelle. Ce serait l’occasion pour une nouvelle génération de joueurs de découvrir une aventure prenante, symbolique de ce que la Nes pouvait régulièrement proposer. Faxanadu n’est peut-être pas une légende, mais c’est un bon jeu, tout simplement.