Quand une série a dominé un genre et qu'elle en est arrivée à faire le tour d'elle-même, il ne lui reste pas beaucoup d'options. Elle peut se reposer sur ses lauriers et ne pas changer ses habitudes au risque de lasser, disparaître au sommet de sa gloire ou se livrer à ce qu'on appelle un "reboot". Qu'est-ce à dire ? Balayer ses propres codes et repartir de zéro. C'est risqué, mais ça peut rapporter gros.
Pour le fan de Splinter Cell peu enclin au changement, cet épisode Conviction a tout d'une injure. Si le jeu reste basé sur l'infiltration, vous pouvez mettre au placard tout ce que vous connaissez de la série. Le changement est si radical qu'il vaut sans doute mieux prendre cet opus pour un titre à part entière. Même le ton est plus sombre et n'a plus grand-chose à voir avec le reste de la série. Démissionnaire d'Echelon 3 suite à la perte de sa fille, Fisher va devoir reprendre du service bien malgré lui lorsque cette bonne vieille Grimsdottir entre en contact avec lui. Au menu du scénario : la piste de Sarah Fisher, un complot visant à tuer la présidente des Etats-Unis et la destruction d'Echelon 3 passé du côté des méchants. Mais pour Fisher, la seule chose qui compte, ce sont les réponses et la vengeance. Conviction est sombre, sanglant (au sens propre) et oublie toutes les règles de bienséance d'autrefois. Fisher n'assomme plus, il tue, sans ménagement.
Quand on le regarde, on pourrait facilement penser que Splinter Cell Conviction a fait une croix sur l'infiltration alors qu'en vérité, il propose plutôt une nouvelle façon de l'aborder. On a coutume d'associer l'infiltration à un rythme assez lent, du coup, voir Fisher se déplacer plus rapidement qu'il ne l'a jamais fait et dessouder du garde à la vitesse de la lumière surprend un peu, pourtant, il s'agit simplement d'un changement de rythme. Qu'on ne s'y trompe pas, à faire le malin en pleine lumière ou en jouant trop du flingue, tout ce qu'on gagne la plupart du temps, c'est de se faire tuer en 3 balles. Fisher est peut-être devenu plus vif et plus agressif, mais pas plus solide. On ne perdra donc pas de vue la première des règles : rester dans l'ombre et ne pas faire de bruit. Oubliez cependant les gadgets indiquant votre degré de furtivité, ici, pour vous signaler votre discrétion, le jeu opte pour une approche plus artistique : lorsque vous êtes correctement dissimulé, l'image vire au noir et blanc.
Et puisqu'on aborde la question de l'équipement, sachez que Sam peut maintenant faire usage de toute arme récupérée sur le terrain. De plus, à intervalles réguliers vous tomberez sur des dépôts d'armes dans lesquels vous pourrez faire vos courses et customiser l'arsenal : ajouter un silencieux (fatalement indispensable) à une arme de poing, une crosse plus stable à une mitrailleuse ou encore augmenter la portée d'une grenade IEM. Oui, ces fidèles compagnes permettant de neutraliser les appareils électriques sont toujours disponibles, ainsi que cette indémodable caméra glu toujours capable d'attirer les ennemis avant de leur péter au pif. Et bien évidemment, Sam finira par remettre la main sur un dispositif de vision augmentée. Mais vous pouvez oublier les lunettes classiques à triples modes de vue. Le nouveau système est un peu plus subtil. Certes il permet de passer en vision nocturne mais il s'accompagne d'un sonar permettant de repérer les ennemis à travers les murs. Et là vous commencez déjà à hurler en disant qu'on nous assiste trop. Du calme, l'engin a un défaut, dès qu'on bouge, il brouille complètement la vision et ne peut donc être utilisé en permanence. De plus, sa portée est limitée et certaines parois sont trop épaisses pour qu'il puisse passer à travers.
Bref, voilà pour le matos, maintenant, qu'en est-il du gameplay ? Avant, Splinter Cell, c'était entrer quelque part, repérer les zones d'ombre, étudier les tours de garde et se faufiler au bon moment, souvent dans des environnements assez étriqués et sans trop de droit à l'erreur. En gros, éviter les gardes et ne pas se faire remarquer. Aujourd'hui, les gardes, on les chasse, on devient un prédateur. Les environnements sont nettement plus larges, plus ouverts, offrant des approches différentes au joueur. Fondamentalement, l'idée de l'infiltration ne change pas, seulement vous pourrez tout autant planifier tranquillement vos actions que mettre vos nerfs à l'épreuve en improvisant dans l'urgence, avec toujours dans l'idée de rester invisible. Pour ça, il faut avant tout maîtriser la fonction marquer/exécuter. Qu'est-ce donc ? Simplement un système grâce auquel vous pourrez marquer une ou plusieurs cibles, humain ou élément de décors pouvant faire office de piège, puis de tirer dessus automatiquement dans une salve magistrale du plus bel effet. Non vraiment, c'est la top classe. Cette fonctionnalité surhumaine n'est toutefois pas sans limites. D'une part, la cible doit être à portée de tir, ensuite, il faut d'abord l'activer en réalisant une exécution au corps-à-corps. Là encore notons que les neutralisations à mains nues sont d'une rare élégance et peuvent se réaliser de façon classique ou bien depuis un rebord, soit en basculant le malotru soit en lui tombant dessus. Il est certain que la fonction marquer/exécuter pourrait vite passer pour une hyper simplification du jeu, pensez donc, un tir automatique ! Et pourtant, il ouvre des portes intéressantes et ne signifie pas que vous pouvez faire tout et n'importe quoi. Une exécution foirée, et c'est vous qui allez morfler. En gros, on se retrouve face à deux types de situations. Dans le premier cas, vous prenez le temps d'observer ce qu'il se passe, où sont les gardes, ce qu'offre l'environnement, vous planifiez soit de neutraliser les gus un à un, soit de faire un carton généralisé. Puis, on lance l'action et là en général, tout va très vite, pif, paf, on brise la nuque d'un type, boum, on lance l'exécution des 3 autres, puis on se tire dans le noir avant l'arrivée des 2 derniers larrons qui débarquent. On fait le tour et on les termine. Et surtout, on ne reste pas trop dans la ligne de mire. Et si ça se produit, on change rapidement d'arme pour opter pour un truc qui envoie du gros et on espère avoir le temps de refroidir les dernier guignols avant d'en avoir trop pris sur la tronche.
Il y a toutefois une autre façon de procéder : l'improvisation totale. Souvent, les choses ne se déroulent pas comme prévues, parfois, on ne peut même pas les prévoir. Du coup, on n'hésitera pas à jouer du marquer/exécuter dans l'urgence. Evidemment, il faudra être précis et rapide, mais marquer deux adversaires, sauter sur le troisième et lancer l'assassinat avant qu'il n'ait le temps de faire trop de dégâts ou d'appeler des renforts est tout à fait faisable. Par contre, si vous traînez trop, c'est toute une meute qui vous tombe sur le râble. Mais dans cette éventualité, vous pouvez encore compter sur une autre nouveauté : la dernière position connue. L'idée est bête comme chou, lorsque vous êtes repéré, si vous parvenez à vous éclipser sans être vu, un fantôme vous indiquera la dernière position où on vous a vu, celle précisément où on viendra vous chercher. Pratique pour fuir et contourner l'ennemi.
Très nerveux, souvent sanglant, le nouveau gameplay proposé par cette remise à plat de Splinter Cell en laissera certainement quelques uns sur le carreau. Ceux pour qui il est impensable de transformer Sam Fisher en un mélange de Jason Bourne et de Jack Bauer en seront pour leurs frais. Pour être honnête, il reste bien peu de choses de la série, en dehors de ses personnages. Et si tout ceci est assez jouissif, le jeu compte son lot de défauts. En premier lieu, l'IA a quelques défaillances. Si d'une manière générale ses réactions sont relativement crédibles, il lui arrive encore d'être soit trop sensible ou, plus généralement, un peu aveugle. La customisation des armes est également assez futile. Si on peut en effet accéder à tout un tas de jouets, la plupart n'ont en vérité guère d'intérêt et seule une poignée se montrent vraiment utile. Mais le manque le plus évident et le plus pesant reste sans aucun doute l'impossibilité de déplacer les corps. Allez savoir pourquoi, ce qui a toujours été possible dans la série ne l'est plus ici. Alors même que la présence d'un cadavre a une importance tactique. Vous ne pourrez donc ni les cacher, ni au contraire les placer en évidence pour attirer l'attention. Drôle d'idée dont on saisit mal la finalité. Enfin, si l'ambiance de Splinter Cell Conviction est prenante, on regrette que son scénario, pourtant pas si complexe que ça, semble souvent si obscur. Sachez d'ailleurs qu'il vous faudra environ 6 heures pour boucler la campagne solo. Ce qui fait de Conviction l'épisode le plus court de la série.
Mais bien évidemment, il y a le multijoueur. Les fameuses opérations confidentielles. Se déroulant avant les événements de la campagne solo, cette campagne coop met en scène deux agents disposant du même matériel et des mêmes mouvements que Fisher. En outre, vous trouverez vous trouverez deux modes de jeu en coopération : Chasseur et Dernier Survivant. Pour le troisième, Infiltration, il faudra vous débrouiller pour le récupérer chez Ubi.com. Du coup, on n'en parlera pas puisqu'il n'est pas présent sur la version de test. Le plus intéressant de ces modes est clairement le Chasseur. Chaque environnement est divisé en une suite de zones comptant une dizaine d'ennemis. Le but est de les éliminer sans se faire repérer puis de passer à la zone suivante. Si vous êtes grillé, des renforts arrivent et le nombre d'ennemis double. Le Dernier Survivant en revanche présente moins d'intérêt, encore que ce soit une question de goût, et consiste à survivre à des vagues d'ennemis en protégeant un générateur. Les cartes sont vastes et bien construites, assurant une réelle rejouabilité, d'autant que les gardes ne se placent jamais exactement au même endroit. Cerise sur le gâteau, les Opérations Confidentielles se jouent aussi bien en écran partagé qu'en local ou en ligne.
- Graphismes18/20
Comme toujours, le travail sur les animations est exceptionnel de naturel et de fluidité. Les environnements sont travaillés, à l'exception du très étrange niveau en Irak. La projection des objectifs ou de petites cut-scenes sur les environnements est une excellente idée.
- Jouabilité17/20
Ubisoft a mis de côté toutes les bases de la série pour proposer une prise en main entièrement repensée. Les actions sont souples et fluides, le système de marquage est efficace de même que le système de couverture. Le gameplay devenu très vif et nerveux change radicalement, tout le monde n'aimera pas mais dans l'absolu, ça fonctionne.
- Durée de vie14/20
Comptez environ 6 heures pour boucler le solo et environ 4 à 5 heures pour faire le tour une première fois du mode coop. Ce dernier offre toutefois une très grande rejouabilité.
- Bande son17/20
Certains thèmes musicaux sont grandioses d'autres plus anecdotiques., les doublages sont en revanche excellents.
- Scénario14/20
Prenez un peu de 24h, de Jason Bourne et de Splinter Cell, secouez fort et vous obtenez la trame de Conviction. Une trame pas toujours très bien mise en avant d'ailleurs.
Splinter Cell Conviction c'est Splinter Cell... sans Splinter Cell. Le jeu a si peu de choses en commun avec ses aînés qu'il pourrait tout aussi bien porter un autre nom, on y verrait que du feu. Véritable remise à plat de la série, cet épisode propose des mécaniques complètement différentes, plus orienté vers l'action sans pour autant sacrifier l'infiltration. Mais c'est une approche différente qui est offerte, le fantôme qu'on ne remarquait pas autrefois est devenu un prédateur de l'ombre. Tout le monde ne s'y retrouvera pas, certains crieront à la simplification ou à la trahison ou pesteront sur la durée de vie, mais le fait est que l'ensemble a fière allure.