À notre époque, il est de bon ton de pester – et souvent à juste titre – contre les adaptations vidéoludiques de films. Mais le phénomène ne date pas d’hier : dans les années 80 – 90, la firme Ocean Software se spécialisait dans le genre, adaptant tout et n’importe quoi avec des succès variables, Hook étant un exemple parmi tant d’autres. Et là, nous entendons le feulement du rétrogamers surpris dans son habitat naturel (entre un Amiga 500 et une Super NES, donc) : « Oui, mais c’était mieux avant ! ». Vraiment ?
Peter Pan a bien grandi. Ayant renoncé à son âme d'enfant, Pan est devenu Banning, un homme en costard cravate, avec chéquier et portable. L'infâme Capitaine Crochet, nostalgique du bon vieux temps, ne l'entend pas de cette oreille. Il enlève les enfants de Banning, pour le contraindre à l'ultime affrontement au Pays imaginaire. Mais Peter, qui a tout oublié de sa vie précédente, parviendra-t-il à entrer dans ses collants verts de jeunesse ?
Vous l'aurez compris, Hook est l'adaptation du film éponyme de Spielberg, grosse production ne lésinant pas sur le carton-pâte, sorti sur nos écrans en 1993 à grand fracas publicitaire. Est-ce une adaptation fidèle ? Un joueur se fiant à son impression initiale pencherait plutôt pour l'affirmative. Dans la première partie, Peter devra trouver un costume de pirate et attirer l'attention de Crochet, pérorant sur son navire. La deuxième partie dépeint les aventures de Peter chez les enfants perdus. Enfin, dans le final, Peter vole au secours de ses rejetons, et défait le Capitaine Crochet lors d'un combat singulier. Nous avons bien là le squelette du film de Spielberg. Les clins d'œil divers sont nombreux, du téléphone portable aux dialogues du film, intégrés dans certaines cinématiques…
Une bonne adaptation, donc ? Loin de là. Car Hook est un désastre narratif, dont le scénario devrait être déclaré zone sinistrée. Pour un joueur ne connaissant pas le film, le jeu s'avère tout bonnement incompréhensible. En guise d'introduction, Hook assure le minimum syndical : une courte séquence muette, puis voilà Peter lâché au Pays imaginaire. Le joueur peut se déplacer à sa guise dans le village et interroger les différents pirates. Dès le début, le joueur peut chercher un costume, sans savoir qu'il en a besoin. Une construction logique voudrait que le joueur se rende d'abord près du bateau de Crochet, puis se fasse refouler par le garde, faute de déguisement adéquat. Hook ne s'embarrasse pas de ce genre de détail. Le don de prescience fait sans doute partie des attributs de l'espiègle Peter Pan... Lorsqu'il possède enfin la panoplie complète, Peter s'infiltre alors sur le bateau sans même tirer profit de son déguisement. En effet, le garde a disparu, laissant le bateau de Crochet sans surveillance. Ainsi, les enjeux des énigmes sombrent dans le bouillon de l'incohérence.
Dans Hook, le joueur dispose donc souvent de dialogues évoquant des énigmes dont il n'a pas encore idée, faute de développement narratif. Par exemple, au début du jeu, il sera possible de demander au tailleur s'il ne vend pas des aimants. Pourtant, à cet instant, le joueur n'a aucune raison d'acheter un aimant… Un système de dialogues des plus calamiteux, qui se présente pourtant sous une forme originale. Les répliques apparaissent directement au-dessus de la tête de Peter. Un clic droit permet de passer à la réplique suivante, un clic gauche de faire son choix. Mais ces dialogues sont d'un tel minimalisme, qu'ils n'aident en rien le joueur à saisir les enjeux. De plus, les phrases ne se renouvellent jamais. Si Peter va voir le tailleur, affublé de son costume de pirate, pour lui demander où se trouve Crochet, celui-ci lui rétorquera, comme précédemment : « Tu n'arriveras à rien habillé comme tu l'es ! ». Aucune évolution ou adaptation des dialogues suivant la situation.
On pourrait penser que le jeu se rattrape sur les énigmes. On aurait tort. Celles-ci souffrent tout autant de ce Waterloo narratif. Les énigmes du premier acte, dans le village pirate, se montrent plutôt décentes. Rien de bien extraordinaire ni de très compliqué, mais le joueur aura des actions variées à accomplir, afin de constituer son costume. Les choses se gâtent lors du deuxième acte, quand Peter aborde l'île des enfants perdus. Faute d'explications, le joueur ne comprend rien à ce qu'on attend de lui. En offrant une fleur à la fée clochette, on obtient un dé à coudre. Pourquoi ? Que symbolise ce dé ? Au cours d'une conversation avec Thud Butt, celui-ci donne à Peter les billes de Tootles. Dans quel but ? Ces objets ne servent à rien. Seule une personne ayant vu le film la veille aura une vague idée de ce qu'ils représentent… Les autres se sentiront aussi perdus que les enfants du même nom.
Pourtant, il y a quelques bonnes idées, telle la présence virevoltante de la fée clochette autour du héros. Lorsqu'on clique sur elle avec l'icône « parler », la jolie fée donne de précieux conseils. Une aide intégrée loin d'être superflue, tant le scénario s'effiloche d'une scène à l'autre. Pour le reste, Le gameplay suit les règles classiques du point'n click, à base d'icônes : donner, prendre, utiliser… On notera les visages du Capitaine Crochet et de Peter Pan, représentés de part et d'autre de l'interface. Ils n'ont qu'un intérêt esthétique, Crochet agitant son appendice métallique d'un geste colérique à chaque énigme réussie.
Pour finir en beauté, Hook est sans doute l'un des point'n click les plus courts de l'histoire vidéoludique. Après deux pauvres zones de jeu, durant lesquelles l'intrigue se développe à coups de tromblon, le joueur incrédule assiste à un simili-duel d'insultes, aussi incohérent que le reste, tenant lieu d'acte 3. Le mot « fin » s'étale alors sur l'écran, comme pour nous narguer. Aucune cinématique, bien sûr, les concepteurs n'ayant pas jugé bon de conclure l'histoire proprement, fidèles en cela à leur politique du moindre effort. Inutile de récompenser le joueur par ce genre de futilité… Seul aspect vraiment soigné du soft, les graphismes ne déméritent pas. Les décors du village pirate, faits de bric et de broc, de poupes de vaisseaux éventrés et de mâts fendus, sont agréables et donnent au jeu un faux air de Monkey Island. Le Pays imaginaire flatte aussi le regard, en particulier le chemin des quatre saisons, au charme poétique. Les musiques n'écorchent pas l'oreille, mais elles restent trop peu nombreuses pour vraiment satisfaire.
Du début à la fin, Hook exhale un âpre parfum de médiocrité. Un jeu conçu par des gens à l'évidence pressés de s'en débarrasser. Hook mériterait d'être étudié dans les écoles, pour pointer toutes les erreurs à ne pas commettre, lorsqu'on souhaite raconter une histoire interactive digne de ce nom. Il s'agit d'une adaptation moyenne, sans grande inspiration, qui surfe sur la vague de dollars d'un film à succès. Alors, c'était mieux avant ? Pas toujours, non.
- Graphismes14/20
Les graphismes sont agréables. On prend plaisir à visiter le village pirate, qui n’est pas sans rappeler les caraïbes de Monkey Island. Ils captent aussi l’atmosphère colorée du film, restituant convenablement l’ambiance du Pays imaginaire. La vue d’ensemble de Neverland est d’ailleurs une référence directe à un plan de Spielberg.
- Jouabilité12/20
La présence d’icônes peut surprendre, au début. En fait, celles-ci s’utilisent exactement comme les verbes d’un Lucasarts, dans la plus pure tradition du point'n click. En balayant l’écran à la souris, on constate que les hotspots ne sont pas décelables, mais le jeu évite l’écueil de la chasse aux pixels. Reste les énigmes, plutôt simples, qui virent à la confusion dans la deuxième partie du jeu, faute d’explications.
- Durée de vie6/20
Peter Pan fait un petit tour et puis s’en va. Rares sont les jeux d’aventure aussi courts. Le jeu se boucle en deux heures sans forcer. Peut-être trois, si vous traînez la souris, ou si vous bloquez sur une énigme mal expliquée…
- Bande son13/20
La version PC bénéficie de plus de musiques que la version Atari ST qui propose à l'inverse des bruitages plus immersifs. Les compositions, un poil mélancoliques, sont plutôt de bonne qualité. Mais elles manquent de variété... Par exemple, le premier acte ne comporte qu’une seule mélodie. Il s’agit pourtant de la partie la plus longue.
- Scénario6/20
Lorsque Peter arrive chez les enfants perdus, il les trouve attablés, en train de festoyer. Mais s’il poursuit son exploration, il croise les mêmes enfants ailleurs, sans doute doués d’ubiquité, occupés à diverses activités. Voilà le genre d’incohérences auxquelles le joueur devra faire face. Tout est à plat, sans progression narrative. Seul un spectateur attentif du film y comprendra quelque chose…
La moyenne, mais tout juste. Ces dix points ne sont là que pour récompenser l’aspect technique du soft (graphismes et bande-son), qui évite à Hook de sombrer totalement, avalé par le crocodile de l’oubli. On s’étonnera des critiques de l’époque, plutôt positives. Comment s’enthousiasmer pour Hook, jeu sommaire au récit dépenaillé, lorsqu’on a déjà goûté à Monkey Island 2 ou Indiana Jones and the Last Crusade ? Non vraiment, ce jeu n’est pas « en bonne et due forme », comme dirait le Capitaine Crochet lui-même !