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Test The Colonel's Bequest
Profil de Mordicus,  Jeuxvideo.com
Mordicus - Journaliste jeuxvideo.com

En 1980, Roberta Williams inventa l’aventure graphique en créant Mystery House, un jeu inspiré des Dix Petits Nègres d’Agatha Christie. Huit ans plus tard, après bien des virées au royaume de Daventry (déjà 4 King Quest au compteur), Roberta Williams revint à ses premières amours, l’enquête interactive. En effet, The Colonel’s Bequest reprend les grandes lignes de Mystery House : une maison inquiétante, des cadavres à la pelle… Et pas mal de frissons en perspective.

The Colonel's Bequest

Les années folles. Laura Bow, une jeune fille sage faisant des études de journalisme, accepte l'invitation de sa copine Lillian pour passer un week-end en famille, dans la vieille demeure coloniale de son oncle richissime. La propriété, une ancienne exploitation esclavagiste, ne manque pas de cachet, malgré une tendance évidente au délabrement. Lorsque les membres de cette famille, qui se détestent tous, meurent les uns après les autres, la curiosité de Laura pour cette faune bourgeoise se mue en sourde terreur. La voilà prisonnière, pour une nuit, dans un nid de serpents qui se dévorent entre eux…

The Colonel's Bequest
Une demeure inquiétante.
Dès le levé de rideau, le joueur se trouve en terrain connu. L'inspiration vient d'une matière évidente : c'est du Agatha Christie à tous les étages. Les personnages, les fameux suspects, fleurent bon l'archétype. Il y a le vieillard impotent, méchant comme une teigne et pingre comme une fourmi, malgré sa fortune conséquente. L'ivrognesse qui en sait trop, le séducteur ruiné au jeu, l'avocat véreux, la soubrette française délurée (une spécialité tricolore)… Bref, une galerie de portraits aux traits marqués, qui rappellera des centaines de romans policiers aux amateurs du genre. Le thème de base, un héritage convoité par tous et les drames cachés d'une famille aisée, ne trouble guère non plus par sa folle originalité. Alors, caricatural, The Colonel's Bequest ? Non, plutôt un hommage au genre, comme le seront les différents meurtres, qui égrènent chaque manière imaginable de passer un être de vie à trépas : défenestration, étranglement, poison, arme blanche…

La particularité de The Colonel's bequest réside dans cette atmosphère lugubre. Bien loin de celle des romans d'Agatha, pantouflarde et ouatée, dans laquelle Poirot prend racine, sans risquer sa délicate santé. Ici, la mort étend son ombre rouge sur la bâtisse du colonel, une ombre basse et lourde, pesante comme un couvercle. La vie de Laura est menacée, les occasions de mourir sont nombreuses. Au cours de l'aventure, les cadavres s'entassent, victimes de crimes toujours plus affreux. Personne n'écoute Laura, les corps se volatilisant sans laisser de trace...

Roberta Williams, avec un sens du macabre consommé, développe une ambiance délétère qui met le joueur sur le qui-vive. Une ombre passe derrière les fenêtres, et voilà qu'on sursaute. Le cadre original de l'enquête participe à ce malaise ambiant. Le joueur évolue dans une ancienne plantation esclavagiste, au passé chargé, se composant d'un jardin décrépit et raffiné à la fois, d'une maison art déco regorgeant de passages secrets, le tout par une nuit d'orage et de vent…

The Colonel's Bequest
Laura Bow, une jeune fille sage et studieuse.
Le gameplay présente aussi quelques originalités. Nous ne sommes pas dans un jeu d'aventure ordinaire car, bien souvent, la résolution d'énigmes passe au second plan. Dans The colonel's Bequest, l'important consiste à récolter le plus grand nombre d'informations sur chaque suspect. Ces informations s'obtiennent en interrogeant, mais surtout en espionnant les conversations privées via les passages secrets. Le jeu atteint un nouveau stade d'ambivalence, en misant sur ce voyeurisme morbide. La récolte d'indices matériels complète le tableau : empreintes digitales, traces de pas, mégot oublié...

The Colonel's Bequest
Une scène d’espionnage flirtant avec le voyeurisme.
Le jeu se divise en huit actes d'une heure, se subdivisant eux-mêmes en quarts d'heure. Chaque quart d'heure comporte son lot d'indices à découvrir, mais, contrairement à la tradition du genre, les personnages n'attendent pas sagement le bon vouloir du joueur. Nous sommes dans du semi-temps réel, les suspects mènent leur vie, et tant pis si Laura rate certains détails. Certains suspects peuvent être suivis, d'autres, surpris en pleine conversation houleuse. Enfin, les cadavres baladeurs doivent être examinés avec soin avant leur disparition énigmatique… Seuls les éléments clés de l'intrigue feront avancer l'horloge, et progresser la narration dans un nouveau segment horaire à explorer. Pour le joueur attentif et méticuleux, The Colonel's Bequest s'avère généreux en actions, informations et indices. Il existe même une sorte de « quête secondaire », une chasse au trésor facultative, qu'on peut résoudre quand bon nous semble (ou pas).

The Colonel's Bequest
Une des nombreuses morts possibles, hommage direct à Sir Alfred.
Terminer le jeu ne présente aucune difficulté. Il suffit de promener Laura un peu partout, afin de déclencher la suite des évènements. Ainsi, un joueur bourrin, confondant The Colonel's Bequest avec Doom 3 (l'erreur est humaine), peut très bien achever l'aventure sans comprendre un traître mot à l'intrigue. Auquel cas, il obtiendra le rang de « débile profond », le jeu jaugeant de nos capacités d'enquêteur, après la séquence de fin. Ensuite, on nous propose d'ouvrir notre calepin, dans lequel sont consignées toutes nos découvertes, par section. S'il manque un élément, le terme « incomplet » apparait, en bas de liste. Le jeu donne alors quelques indices facultatifs sur ces éléments non découverts, puis propose une nouvelle partie. Bref, pour obtenir tous les détails de l'histoire, avoir la « bonne fin », et atteindre le rang estimable de « Super Sleuth » (fin limier), il faut recommencer le jeu. Plus qu'une possibilité, la rejouabilité du titre fait partie intégrante du gameplay.

En misant plus sur le récit que sur les énigmes, le jeu n'échappe pas à quelques lourdeurs. Le joueur passe son temps à refaire les mêmes actions, visiter les mêmes lieux, espérant découvrir de nouveaux indices, ou déclencher de nouvelles séquences. Un système parfois rébarbatif, qui pousse le joueur à l'errance. Mais le plaisir consistant à reconstituer ce puzzle funèbre, en fouillant les placards de chacun, domine cet aspect fâcheux. Rien de tel qu'un joli squelette pour récompenser un furetage acharné !

The Colonel's Bequest
Une ombre mystérieuse qui vous fera sursauter.
La technique laisse une impression plus mitigée, surtout aux joueurs modernes. Si les décors soignés et les bruitages de 1989 étaient - et sont encore - convaincants, l'interface, archaïque, accuse le poids des ans. Les actions se tapent au clavier via un interpréteur syntaxique, et le jeu, comme tous les Sierra de l'époque, est en anglais intégral. Heureusement, le gameplay intègre aussi la souris : Laura se déplace d'un clic gauche, un clic droit sur les objets du décor donne une description détaillée. Le plus pénible reste les conversations, aux questions routinières, mais qui ne jouent pas un rôle essentiel, l'espionnage apportant de bien meilleurs résultats.

Loin des productions actuelles, The Colonel's Bequest propose une expérience non linéaire, riche en détails, et, cerise sur le gâteau, avec trois fins différentes. Par son ambiance et son gameplay original, The Colonel's Bequest se place sans souci dans le club fermé des grands jeux, se savourant comme un bon roman policier, que n'aurait pas désavoué la reine du crime elle-même.

Les notes
  • Graphismes17/20

    En dépit des années, le manoir de The colonel’s Bequest n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. Les graphismes détaillés plongent le joueur dans une période peu exploitée par le jeu vidéo : les années 20. Les fontaines vieillissantes, les statues coloniales, les haies taillées, la décoration art déco, autant d’éléments apportant au décor une identité unique, au point d’en faire un personnage central, que le joueur finira par connaître dans ses moindres recoins.

  • Jouabilité15/20

    L’interpréteur syntaxique, héritage des jeux textuels, a de quoi rebuter. Néanmoins, le jeu intègre aussi la souris, permettant de déplacer Laura et d’examiner les détails du décor. Cette complémentarité rend le jeu tout à fait jouable, même pour les générations actuelles. De plus, en misant sur la collecte d’informations, The Colonel’s Bequest impose une rejouabilité nécessaire, bien rare dans les jeux de ce type.

  • Durée de vie16/20

    Si l’on fait le jeu en ligne droite sans se poser de questions, la durée de vie n’impressionne pas vraiment. Mais une telle façon de jouer reviendrait à passer totalement à côté du jeu. The Colonel’s Bequest s’apprécie dans ses détails, et, pour tous les découvrir, il faudra plus d’une partie.

  • Bande son16/20

    Les musiques de Ken Allen restituent l’ambiance des années 20 avec efficacité. Elles alimentent aussi l’inquiétude du joueur, comme les bruitages, composés de tonnerres vibrants, de grillons lancinants, et autres croassements macabres, qui donnent envie de se réfugier bien au chaud.

  • Scénario18/20

    Point fort du jeu, le scénario peut paraître très convenu, de prime apport. La situation semble archi rebattue, les personnages archétypaux… Pour apprécier The Colonel’s Bequest à sa juste valeur, il faut l’aborder sous l’angle de l’hommage, à un genre et à une époque. On comprend mieux alors pourquoi chaque personnage porte un nom évoquant une star des années folles (le docteur Wilbur C. Feels évoquant W.C. Fields, par exemple). Si le scénario de The Colonel’s bequest ne déborde pas d’originalité, sa force réside dans la richesse de ses détails.

À l’aube du jeu d’aventure, tout semblait possible, tout semblait permis. Les concepteurs faisaient preuve d’une inventivité sans frontière. La preuve avec The Colonel’s Bequest, un jeu complexe, qui propose à la fois une histoire très structurée et une liberté totale, avec puzzles optionnels et fins alternatives. Il fait partie des grands jeux d’enquêtes, aux côtés des célèbres aventures de Jérôme Lange, Le Manoir de Mortevielle et Maupiti Island.

Note de la rédaction

17
17

L'avis des lecteurs (1)

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