En 1991, Coktel Vision lâchait sur le monde du point & click trois petits lutins moqueurs, ravageant tout sur leur passage pour arriver à leurs fins. Après avoir sauvé le roi Angoulafre d’une terrible malédiction vaudoue, les goblins sont de retour pour une nouvelle mission périlleuse. Cette fois-ci, ils ne sont plus que deux, mais leur credo reste le même : l’union fait la farce !
Le bon roi Angoulafre est éploré. Son fils unique, chair de sa chair, a été enlevé par l'abominable Amoniak, qui le retient prisonnier comme bouffon, dans son château maléfique. Mais il reste un espoir : deux hardis Goblins se lancent au secours du prince bouffon. Winkle, la forte tête, et Fingus, le diplomate. Voici donc le retour des Goblins, création géniale et bien de chez nous du dessinateur Pierre Gilhodes et de la scénariste Muriel Tramis. Le style Goblins est assez unique dans le paysage vidéoludique en général, et dans la niche du jeu d'aventure en particulier. Un mélange d'énigmes biscornues, de décors délirants et de méchanceté gratuite. Car nos Goblins, très cartoon, sont plus proche de Tex Avery que de « Oui-Oui s'achète un peigne ». En vrais petits farfadets, ils maltraitent les animaux, font des farces potaches, volent, cognent, la taquinerie n'étant jamais bien loin du châtiment corporel. Eux-mêmes s'en prennent plein la tête, le malheur de l'un faisant rire l'autre aux éclats. En autres forfaits, vous aurez l'occasion de frapper une poule avec un saucisson, arroser un garde récalcitrant de mayonnaise, ou encore dérouiller le terrible Amoniak à coups de boomerang (sans raison valable).
Les lutins facétieux s'en donnent à cœur joie, dans une ambiance amorale de conte dévoyé. Les décors misent sur l'extravagance en détournant, comme le scénario, quelques figures traditionnelles : géant, nymphe, arbre parlant, château maléfique, haricot magique… On rigole bien, la charge parodique étant secondée par les excellentes animations de Pierre Gilhodes, très expressives et cocasses. Chaque action comporte à ce sujet son lot de conséquences inattendues. Si Gobliiins 1 était peu bavard, Gobliins 2 rajoute la corde des dialogues à son arc humoristique. Fingus déborde de politesse et de respect, tandis que Winkle, la brute épaisse, n'hésite pas à ruer dans les brancards, offrant un décalage des plus réjouissants. Par exemple, Fingus s'adressera à un basketteur oisif en ces termes châtiés : « Bonjour, ami sportif, beau temps pour une partie, non ? ». Alors que Winkle privilégiera un style plus musclé : « Hé, mou du bulbe, t'attends quoi, des médailles ? ». Ce bon Winkle n'hésite jamais à insulter ses contemporains, souvent au détriment de sa santé.
Le gameplay a aussi évolué tout en gardant son identité si particulière. Déjà, le joueur ne contrôle plus trois Goblins, mais deux (ce qui explique la disparition d'un i dans le titre). Dans le premier jeu, un écran fixe équivalait à un tableau, qu'il fallait résoudre afin de passer au suivant. Gobliins 2 propose jusqu'à trois écrans pour le même tableau, dans lesquels le joueur peut se déplacer à sa guise. Enfin, il n'est plus question de barre de vie (ou de peur), le jeu ne sanctionnant plus l'expérimentation hasardeuse. C'est heureux car la difficulté des énigmes a été revue à la hausse. Les puzzles tordus se résolvent par essais successifs. La logique cartésienne n'ayant pas lieu d'être au royaume des lutins, le joueur ne peut jamais vraiment prévoir les conséquences de ses actes. Le principe d'incertitude, déjà présent dans le premier opus, se voit ici décuplé. Gobliiins 1 proposait des actions très codifiées : le magicien usait de magie, le costaud faisait parler ses poings, le diplomate utilisait les objets. Rien d'aussi clair ici, les rôles de Winkle et Fingus, à géométrie variable, restent loin du partage des tâches bien tranché. Il faudra donc souvent utiliser les deux personnages sur un même élément, afin d'obtenir deux réactions différentes, la plupart du temps imprévisibles.
Autre difficulté, le jeu mise beaucoup sur la coopération. Les Goblins doivent dorénavant effectuer des actions simultanées pour franchir les obstacles. Ce principe introduit la notion de timing, parfois serré, qui nécessite plusieurs essais avant d'être maîtrisée. De plus, les actions changent suivant la situation. Par exemple, si Fingus refuse d'utiliser « le gant sur le trou », il ne faut pas exclure cette action pour autant. En envoyant Winkle effectuer une action particulière, à l'autre bout de la salle, la coopération s'enclenche, et Fingus acceptera enfin d'utiliser le foutu gant sur le maudit trou. La frustration du joueur peut monter en puissance devant ce genre de situations, à la limite du détectable.
Dans le même ordre d'idées, voici une autre situation à caractère exaspérant. Suite à une série de manipulations compliquées, vos lutins farceurs atteignent un lieu difficile d'accès. Il suffit alors d'un faux pas pour retomber au sol, et devoir recommencer la séquence à zéro. Et les faux pas, base même du gameplay, sont fréquents. Autant d'éléments qui majorent considérablement la difficulté du titre. La petitesse des zones (trois écrans maximum) et le nombre restreint d'objets permettent cependant de rester dans les bornes du faisable. Mais le joueur risque de s'arracher les cheveux par poignées, contraint d'utiliser en dernier recours la méthode stakhanoviste du clic intempestif : appuyer sur n'importe quoi n'importe comment, en priant la bonne fée des ludo-aventuriers. À noter qu'un système d'aide, proposant trois jokers, a été intégré au jeu, mais il n'est pas disponible pour tous les tableaux.
Malgré un gameplay un peu frustrant à force de difficulté et d'attentat à la logique, Gobliins 2 reste une bouffée d'air frais revigorante dans le jeu d'aventure, un titre qui ne devrait pas laisser vos zygomatiques insensibles. Et grâce à lui, vous mettrez enfin un nom et un visage sur les gnomes taquins qui volent vos chaussettes, une fois la nuit venue !
- Graphismes17/20
Grande réussite du jeu, les graphismes développent un univers attachant, qui n’est pas sans rappeler un conte des frères Grimm, mais sous substance illicite. Les Goblins mènent leurs aventures dans des décors extravagants, au fond des océans, en enfer, mais aussi dans des lieux psychédéliques très bizarres, même pour un goblin. Ça ne manque pas d’imagination !
- Jouabilité16/20
Le jeu se dirige comme un point & click des plus classiques et gomme les quelques lourdeurs qui entachaient le premier opus. Ainsi, dans Gobliins 2, les héros disposent d’un vrai inventaire, et peuvent donc porter plus d’un objet à la fois. Il suffit de cliquer sur un Goblins pour le contrôler, et les actions simultanées sont dorénavant possibles. Rien de plus simple.
- Durée de vie15/20
La durée de vie peut être très longue si vous mettez un point d’honneur à résoudre tous les puzzles sans aucune aide extérieure. Le jeu comporte dix tableaux, nettement moins que les vingt-deux tableaux du premier opus, mais les apparences sont trompeuses. Ces dix tableaux, plus complexes, peuvent comporter jusqu’à trois écrans de jeu… Bref, la durée de vie est sensiblement supérieure à celle de Gobliiins 1.
- Bande son15/20
Les musiques, peu nombreuses mais bien présentes, s’accordent à merveille aux graphismes barrés. Elles trottent en tête pour longtemps, certaines gravées dans le cortex au burin, à force de blocage sur un tableau récalcitrant. Les voix des Goblins, faites d’onomatopées et d’intonations cocasses, sont hilarantes et participent à l’ambiance (la version CD, comportant un doublage anglais ignominieux, est à éviter).
- Scénario14/20
Le scénario de Gobliins 2 ne dépasse pas le stade du simple prétexte, dont l’objectif principal consiste à placer nos lutins dans des situations et des décors toujours plus farfelus. Sans prétention donc, mais ne manquant pas de surprises.
Les Goblins n’ont pas manqué leur retour. Le gameplay a été peaufiné, mais le jeu risque de rebuter certains par sa difficulté, qui malmène la logique traditionnelle sans prendre beaucoup de gants. L’humour délirant du titre compense cet écueil, pour peu qu’on apprécie ce style burlesque, proche du Slapstick.