On reproche régulièrement aux jeux de rôle japonais de nous servir toujours plus ou moins la même recette. Les développeurs nippons seraient-ils en panne d'inspiration ? Certains titres sortent pourtant du lot mais les joueurs européens n'y ont pas toujours droit. On attend ainsi encore que l'incroyable Demon's Souls se montre sur notre continent... Dans ces conditions, on ne peut que se réjouir de voir enfin débarquer sur nos consoles HD un RPG original, exigeant et entièrement traduit en français.
Les amateurs de jeux de rôle japonais connaissent déjà bien les équipes de tri-Ace à qui l'on doit par exemple les séries des Star Ocean et des Valkyrie Profile. Le studio était pour l'instant resté fidèle à un seul et unique éditeur, Square Enix, et c'est d'ailleurs sous la bannière de ce dernier que nous sont arrivées leurs dernières productions telles qu'Infinite Undiscovery et Star Ocean The Last Hope. L'idylle qui liait les deux firmes n'était pas vouée à être éternelle et tri-Ace vient de claquer la porte de son éditeur habituel pour se tourner finalement vers Sega jugé non seulement mieux implanté en Occident, mais surtout plus ouvert aux concepts originaux. Le premier rejeton de ce remariage s'apprête à nous arriver sur PS3 et Xbox 360, il s'agit d'un certain End of Eternity, étrangement renommé Resonance of Fate pour le marché occidental. Derrière ce titre mystérieux se cache un gameplay exigeant et un univers post-apocalyptique qui détonne avec ce que nous proposent la plupart des jeux de rôle japonais.
Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas ici de battre la campagne avec une épée à la ceinture pour venir en aide à une énième princesse en danger. Resonance of Fate vous entraîne dans un futur plutôt tristounet où l'humanité a dû fuir la surface de la planète devenue invivable pour s'installer dans une immense tour. Bazel, puisque c'est le nom de cet immense édifice, est constitué de plusieurs étages : le sommet est bien entendu réservé à la classe dirigeante et religieuse tandis que la misère s'accumule sur les degrés inférieurs. Le pouvoir politique est aux mains d'une élite théocratique qui instrumentalise plus ou moins la religion pour tenir le peuple sous sa coupe. La marge de manœuvre de ces dirigeants est toutefois limitée puisqu'ils doivent conjuguer avec un pouvoir supérieur bel et bien tangible. L'ordinaire des habitants de Bazel est en effet réglé par un énorme et complexe mécanisme qui leur tient lieu de Dieu. Cette machine va jusqu'à déterminer l'espérance de vie de chacune de ses brebis. C'est ainsi que le Prélat Freida qui était à la tête de cet étrange système politique est morte brutalement alors qu'elle était encore dans la fleur de l'âge. Cette disparition n'a pas laissé ses petits camarades indifférents et ils chercheront donc un moyen de prendre le contrôle de ce fameux mécanisme pour éviter de finir aussi brutalement...
C'est dans ce contexte politico-religieux plutôt original que vous dirigez un groupe de trois chasseurs de primes. Votre fonction est non seulement de faire régner l'ordre en acceptant des contrats divers et variés, mais aussi de donner quelques coups de main aux habitants, la plupart du temps en retrouvant des objets ou en leur servant de coursier. Votre groupe est plutôt atypique puisqu'il est composé d'un grand gaillard qui joue au dur, Vashyron, d'une petite poupée sauvée in extremis du suicide, Leanne, et de son ange-gardien, Zephyr, un personnage qui tient davantage du post-adolescent torturé que du véritable héros. On le voit, les équipes de tri-Ace se sont amusées à reprendre avec une bonne dose de dérision tous les clichés que l'on peut retrouver dans les RPG japonais. Ces clins d'œil ironiques et les différentes notes humoristiques du scénario ne nous empêchent pas de nous attacher à ces trois personnages et de prendre du plaisir à découvrir au fur et à mesure leur histoire et leurs motivations. Toutefois, contrairement à la plupart de ses collègues, Resonance of Fate ne vous assomme pas sous une avalanche de cut-scenes.
L'intrigue principale est composée d'une quinzaine de chapitres et les cinématiques sont généralement regroupées à la fin et au début de ceux-ci. Si le scénario ne s'impose pas lourdement à vous, il n'en est pas moins captivant. Il vous faudra certes supporter quelques blagues qui manquent de légèreté, mais dans l'ensemble l'intrigue de Resonance of Fate surprend par sa solidité et sa maturité. L'univers de ce titre saura certainement vous séduire mais c'est indéniablement son gameplay exigeant qui lui donne tout son intérêt. On retrouve en effet ici un système de combat complet, pour ne pas dire complexe, qui ne devrait pas déplaire aux amoureux de Valkyrie Profile Silmeria. Il serait en effet trop long de lister toutes les similitudes entre les deux titres mais sachez tout de même que les équipes de tri-Ace ont gardé la même philosophie pour leur nouveau bébé : un système stratégique et intelligent qui demande réellement aux joueurs de se creuser la tête et de s'appliquer. Concrètement les combats ne se déroulent ni au tour par tour, ni réellement en temps réel : les ennemis n'agissent que lorsque vous vous déplacez ou vous les ajustez.
Vous pouvez donc prendre votre temps pour évaluer la situation et réfléchir posément à la façon dont vous allez disposer vos trois combattants. Vous pouvez vous déplacer librement dans l'arène de combat mais vos pas feront baisser votre jauge d'action qui vous permet aussi de lancer vos attaques. Une fois que celle-ci est à sec, il ne vous reste plus qu'à changer de personnage. Dans les faits vous pouvez par exemple commencer par vous mettre à couvert derrière une barricade puis allumer l'ennemi le plus proche de vous. Un curseur circulaire apparaît une fois que vous le mettez en joue, il faut que celui-ci soit rempli pour lancer l'attaque. La vitesse avec laquelle il va se charger dépend en partie de la distance qui vous sépare de la cible. En fonction de votre niveau vous pouvez aussi choisir de remplir plusieurs fois le curseur en question pour lancer une attaque plus ou moins dévastatrice.
Les choses se compliquent un peu lorsque l'on prend en compte le fait qu'il existe trois catégories d'armes différentes : les mitraillettes, les pistolets et les armes de jet. Les deux dernières infligent des dégâts directs à la cible mais les mitraillettes ne font pas d'emblée descendre les points de vie, elles occasionnent des points de blessures. Un ennemi peut guérir rapidement de ces fameuses blessures et il faut donc infliger sans attendre quelques dégâts directs pour que ces éraflures fassent finalement baisser la vie de votre adversaire. Vos trois loustics auront tous leur spécialité : à chaque type d'arme correspond un niveau qui augmente quand le personnage utilise l'arme en question. Le niveau global d'un personnage est la somme de ces trois spécialités. Sur le terrain vous serez donc très souvent amené à faire agir en premier Zephyr, qui partira la mitraillette à la main pour affaiblir les ennemis, avant de lancer Vashyron et Leanne qui les achèveront à coups de revolver. Vous garderez en général vos cocktails Molotov et vos munitions explosives ou inflammables pour les adversaires les plus coriaces ou les boss.
Le système de combat de Resonance of Fate vous semble déjà relativement complet ? Il manque encore pourtant l'une de ses dimensions essentielles : son dynamisme. En effet les affrontements sont tout sauf statiques et vous n'irez pas loin en restant planté comme un vieux yucca devant vos ennemis. Vos petits gars sont ainsi capables d'accomplir une "Action Héroïque" en consumant un des cristaux de la jauge située en bas de l'écran : il s'agit tout simplement de définir une trajectoire pour votre personnage. Ce dernier va foncer droit devant lui et avoir ainsi nettement plus de temps pour allumer ses adversaires. La moindre fusillade se traduit alors à l'écran par de jolis ralentis et des angles de caméras stylisés que n'aurait pas reniés John Woo. Dans votre charge héroïque, vous pourrez même envoyer valdinguer les malotrus qui vous font face dans les airs. Deux solutions s'offrent alors à vous : soit tenter votre chance du sol pour essayer de placer une attaque bonus, soit les suivre dans les cieux pour les envoyer s'écraser lourdement au sol. Il faudra faire votre choix rapidement mais les deux possibilités présentent leurs avantages et vous permettent notamment de récupérer un peu plus d'objets à la fin du combat.
Si les Actions Héroïques donnent lieu à des gunfights incroyablement bien mis en scène, elles permettent aussi dans certaines conditions de récupérer des précieux Points Resonance. Il suffit ainsi que la trajectoire du personnage vienne couper la ligne qui sépare ses deux collègues pour récupérer l'un de ces fameux points. Il faut ensuite répéter plusieurs fois l'opération pour les accumuler et pour lancer ensuite une triple attaque dévastatrice. La disposition de vos trois personnages sur le champ de bataille constitue les trois sommets d'un triangle, cette attaque leur permettra tout simplement d'échanger leur place un peu à la manière d'un joueur de base-ball qui court d'une base à l'autre. Imaginons par exemple que vous disposez de trois Points Resonance, en les utilisant, chacun de vos petits combattants pourra faire intégralement le tour du triangle en question avant de revenir à son point de départ. Vous l'aurez compris, ces attaques deviennent réellement efficaces à condition que vos troupes soient idéalement placées sur le terrain : vous pouvez en effet encercler un ennemi et l'assaillir de toutes parts.
Les Actions Héroïques sont tellement impressionnantes et efficaces qu'on a tendance à en abuser lors des premières heures de jeu. Malheureusement elles s'avèrent aussi gourmandes en cristaux et pour en récupérer des nouveaux il faut généralement mettre un ennemi hors service. Vous apprendrez donc à être prudent car votre groupe entre en état critique dès que votre jauge est à court de cristaux. Vos personnages sont alors tout tremblotants, ils n'infligent quasiment plus de dégâts et le moindre coup fait baisser directement leurs points de vie de façon dramatique. Bref c'est le game over si vous n'arrivez pas à récupérer rapidement un de ces fameux cristaux en mettant à mal un ennemi. La mort n'est pas anodine puisque le moindre continu vous demandera de débourser quelques deniers. Préparez donc vos boîtes de tranquillisants car les combats qui vous attendent ne sont pas de tout repos. Pour venir à bout de vos ennemis il ne vous suffira pas de leveler bêtement, il vous faudra exploiter les faiblesses de vos ennemis, jouer sur les placements pour les attaquer là où ils sont le moins protégé, s'investir dans un système de customisation de l'armement plutôt étrange et jouer des différents bonus que peuvent vous apporter les terminaux.
Resonance of Fate ne se limite en effet pas à un enchaînement de champs de bataille, vous visiterez aussi quelques environnements à l'ambiance inimitable et vous naviguerez d'un étage à l'autre de l'immense Bazel. Il vous faudra utiliser des cellules d'énergie afin de pouvoir vous déplacer dans ce monde, redonnant ainsi vie petit à petit à tous les hexagones qui constituent la carte. Vous trouverez ces cellules dans les poches de vos ennemis mais certaines d'entre elles, plus rares évidemment, sont colorées et vous donnent accès à des lieux stratégiques comme des villes ou des donjons. Ces cellules colorées peuvent enfin être raccordées en grand nombre à des terminaux afin de bénéficier de différents bonus. Ce système n'est pas sans rappeler celui des orbes de Silmeria et s'avère finalement plus important qu'il n'y paraît au premier abord. En effet, vous pourrez ainsi par exemple doubler les dégâts de type feu dans la zone avant de vous lancer dans un donjon peuplé d'adversaires glacés... La difficulté apparente de Resonance of Fate n'a donc rien de totalement insurmontable, les amateurs seront au contraire ravis de trouver là du challenge et d'être forcés de se creuser un peu la tête. Au final il s'agit là d'un RPG exceptionnel qui se déguste avec plaisir à condition bien entendu d'être patient et attentionné.
- Graphismes15/20
Les graphismes de Resonance of Fate ne sont pas particulièrement impressionnants d'un point de vue purement technique. Certains auront d'ailleurs du mal à s'habituer aux teintes grisâtres récurrentes dans le jeu. Mais malgré tout le titre bénéficie d'un design soigné qui vous permettra d'accrocher réellement à cet univers steampunk original. Cerise sur le gâteau, les passionnés pourront jouer à la poupée avec leurs personnages et les habiller de façon tendance ou totalement ridicule en fonction de leurs goûts.
- Jouabilité18/20
Le gameplay est tellement complet qu'il en devient indéniablement complexe. Ne ratez surtout pas le didacticiel optionnel qui se trouve à l'entrée de l'Arène et n'hésitez pas à réviser régulièrement vos fondamentaux en consultant le manuel et en vous faisant la main sur des combats simples avant de vous lancer dans un donjon. Cette difficulté n'est pas pour autant insurmontable et de nombreux joueurs y verront une richesse plutôt qu'un handicap.
- Durée de vie17/20
La quête principale compte une quinzaine de chapitres qui doivent pouvoir se traverser en une soixantaine d'heures en comptant les game over. N'espérez pas enchaîner les donjons au pas de course vu la difficulté de certains combats ; il va falloir vous y faire, vous allez devoir vous y reprendre souvent à plusieurs fois avant de trouver la bonne stratégie... Les guildes de chasseurs de primes rassemblent toutes les quêtes annexes qui sont tout de même relativement variées et qui apportent quelques récompenses non négligeables.
- Bande son16/20
L'ambiance est soutenue par des compositions musicales de qualité et on apprécie la possibilité de choisir entre des doublages anglais ou japonais qui sont tous deux plutôt soignés.
- Scénario16/20
Le scénario peut sembler décousu mais on apprécie finalement que les petits gars de tri-Ace ne nous aient pas infligé des heures et des heures de cinématiques et qu'ils nous laissent le temps de découvrir calmement les trois personnages principaux. On se retrouve finalement avec une histoire mature qui n'échappe pas à l'humour potache mais qui propose aussi une réflexion autour du poids de la destinée. D'ailleurs la référence au Dieu mécanique ou l'omniprésence de la thématique de la mort ne sont pas sans rappeler d'autres œuvres à tiroirs telles que le manga La Musique de Marie.
Resonance of Fate ne plaira certainement pas à tout le monde et il s'agit avant tout d'un titre destiné aux joueurs exigeants à la recherche de challenge. Mais à condition de savoir où vous mettez les pieds, vous trouverez là l'un des meilleurs RPG japonais qui nous soit arrivé sur cette génération de consoles. Le bébé de tri-Ace est complètement à contre-courant de ses petits collègues mais c'est justement ce qui fait de lui un jeu d'exception.