En 1999, Konami frappe un grand coup en prouvant à qui de droit que le survival-horror peut véhiculer des émotions autres que la surprise. Peur, tristesse, colère, Silent Hill, c'est un peu tout ça et beaucoup plus encore. Bâti sur un scénario diabolique, dans tous les sens du terme, le premier épisode se laissera le temps de la réflexion, via un deuxième épisode cultissime, pour s'offrir une conclusion quelques années plus tard. 2010, la bourgade américaine renaît de ses cendres. Balayée par des vents incessants, ensevelie sous un lourd tapis de neige, Silent Hill accueille à nouveau Harry Mason qui va devoir une fois de plus franchir d'innombrables barrières psychologiques pour retrouver Cheryl.
Ayant été malmené sur les consoles nouvelle génération, Silent Hill aura néanmoins connu un regain d'intérêt via l'épisode Origins. Il était donc logique que Konami choisisse la société anglaise Climax, responsable de l'épisode susnommé, pour l'adaptation Wii de l'épisode originel. D'ailleurs, on ne peut pas à proprement parler de remake tant l'édition 2010 de Silent Hill s'émancipe de son aîné. Une excellente initiative d'autant que la prise de risques peut souvent être mal perçue par un public de fans désireux de retrouver un univers codifié. De ce point de vue, Shattered Memories s'avère très équilibré en reprenant plusieurs personnages originaux, l'atmosphère étouffante de Silent Hill, le monde altéré mais aussi et surtout la quête d'un père désirant plus que tout retrouver sa fille. En somme, bien qu'on se retrouve en territoire connu, on aura vite fait de perdre pied à cause (grâce ?) de plusieurs choix de gameplay et une structure narrative bien différente de celle d'origine.
Tout commence comme dans un vieux rêve. Harry Mason roule sur la route de Silent Hill avec sa fille à ses côtés. Survient alors l'accident. Harry s'éveille, seul, pris d'un effroi indicible. Le reste, vous le connaissez, ou du moins, vous pensez le connaître. En effet, tout en s'appuyant sur un fil rouge connu, Shattered Memories opte pour une approche plus psychologique, à l'instar de Silent Hill 2. Toutefois, la trame scénaristique s'avère ici plus torturée tout en bénéficiant d'un cheminement original. En effet, alors que vous avancerez dans les ruelles enneigées de la ville américaine, vous serez très souvent projeté en arrière, ou plutôt en avant, pour vous retrouver dans le cabinet d'un psychiatre essayant de comprendre ce qu'il vous est arrivé. L'idée est excellente et ce pour deux raisons. Premièrement, cette bouée de sauvetage n'en est pas vraiment une. En effet, ces séances de psychanalyse incitent à se poser des questions sur l'identité du médecin. Qui est il ? Cherche-t-il vraiment à nous aider ?
Si ce mystère sera élucidé lors d'un dénouement inattendu, ce parti pris a le mérite de déstabiliser le joueur. La deuxième raison découle directement des réponses que vous donnerez aux questionnaires que le médecin vous soumettra. En effet, vos choix influeront sur le rendu de Silent Hill, les rencontres que vous y ferez et, dans une moindre mesure, votre progression. Par exemple, un simple coloriage de dessin modifiera le visuel d'une bâtisse que vous serez amené à trouver sur votre chemin. Un questionnaire concernant vos cours préférés aura pour effet de vous faire passer par des endroits différents. Que vous soyez fidèle ou non en amour vous permettra de côtoyer des demoiselles extraverties ou au contraire, introverties. En somme, bien que cela ne change pas en soit le déroulement de l'histoire, le tout aura le mérite de modifier vos souvenirs et donc de rallonger la durée de vie pour qui souhaiterait vivre l'aventure de plusieurs manières.
Malheureusement, Shattered Memories devra composer avec des idées beaucoup moins lumineuses. La première d'entre elles est d'avoir purement et simplement éludé les séquences d'action. Dans l'absolu, c'est plutôt une bonne chose surtout quand on se rappelle au bon souvenir de Homecoming qui avait opté pour une approche totalement opposée et finalement hors propos. Dans la pratique, c'est déjà beaucoup moins convaincant vu que Climax a troqué les gunfights contre des courses-poursuites interminables se déroulant dans le monde altéré. Ici, vous devrez simplement faire preuve de rapidité et de dextérité pour trouver des éléments bleutés (porte, mur...) avec lesquels vous pourrez interagir. Bien que ces courses parviennent à maintenir un bon niveau de stress, elles deviennent très vite insupportables. En effet, tout en devenant de plus en plus longues, il vous faudra également trouver les quelques fusées éclairantes disséminées ici et là pour repousser des ennemis de plus en plus nombreux. Mais ce n'est pas tout puisque pour corser la difficulté, ces parcours deviendront plus tortueux, ceci vous obligeant à consulter la map pour savoir où aller, tout en intégrant des énigmes réclamant l'utilisation de votre téléphone portable. Bref, de substitut stressant, le tout se transformera rapidement en parcours d'obstacles énervant et parfois très frustrant malgré un système de checkpoint.
Comme je le disais plus haut, vous serez amené à user de votre mobile et ce à intervalles réguliers. Celui-ci se révélera être votre plus fidèle compagnon grâce à ses nombreuses fonctionnalités. La première vous permettra de prendre des photos de disparus, à la manière d'un Project Zero, afin d'en connaître un peu plus sur le passé de Silent Hill. D'ailleurs, cette chasse aux souvenirs perdus passera aussi par des sortes de flashs mémoriels, d'objets chargés d'histoire ou l'utilisation inopinée de numéros de téléphone que vous trouverez un peu partout. En sus, le GPS de votre téléphone sera votre meilleure arme pour retrouver facilement votre chemin, surtout lors des poursuites décrites plus haut. Un objet indispensable qui saura s'effacer devant la quantité affolante d'actions anodines qu'on vous demandera d'effectuer. Ainsi, si la recherche d'items est une composante essentielle dans le survival-horror, elle prend ici des allures de grand n'importe quoi.
En effet, il vous sera très souvent demandé d'ouvrir un placard, un portefeuille ou de secouer une cannette pour dénicher la clé vous permettant d'ouvrir une porte située à quelques mètres de là. Ici, on sent bien la volonté des développeurs d'avoir pensé leur jeu pour la Wii en maximisant les mouvements à effectuer à la Wiimote pour ouvrir une fenêtre, prendre un simple objet, etc. Le hic est que le tout a été transposé sur PS2 et PSP en privilégiant le déplacement d'un curseur couplé à une touche d'action afin d'effectuer le même type de mouvements. Dans tous les cas, ces passages auront vite fait d'agacer le joueur désireux d'avancer pour démêler le vrai du faux. Et c'est bien là le gros problème de Silent Hill Shattered Memories. Ayant opté pour des moyens factices afin de rallonger sa durée de vie, le titre de Climax se perd souvent dans des passages bancals avant de nous pousser à nouveau dans un scénario se montrant parfois supérieur à celui d'origine. En définitive, il y a fort à parier que cette nouvelle itération horrifique ne plaira pas à tout le monde. Pourtant, on sera enclin à féliciter le développeur pour avoir délaissé la voie de la facilité afin de nous offrir une nouvelle vision de Silent Hill, certes imparfaite, mais originale et... Rafraîchissante.
Dans l'impossibilité de prendre nos propres captures, les images de ce test proviennent de chez l'éditeur.
- Graphismes14/20
Quitte à initier un "reboot" de la saga, Climax s'est autorisé plusieurs modifications d'ordre graphique. Le résultat n'a plus grand-chose à voir avec le volet original d'autant que les cauchemars initiaux, faits de métal et de feu, cèdent ici leur place à leur contraire synonyme d'environnements de glace perdus dans des tempêtes de neige. Dommage que la version PSP soit constamment noyée sous un flot d'aliasing. Toutefois, l'atmosphère empreinte de solitude est bel et bien présente à l'instar des personnages principaux et de cette impression d'évoluer dans un gigantesque dédale psychologique.
- Jouabilité13/20
Quel que que soit le support, on regrettera la quantité phénoménale d'actions basiques ne servant qu'à nous faire perdre du temps, la recherche intempestive de clés ou des cauchemars bien trop longs devenant au fil du jeu de plus en plus exaspérants. En somme, alors que la jouabilité ne pose pas de problèmes en soi, c'est plutôt le spectre des possibilités redondantes et maladroites qui finit par agacer et épuiser.
- Durée de vie10/20
Proposant peu d'énigmes et une exploration beaucoup plus linéaire que celle de l'épisode original, Silent Hill Shattered Memories se terminera en 6, 7 heures. Libre à vous de reprendre l'aventure en optant pour des réponses différentes aux tests psychologiques mais sachant que tout ceci n'influera que sur l'aspect visuel du jeu, l'intérêt reste limité.
- Bande son15/20
Akira Yamaoka rempile et comme d'habitude ses compositions se montrent exquises tout en étant discrètes. Par ailleurs, le doublage américain est de bonne qualité tout comme la gamme de bruitages, limitée mais parfaitement dans le ton.
- Scénario16/20
Basé sur l'histoire originale d'Harry Mason, Shattered Memories emprunte des chemins différents en optant pour une narration plus alambiquée. Si celle-ci est totalement imprégnée de l'esprit Silent Hill, elle n'en reste pas moins imparfaite autant dans son rythme que dans sa structure, intéressante, débouchant sur un twist bien amené mais quelque peu avare en cinématiques et dialogues.
Silent Hill Shattered Memories est un titre qui divisera au sein de la communauté Silent Hill. Tout en ayant habilement remanié le fond et la forme, les développeurs de Climax se sont néanmoins fourvoyés en cherchant coûte que coûte à construire leur jeu autour de quelques éléments de gameplay. Le résultat se veut donc mi-figue mi-raisin. En somme, si on appréciera un scénario plus sophistiqué ou l'ambiance glaciale, en totale opposition avec celle du volet initial mais dénotant d'un malaise aussi profond, on pestera devant une plus grande linéarité et des séquences de cauchemar synonymes de courses-poursuites complètement loupées. Toutefois, Silent Hill reste plus que jamais une aventure dérangeante. Dommage que ce ne soit pas toujours dans le bon sens du terme...