En deux volets, la série Stalker s'est taillée une solide réputation chez les amateurs de FPS. Avec sa Zone irradiée peuplée de mutants, son côté RPG et sa grande liberté d'action, le titre des Ukrainiens de GSC Game World a su réunir une belle base de fans. Des fans qui se sont d'ailleurs emparés du jeu pour l'améliorer à grands coups de mods. A l'écoute de leur communauté, les développeurs ont intégré certaines de ses idées dans Call of Pripyat, un troisième épisode jouable indépendamment des précédents. L'épisode de la maturité, serait-on tenté de dire, tant il frôle la perfection dans tous les domaines.
2012. Le gouvernement ukrainien, muni d'une carte des anomalies de la Zone, pense pouvoir atteindre son cœur. L'armée envoie alors 5 hélicoptères en direction de la centrale de Chernobyl. Nom de l'opération : Fairway. Mais les choses tournent rapidement au fiasco : les appareils se crashent pour une raison inconnue. Afin d'enquêter sur les circonstances de cet événement tragique, les services secrets ukrainiens (SBU) envoient l'agent Alexander Degtyarev dans la Zone. C'est ce nouveau protagoniste que vous incarnez dans Call of Pripyat, infiltré sous l'apparence d'un stalker lambda. Vous voilà donc lâché, seul et mal équipé, au beau milieu d'un territoire hostile, avec pour seule indication les dernières positions connues des hélicoptères. En cela, CoP est bien respectueux de ses aînés, vous laissant dès le départ une grande liberté, ainsi qu'un certain sentiment d'abandon et de solitude...
Cette impression est encore renforcée par la tristesse des lieux dans lesquels vous débutez votre investigation. La première zone de jeu – sur un total de 3 seulement, mais assez étendues – s'organise autour d'un vaste bourbier, où des îlots de roseaux poussent sur les quelques buttes de terre qui parviennent à émerger des fosses fangeuses. Mangées par la rouille, quelques carcasses de bateaux accrochent le regard, quand leur armature squelettique ne disparaît pas dans des volutes de brouillard toxique. De ces paysages désolés se dégage un charme envoûtant, qui ne se démentira pas avant le générique de fin, quel que soit l'environnement traversé. Un grand bravo aux artistes de GSC, qui ont surmonté certaines limitations techniques pour nous offrir des décors somptueux ô combien immersifs. Call of Pripyat peut faire office de simulateur de promenade tant arpenter la Zone est un plaisir contemplatif qui se suffit à lui-même. Néanmoins, vous n'aurez pas toujours le loisir de rêvasser en admirant le panorama, car les lieux sont aussi hostiles qu'ils sont beaux. Les grognements d'une horde de pseudo-chiens lancés à vos trousses auront tôt fait de vous rappeler la dure réalité de la Zone : ici la mort rôde, elle est partout. Le moindre faux pas peut être fatal tant les dangers sont multiples : mutants, zombies, bandits, anomalies...
Comment survivre dans ces conditions extrêmes ? D'abord en rejoignant d'autres stalkers présents dans la Zone. Après avoir erré seul dans le froid humide des marécages, il est réconfortant de trouver enfin la sécurité d'un abri, le visage amical d'un être humain et l'apport nutritif d'un morceau de saucisson. Outre le simple bonheur procuré par une telle rencontre, les PNJ sont surtout l'occasion d'obtenir une aide matérielle indispensable : munitions, meilleure armure, amélioration des armes... Mais évidemment, rien n'est gratuit. Pour bénéficier de ces services, vous devez d'abord vous acquitter de certaines tâches pour gagner quelques roubles. Rassurez-vous, les missions annexes ne sont pas aussi basiques que dans les précédents Stalker, où il suffisait généralement de ramener 10 morceaux de Snorks comme dans le premier MMO venu. Au contraire, les quêtes secondaires de Call of Pripyat ont été particulièrement bien écrites et ne dépareilleraient pas dans un vrai bon jeu de rôle. Qu'il s'agisse de nettoyer un nid de sangsues ou de dénicher un mystérieux oasis, chaque quête est unique et propose des développements intéressants. Loin de vous prendre par la main, le jeu vous laisse souvent dans le flou, avec juste un indice sur la marche à suivre. A vous de dialoguer avec les autres personnages et d'éplucher les documents trouvés pour atteindre l'objectif. De plus, même si la trame ne conduit qu'à une seule véritable conclusion, des petites scènes vous montreront les conséquences de vos réussites et de vos échecs. Au final, l'aspect RPG est sans doute la plus grande réussite de CoP, et relègue les deux épisodes antérieurs au rang de pâle brouillon.
Malgré ça, ce nouveau Stalker reste avant tout un FPS. Dans ce secteur du gameplay, la formule n'a pas vraiment changé. On retrouve les différents types de munitions, les armes qui s'usent et s'enraillent, les modules complémentaires (silencieux, lunette, lance-grenades), le système d'amélioration introduit par Clear Sky, etc. La balistique est à mi-chemin entre l'arcade totale d'un Call of Duty et le réalisme d'un ArmA. Une seule nouvelle pétoire fait son apparition, c'est peu, mais l'arsenal était déjà bien fourni, depuis les pistolets obsolètes du début jusqu'au puissant fusil Gauss. Bref, CoP comporte tout ce qu'il faut pour des combats convaincants. Notons quand même une différence majeure par rapport aux précédents épisodes : il y a peu d'affrontements contre des ennemis humains. Fini la guerre entre les factions, tous les stalkers semblent désormais s'entendre et vous accueilleront avec amitié ou, au pire, indifférence. Seuls quelques bandits et les fanatiques du Monolithe vous opposeront une certaine résistance, pas aussi surréaliste qu'autrefois d'ailleurs (adieu les pluies de grenades lancées avec une précision diabolique, ouf). Mais pas de panique : si l'action n'est plus aussi soutenue, le manque d'adversaires humains est largement compensé par l'omniprésence des mutants. Le fameux système A-life, qui gère la vie de cette population de monstres, a encore été amélioré et rend les rencontres imprévisibles d'une partie à l'autre. On remarque quelques nouvelles créatures, comme le burer, terrible menace dotée de capacités télékinésiques, ou une monstruosité bicéphale baptisée chimère.
Par chance, certains de ces mutants ne rôdent que sous terre. Vous n'aurez cependant pas d'autre choix que de vous y frotter parfois, car le jeu reprend l'orientation souterraine de Shadow of Chernobyl, qui avait été abandonnée dans Clear Sky. Souvenez-vous des laboratoires X16 et X18 de l'épisode original, de cette ambiance survival à la Doom 3 qui vous asphyxiait dans de sombres et étroites coursives... Si vous avez apprécié ces séquences, Call of Pripyat est fait pour vous, car on en rencontre plusieurs au cours de la progression. Dont un passage vraiment réussi qui vous fera atteindre la ville fantôme en traversant un ancien tunnel, muni d'une combinaison intégrale et épaulé par une équipe que vous aurez préalablement mise sur pied. D'une façon plus globale, le soft a d'ailleurs le mérite de proposer des scènes plus travaillées que précédemment. La séquence finale, qui vous demande (spoiler !) de traverser les rues de Pripyat envahies de zombies avant d'évacuer en hélicoptère sous les tirs du Monolithe, est un bon exemple de cet aboutissement. Certes, on reste très loin de la mise en scène ultra scriptée d'un Modern Warfare – et heureusement, ce serait hors-sujet. Mais on sent que les développeurs ont voulu mettre une once de narration dans cet océan de liberté, et ils s'en sont bien tirés. C'est fait avec parcimonie, sans que le procédé prenne jamais le pas sur le côté bac à sable de la série.
Vous l'aurez compris à la lecture de ces lignes, Call of Pripyat est le digne successeur de ses aînés, qu'il surpasse même sur plusieurs plans. Il y a pourtant un domaine où le jeu trahit totalement l'esprit de la série : la finition. Normalement, les jeux Stalker sont caractérisés par une avalanche de bugs, de plantages, de sauvegardes corrompues et autres joyeusetés. Rien de tout cela ici, pas le moindre problème technique, le moteur est d'une stabilité exemplaire... Incompréhensible. GSC a apparemment appris de ses erreurs passées. Du coup, on se retrouve avec un soft propre au bout du troisième essai. Mieux vaut tard que jamais. Outre cette finition exemplaire, Call of Pripyat profite d'une foule de petites améliorations, certaines issues des mods de la communauté, comme les nuits plus noires ou la fonctionnalité permettant de dormir. Enfin, l'interface a été remaniée. Il est ainsi possible de voir la discrétion sonore et visuelle du personnage grâce à deux jauges dans le HUD. L'inventaire permet de savoir facilement quelle munition correspond à quelle arme, ce qui n'est pas du luxe. Bref, le FPS post-apocalyptique ukrainien frôle désormais la perfection, à tel point qu'on voit mal qui pourrait rivaliser avec lui cette année. De très bon augure pour Stalker 2, sur lequel les développeurs vont maintenant pouvoir se concentrer après avoir offert à leur première trilogie ce magnifique point final.
Note : Les captures qui illustrent ce test ont été prises en mode DirectX 9.
- Graphismes16/20
Le X-Ray Engine n'est pas le moteur 3D le plus impressionnant techniquement. La végétation, notamment, fait parfois pâle figure face aux ténors du genre comme Crysis. Les animations sont également perfectibles. Néanmoins, la grande force de Stalker est son aspect artistique extrêmement abouti. On est souvent subjugué par la beauté sauvage qui se dégage des environnements, que ce soit dans les marécages du début ou dans l'usine Jupiter décrépite. Notez que les possesseurs de configurations DirectX 11 profiteront de quelques effets supplémentaires.
- Jouabilité18/20
On retrouve la formule des précédents opus, à savoir un gameplay FPS plutôt réaliste et exigeant sans être aussi insurmontable qu'une véritable simulation. L'IA s'en sort bien et ne lance plus des grenades à tort et à travers, l'interface jouit de plusieurs améliorations bienvenues (indicateur de bruit, munitions en surbrillance...), la fonction sommeil est très pratique... Le tout sans aucun bug, ce qui représente un petit miracle pour la série ! Quelques joueurs regretteront le peu d'affrontements contre des humains, mais le jeu ne manque pas d'action par ailleurs.
- Durée de vie16/20
Comptez 10 heures de jeu pour aller directement à la fin, plutôt 20 pour tout explorer et accomplir les quêtes secondaires. C'est mieux que la grande majorité des FPS actuels, d'autant que le soft n'est vendu que 30 euros. De plus, la rejouabilité est bonne car vos actions ont un réel impact sur les diverses séquences finales. Enfin, CoP possède comme ses ancêtres une composante multijoueur, que nous n'avons malheureusement pas pu tester.
- Bande son16/20
On n'y prête pas forcément attention car elle est discrète, mais l'ambiance sonore de Stalker participe grandement à l'immersion qu'on ressent dans la Zone. Cet épisode ne fait pas exception, avec toujours les mêmes sons inquiétants et les mêmes musiques atmosphériques. Les développeurs auraient d'ailleurs pu faire un effort de renouvellement, mais on leur pardonne ce recyclage car le résultat est réussi. Le doublage français est plutôt bon, tandis que les conversations entre stalkers au coin du feu sont comme d'habitude en ukrainien.
- Scénario17/20
Contrairement à Clear Sky qui se déroulait avant les événements du jeu original, Call of Pripyat est bien la suite directe de Shadow of Chernobyl. La nouvelle intrigue s'inscrit parfaitement dans la trame tissée par la série, même si on aurait aimé retrouver davantage de personnages connus et de références aux précédents volets. Le scénario a surtout le mérite d'offrir quelques passages très réussis, comme l'arrivée à Pripyat par les tunnels ou la séquence d'évacuation finale. Sans oublier des quêtes secondaires fort bien écrites, dignes des meilleurs jeux de rôle.
Call of Pripyat constitue assurément l'épisode le plus accompli de la saga Stalker. Maîtrisé de bout en bout par un GSC en état de grâce, le titre comblera de bonheur les amoureux de la Zone, plus envoûtante que jamais. Le renforcement du côté RPG se fait peut-être au détriment de l'action, mais le soft comporte tout de même quelques séquences d'anthologie. Exempt de tout bug, jouable indépendamment des précédents volets et proposé à un prix raisonnable, Call of Pripyat est donc la nouvelle référence du FPS en monde ouvert, tout simplement.