L’expérience d’Avatar est récemment venue confirmer qu’un succès au box-office n’engendre pas forcément un jeu qui fait l’unanimité. Pourtant, certains titres comme King Kong ou le dernier Batman, ont su prouver que les jeux à licence pouvaient concilier technique et inventivité, au service d’un gameplay solide. Mais qu’en était-il au milieu des années 90 ?
En 1994, les Studios Disney ont le vent en poupe. Ils viennent de signer deux de leurs plus grosses productions : La Belle et la Bête et Aladdin. Ils décident alors de quitter l'univers des contes de fées pour mettre le cap sur l'Afrique en s'inspirant du célèbre Roi Léo d'Ozamu Tezuka. C'est ainsi que naît Le Roi Lion, suivi de son cortège de produits dérivés, jeu vidéo en tête. L'histoire prend place dans la savane africaine. En ce jour de fête, tous les animaux se réunissent autour du rocher du lion, pour célébrer la naissance du fils de leur bon roi à crinière. Du moins, tel est le propos du long-métrage de Disney, car le jeu édité par Virgin Interactive s'affranchit de cette scène introductive en la limitant à une image de Rafiki levant Simba au ciel, le tout sur fond musical du désormais célèbre « Circle of Life ».
Ce qui surprend au premier abord est l'ambiance dégagée par le titre, et ce dès les premières secondes de jeu. Simba, le lionceau que vous incarnez, évolue dans un environnement verdoyant et rocailleux qui s'accorde parfaitement avec l'univers du dessin animé, d'autant que les compositions originales signées Hans Zimmer ont été utilisées. Très vite, donc, le joueur s'immerge dans l'univers de Disney en oubliant les quelques petites entorses nécessaires au bon déroulement du jeu, comme l'absence de Nala aux côtés de Simba. Manette en mains, le lionceau répond plutôt bien. Un bouton lui permet de sauter sur les ennemis inoffensifs – ce qui exclut par conséquent les porcs-épics –, un autre de miauler pour paralyser ou retourner les vilaines bêtes qui barrent sa route. La croix directionnelle n'autorise qu'une seule allure, la course, par ailleurs nécessaire pour sauter avec efficacité car un bond sans élan se matérialisera à l'écran par un saut sur place sans utilité. Un petit bémol dans la maniabilité donc, puisque prendre son élan n'est pas toujours d'une grande évidence sur les plates-formes de largeur réduite. En revanche, le jeu permet toutes sortes de rattrapages puisqu'il est possible pour Simba de s'agripper aux rocs grâce à ses griffes, autorisant quelques phases d'escalade sympathiques.
Le reste du jeu est de même facture, et reprend presque invariablement les environnements et les musiques du dessin animé original. Les développeurs de Westwood Studios sont parvenus à conserver l'ambiance et l'univers du long-métrage tout en lui conférant un fort potentiel ludique grâce à nombre d'astuces qui s'imposaient pour certaines, bien trouvées pour d'autres. Le deuxième niveau est à ce titre une réussite totale. Alors que le dessin animé donne à cet instant dans la chanson « I Just Can't Wait To Be King », le joueur est propulsé dans un tableau brossé à grand renfort de couleurs toutes plus flashy les unes que les autres. Le résultat, surprenant, prend tout son sens à l'écoute de la musique qui rythme l'ensemble du niveau. Les hippopotames sont bleus, les rhinocéros verts, les singes roses et les décors explosent dans des tons orangés zébrés d'éclairs jaunes. De la même manière, l'épisode « Hakuna Matata » est l'occasion pour Simba de parcourir un niveau en forêt imaginé à base de cascades qui lui imposent son chemin comme une sorte de labyrinthe aquatique. Un bon compromis entre le respect de l'univers de Disney et les besoins exigés par un jeu de plates-formes.
D'ailleurs, Westwood Studios a multiplié les possibilités pour rendre le jeu le moins monotone possible, et si Simba se contente de courir et sauter dans le premier niveau, ceux qui suivent le confrontent à de nombreuses situations. Le deuxième niveau, par exemple, est une sorte de casse-tête pour trouver le chemin de la sortie, qui exige que l'on retourne les singes pendus aux arbres afin qu'ils propulsent le lionceau dans la bonne direction. Ces séquences sont entrecoupées de courses à dos d'autruche en scrolling horizontal qui font appel aux réflexes du joueur pour éviter toutes sortes d'obstacles. Plus tard, c'est carrément un Simba vu de face qui courra en direction de l'écran, slalomant entre les pierres qui apparaissent sur sa route et les animaux affolés qui le dépassent de seconde en seconde. Ces petites variations de gameplay sont judicieusement réparties et très cohérentes avec l'univers original du Roi Lion.
Mais la grande idée du titre, c'est de prendre en compte et d'exploiter l'évolution de Simba, qui grandit au fil des niveaux de la même manière que dans le dessin animé. Le jeu opère alors un mini zoom arrière pour permettre d'afficher un Simba plus adulte et forcément plus grand, tout en évitant de noyer l'environnement extérieur derrière des sprites démesurés. Arborant une magnifique crinière, Simba se déplace désormais de droite à gauche à la rencontre d'ennemis à sa mesure : il affronte désormais des panthères et peut se débarrasser des singes qui jadis l'auraient bringuebalé d'arbre en arbre. Les hyènes, elles, ne représentent plus qu'un problème mineur pour un lion qui peut désormais donner des coups de griffes et se saisir de ses assaillants grâce à quelques prises de judo bien senties. Toute une partie du gameplay est donc remise en question, Simba ne pouvant plus sauter sur ses ennemis pour s'en défaire, et le joueur doit s'adapter à ces nouveaux pouvoirs plutôt bienvenus pour poursuivre sa quête. Graphiquement, le jeu devient plus sombre à l'occasion de passages nocturnes en forêt ou au cœur de volcans en fusion, le paysage reflétant l'état d'âme d'un Simba revanchard à la poursuite de Scar.
Si l'ambiance est au rendez-vous, on regrettera que le scénario soit aussi découpé et amputé de nombreuses scènes qui auraient permis de donner du liant à l'ensemble des niveaux. Westwood Studios a certainement jugé – à tort ou à raison – que les joueurs qui se lanceraient dans ce jeu auraient auparavant fréquenté les salles pour visionner le long-métrage. Le problème, c'est que les passages conservés représentent globalement trop peu d'intérêt. C'est d'autant plus dommage que le joueur n'ayant pas vu le dessin animé ignorera tout des motivations de Simba. Le connaisseur de Disney pestera quant à lui devant le parti pris de Westwood Studios qui aurait peut-être pu faire un effort supplémentaire pour ne pas livrer un scénario aussi lacunaire. Ceci étant, le travail est globalement relativement bien mené, et Le Roi Lion reste une bonne adaptation pour les nombreux amateurs du film.
- Graphismes16/20
Le jeu est soigné et respecte fidèlement l’univers de Walt Disney. Les environnements sont très colorés et véritablement agréables à regarder, et les animations de Simba et de ses ennemis sont de très bonne facture.
- Jouabilité14/20
Simba répond relativement bien, manette en mains, mais ses sauts sont parfois entachés d’une certaine lourdeur qui peut conduire au drame. Ses courses lui confèrent en revanche une célérité bienvenue. Dommage que les mouvements (et les actions de combat en particulier) soient en nombre si restreint.
- Durée de vie12/20
Le jeu n’est pas bien long. Il serait en revanche hypocrite de prétendre que sa grande simplicité en fait un jeu rapide à finir : si les joueurs confirmés n’y trouveront guère de challenge, il y a fort à parier que les joueurs occasionnels ne s’en sortiront pas si facilement.
- Bande son18/20
Entre les remix de musiques existantes ou celles reprises à la note près, la bande-son confère une ambiance merveilleuse qui ne dénature en rien l’œuvre originale. Les bruitages sont discrets et efficaces ; on s’amusera du miaulement de Simba comme on éprouvera de la fierté pour son rugissement d’adulte. Quelques voix digitalisées sont présentes, mais en anglais.
- Scénario10/20
Le jeu mise beaucoup trop sur le succès du long-métrage et s’épargne un travail de fond qui semble pourtant indispensable pour offrir une vraie cohérence. On ignore tout des motivations de Simba et certains personnages importants n'interviennent que dans des niveaux bonus.
Le Roi Lion est un titre qui réussit la prouesse de concilier les obligations dues à la licence et les codes du jeu de plates-formes 2D, tout en se permettant quelques touches d’originalité. Malheureusement, l’équipe de Westwood Studios est restée beaucoup trop concentrée sur le gameplay et a oublié un élément indispensable pour ce genre de jeu : un enrobage scénaristique conséquent. Mais ne boudons pas notre plaisir : Le Roi Lion reste un jeu de plates-formes d’un très bon niveau et mérite d’être essayé pour les grandes qualités qui sont les siennes.