Sorti depuis un peu moins d'un an, Gobliiins 4 était venu de nulle part pour rappeler aux joueurs que bien avant d'envoyer Adibou à la campagne ou à la mer dans des logiciels éducatifs, la talentueuse équipe de Coktel Vision était spécialisée dans le jeu d'aventure. Et en effet, il y a maintenant dix-huit ans...
...tout le Royaume est en ébullition ! À l'occasion d'un repas, le bon monarque Angoulafre est subitement victime d'une crise de folie des plus singulières, provoquée par un rituel vaudou. Bouleversés par cet événement soudain, les proches du roi décident sans tarder d'envoyer trois lutins auprès de Niark le Sorcier, qu'ils estiment être le seul capable de trouver un remède. Pour le petit groupe d'aventuriers qui quitte le château, c'est une aventure déjantée et semée d'embûches qui commence.
C'est à cet instant que le joueur s'empare de la souris et établit ce premier constat : Gobliiins est un point'n click tout ce qu'il y a de plus classique dans ses mécanismes. Ils reposent principalement sur une série d'interactions permettant de progresser, depuis l'observation des environnements jusqu'à l'utilisation - souvent incongrue - des objets récupérés au cour de l'aventure. C'est à cet instant également que le joueur comprend tout le sel du titre : si Gobliiins s'écrit avec trois i, c'est parce qu'il lui faudra composer non pas avec un, mais avec trois lutins. Simultanément. En apparence anecdotique, ce choix ouvre pourtant la porte à bien des possibilités. Au revoir combinaisons hasardeuses ! Adieu essais infructueux ! Ici, il est indispensable de procéder avec méthode et logique, sous peine d'errer sans fin dans les méandres de ces casse-tête tortueux.
Oups, Ignatius et Asgard - car tels sont les noms des lutins - forment en effet une équipe des plus complètes au regard de leurs capacités respectives. Oups, le technicien de la bande, est des plus manuels, puisque capable de saisir divers objets afin de les utiliser individuellement ou de tenter des combinaisons. Ignatius, le magicien, peut quant à lui jeter quantité de sorts aux effets souvent surprenants, dans l'espoir de débloquer une situation épineuse. Asgard enfin, moins délicat que ses partenaires, se contente de frapper objets et personnages sans trop se poser de questions, ou de grimper à des cordes. Le joueur est ainsi invité à alterner les passages d'un lutin à un autre à la recherche de la meilleure combinaison de ses personnages. Par exemple faire pousser une pomme avec Ignatius, la frapper pour la faire tomber avec Asgard et la ramasser avec Oups. Cette complémentarité permet de résoudre chacun des vingt-deux tableaux proposés par le jeu.
En effet, Gobliiins se distingue des autres point'n click par son architecture très linéaire, qui oblige le joueur à découvrir des écrans fixes les uns après les autres, non sans avoir au préalable déchiffré l'énigme posée par le précédent. Impossible donc d'accéder à un nouvel environnement dans l'espoir de découvrir l'objet qui permettrait de se sortir d'un casse-tête sans fin : tout est à portée de main, dissimulé dans un seul écran mûrement réfléchi où un seul problème doit être contourné. Un schéma quelque peu dirigiste en apparence, mais qui permet surtout au joueur de ne pas s'égarer dans des errements infinis pour résoudre les énigmes, d'autant que certaines d'entre elles se révèlent parfois plus que loufoques, franchissant sans scrupule les frontières d'une logique cartésienne. La barre de vie que partagent les trois amis et qui se vide au gré des combinaisons fautives paraît déjà si désespérément courte qu'on ne peut que saluer cet équilibre trouvé par le jeu.
Si cette direction prise par les développeurs refroidira à n'en pas douter plus d'un joueur impatient, on peut considérer que c'est le prix à payer pour évoluer dans un univers à l'humour omniprésent et sans faille. Si l'on joue à Gobliiins, c'est avant tout pour son atmosphère légère qui essaie de dissiper avec habileté les tourments rencontrés par le joueur, parfois frustré de rester bloqué des heures sur un paysage au milieu duquel il n'avait pas remarqué l'interrupteur à activer. Depuis les bruitages jusqu'à la touche artistique imprimée aux tableaux très colorés, tout concourt à donner à Gobliins un aspect délirant qui séduira les uns et finira par énerver les autres. Mais il serait dommage de passer à côté de ce titre pour avoir tenté, en vain, de faire un peu de magie sur un épouvantail.
- Graphismes16/20
L'univers de Gobliiins se révèle à la fois cohérent et original, et tient visuellement la route en dépit de son grand âge. La patte de Pierre Gilhodes, graphiste qui a suivi toute la série, offre des tableaux colorés et rafraîchissants qui aujourd'hui encore restent un régal à découvrir. En ce qui concerne les personnages, on ne peut qu'apprécier leur richesse visuelle entre postures et autres mimiques qui contribuent autant au plaisir des yeux qu'à l'humour du titre.
- Jouabilité14/20
Simple et efficace, telle est la devise du point'n click qui se maîtrise en quelques secondes. On pourra cependant reprocher au jeu sa trop grande rigidité dès lors qu'il s'agit de faire interagir les trois personnages en même temps, passer de l'un à l'autre rapidement pouvant se révéler compliqué et extrêmement frustrant. En ce qui concerne la qualité des énigmes, il sera par moment indispensable de passer par une période de tâtonnements pour trouver la voie.
- Durée de vie15/20
Profondément immersif ou définitivement exaspérant, Gobliiins ne laissera certainement personne indemne. Le temps de jeu de chaque joueur dépendra de sa capacité à s'investir ou à faire preuve d'intuition, mais un petit blocage peut rapidement se transformer en de longues heures de souffrance.
- Bande son12/20
Même si la qualité sonore est meilleure sur CD, Gobliiins reste un jeu aux bruitages crachotants symptomatiques des jeux de son époque. La version disquette fait intervenir les personnages dans un jargon incompréhensible qui, comme tous les sons, participe grandement à la dimension comique du jeu.
- Scénario14/20
Simple mais efficace, le scénario a au moins le mérite d'exister et de proposer un fil conducteur au joueur tout au long de l'aventure. Outre cette trame générale, on appréciera surtout le soin très particulier accordé à chaque tableau, qui sont d'une certaine manière de petites histoires.
Gobliiins est un jeu comme on n'en fait plus. Malgré ses presque vingt ans, un élan de nostalgie nous pousserait à déclarer fermement qu'il n'a pas pris une ride tant il reste agréable et amusant, mais un regard plus critique nous oblige à reconnaître certaines limites techniques en ce qui concerne la jouabilité ou le son. Cela n'occulte cependant pas le fait que le titre de Coktel Vision reste une référence du genre, décliné depuis en quatre épisodes, ce qui témoigne de son succès. Telle est la force de Gobliiins qui, comme d'autres avant lui, demeure dans les esprits comme l'un des grands de son époque.