Nombreux sont les jeux de rôle à avoir été annoncés comme les successeurs spirituels de Baldur's Gate. Mais les titres en question ont, au final, rarement comblé les attentes des joueurs. Sauf que dans le cas de Dragon Age : Origins, le nouveau Bioware, on n'a sans doute jamais été aussi proche de la vérité. A croire que seul le studio qui avait créé le mythe pouvait réitérer cet exploit.
Il y a onze ans, Bioware gratifiait les joueurs PC d'un jeu de rôle sous licence AD&D (Advanced Dungeons & Dragons) : Baldur's Gate. Ce titre ainsi que sa suite, plus linéaire mais aussi plus épique, devinrent très vite des références dans le genre, souvent copiées mais jamais égalées. Sorti quelques années plus tard, Neverwinter Nights du même studio constitua une vraie réussite sur le plan du multijoueur mais sa campagne solo fut jugée décevante. Aujourd'hui, après avoir visité d'autres horizons dans Knights of the Old Republic, Jade Empire ou Mass Effect, Bioware renoue avec ses premières amours, l'heroïc-fantasy. Dans Dragon Age : Origins, son nouveau jeu de rôle, le studio nous propose cette fois un univers de son cru, loin du classicisme des Royaumes Oubliés (la licence Donjons & Dragons est restée la propriété d'Atari, éditeur de Neverwinter Nights). En dépit de ce nouveau background soutenu par un système de jeu maison, et malgré l'absence de vue aérienne tactique dans cette version console, le titre évoque immanquablement Baldur's Gate avec sa gestion d'un groupe de plusieurs personnages (quatre en l'occurrence).
Dragon Age : Origins se déroule dans le royaume de Ferelden à une époque sombre et troublée qui voit de terribles créatures nommées engeances sortir de leur demeure souterraine et affluer par le sud. La cité d'Ostagar se prépare à subir l'assaut de cette légion maléfique, dont on murmure à demi-voix qu'elle agirait sous le commandement d'un archidémon. Ce n'est pas la première fois qu'une telle menace pèse sur la région ; par le passé, elle a déjà été repoussée par une confrérie légendaire, les Gardes des Ombres. Duncan, le responsable actuel de cette organisation, parcourt donc Ferelden à la recherche de nouvelles recrues, qu'il sent capables d'affronter le rite d'initiation et de vouer leur destin à la destruction des engeances. C'est dans ce contexte que vous intervenez, puisque le héros que vous créez est rapidement recruté par Duncan à l'issue d'un prologue spécifique à vos origines. Ces dernières sont déterminées par la combinaison de votre race (humain, elfe ou nain) et de votre classe (guerrier, mage ou voleur). La structure narrative de Dragon Age : Origins est donc particulièrement innovante, puisqu'elle est constituée de six histoires différentes qui débouchent toutes sur un tronc commun. Certains prologues, comme celui du mage, sont d'office très prenants ; d'autres sont plus convenus mais procurent des motivations fortes à votre héros. Nous ne dévoilerons pas leur teneur pour ne pas vous gâcher le plaisir ; bornons-nous à préciser que ces différents prologues sont l'occasion d'effectuer vos premiers choix moraux, dont les incidences sur l'aventure sont bien réelles même si elles restent limitées par la structure « en entonnoir » du jeu.
La création de votre personnage ne se limite pas à la détermination de ses origines. Vous pouvez ensuite modifier son apparence à l'aide d'un éditeur assez complet (soignez-la vu qu'il apparaîtra dans les nombreuses cut-scenes du jeu !), mais aussi sélectionner le timbre de sa voix, qu'il ne fera pas entendre lors des dialogues mais qui résonnera en combat. Puis on vous demande d'effectuer quelques choix statistiques. Vous disposez de 5 points à répartir dans vos caractéristiques (force, dextérité, volonté, magie, ruse et constitution), sachant que vous en obtiendrez 3 supplémentaires à chaque niveau. Vous devez aussi choisir une des huit compétences accessibles à toutes les classes, qui recouvrent des domaines divers et variés : rhétorique, larcin, herborisme, stratégie... Les points gagnés ultérieurement vous permettront d'en apprendre de nouvelles ou d'en augmenter le degré de maîtrise. Les compétences permettent de nuancer le rôle que vous interprétez : votre guerrier pourra devenir un as du vol à la tire, un orateur redouté ou un expert en préparation de cataplasmes. A côté de ça, vous disposez bien sûr d'un grand nombre de pouvoirs spécifiques à votre classe, organisés en plusieurs branches de talents ou de sorts. Chaque branche comprend quatre pouvoirs : en apprenant le premier, vous débloquez l'accès au second et ainsi de suite jusqu'au quatrième, qui nécessite bien entendu les plus gros prérequis. La palette de pouvoirs disponibles, particulièrement vaste (nous en avons compté 212 toutes classes confondues) vous amène à effectuer de vrais choix qui compensent le peu d'archétypes disponibles à la création.
Qui plus est, une fois le niveau 7 atteint, votre personnage a la possibilité de se spécialiser. Un voleur peut par exemple devenir rôdeur, barde, duelliste ou assassin. Des bonus spécifiques lui sont alors octroyés et il gagne une branche de pouvoirs dédiés. Chaque classe dispose de quatre spécialisations, mais là où Dragon Age : Origins marque des points, c'est qu'il ne vous laisse pas y accéder automatiquement une fois le niveau requis atteint. Pour en débloquer une, il faut acheter le manuel en question chez le marchand, ou bien rencontrer un PNJ capable de vous enseigner cette voie, voire accomplir la quête qui permet d'en bénéficier. On apprécie vraiment ce système très rôleplay. Dans le même esprit, sachez que vos compagnons n'attendent pas bêtement d'être recrutés au fin fond d'une auberge : ils disposent tous d'un solide background qui vous amène à les croiser durant votre périple. En outre, malgré l'absence de notion d'alignement, les motivations particulières de chacun des membres de votre groupe peuvent entrer en contradiction entre elles ou bien avec les vôtres (ils ne manqueront pas de vous le faire savoir). Vous devez alors veiller à ménager les susceptibilités, sachant qu'il est possible de leur offrir des cadeaux si leur jauge d'approbation n'est pas au beau fixe. Si l'un d'entre eux vous apprécie beaucoup, il vous entraînera dans une quête personnelle, et s'il est du sexe opposé, vous vivrez peut-être une histoire d'amour avec lui ! Vos compagnons sont aussi amenés à intervenir lors de vos discussions avec les différents PNJ, qui peuvent d'ailleurs refuser de vous parler si certaines têtes ne leur reviennent pas.
Chaque dialogue, dont le style littéraire a été magnifiquement préservé par la traduction française et dont le doublage, très correct, est servi par une synchronisation labiale de haut niveau, fait honneur à la réputation de Bioware en la matière. Bien écrits et jamais manichéens, les PNJ sont les ressorts d'un background à la fois original et crédible, loin des conventions et des clichés de l'heroïc-fantasy traditionnelle. Les elfes y sont opprimés ou rejetés, les nains rongés par des luttes de pouvoir intestines et les mages surveillés en permanence par les templiers de la Chantrie, la religion locale. L'univers crépusculaire et sans concession de Dragon Age : Origins se nourrit donc de thématiques modernes. Il vous arrivera de croiser un tueur en série livré en pâture aux engeances, un mage amnésique victime d'une surconsommation de potions de mana, une elfe abusée sexuellement étant jeune ou encore un forgeron prodige protestant contre ses conditions de travail. Le royaume de Férelden est également chargé d'une histoire que vous approfondirez en mettant la main sur les nombreux codex. Il serait même très agréable à parcourir s'il n'était pas aussi découpé : comme dans Baldur's Gate 2, vous passez d'une zone à l'autre via des voyages rapides avec rencontres aléatoires à la clé. Peu vastes et très cloisonnées, ces différentes zones de jeu ne favorisent pas l'exploration. Mais bien qu'elles soient vite parcourues, elles vous procurent chacune leur lot d'heures de jeu, car elles sont conçues comme autant de sous-chapitres captivants et riches en rebondissements, dans lesquels vous êtes amené à effectuer quelques choix cornéliens.
On trouve aussi dans chaque zone de jeu un grand nombre de quêtes variées. La plupart jouissent d'une écriture solide, mais vous disposez par ailleurs de missions complémentaires aux objectifs plus basiques (à récupérer sur des panneaux d'affichage) qui viennent booster une durée de vie déjà très satisfaisante. Une zone se conclut généralement par l'exploration d'un vaste donjon bien gardé, d'un aspect quelque peu générique et répétitif car il est réalisé à partir de sections de décor mises bout à bout comme dans Neverwinter Nights. De manière générale, les environnements n'ont pas le côté « fait main » d'un Baldur's Gate. Ils se révèlent néanmoins agréables à regarder malgré leur aspect technique daté (on rappellera que le développement du jeu a été entamé il y a plus de 5 ans). Seul vrai regret : un cycle jour/nuit aurait pu contribuer à les rendre plus immersifs. Les personnages souffrent pour leur part d'une animation un peu rigide ; leur visage fin et remarquablement bien modélisé ne les rend paradoxalement pas aussi expressifs que ceux de Drakensang par exemple. Dragon Age : Origins bénéficie heureusement d'un bestiaire très réussi, sous la forme d'une galerie de monstres plutôt classiques (loups, araignées, brigands, ours, ogres, hommes-arbres...) mais souvent impressionnants. Chacun représente un challenge identifiable à la couleur de son nom (blanc, jaune, orange ou rouge), emprunt judicieux aux MMO. Au vu des combats exigeants, il vaut mieux être bien préparé, même si la difficulté du jeu a été revue à la baisse sur cette version console (dont mode difficile équivaut au mode normal sur PC).
Pour être précis, les combats sont presque aussi ardus que ceux de la version PC, mais ils sont moins tactiques. La faute à une absence de vue aérienne mais aussi à une jouabilité trop alambiquée qui gâche paradoxalement le surcroît de dynamisme auquel on s'attendait sur console. Chacun de vos personnages, entre lesquels vous pouvez switcher facilement, ne bénéficie en effet que de six slots d'accès rapide (où l'on ne peut même pas placer une potion). Du coup, vous avez souvent recours au menu radial, qui permet de mettre l'action en pause pour accéder à l'ensemble de vos pouvoirs et de votre inventaire, mais pas de passer de vrais ordres : si vous voulez qu'un personnage se déplace, il vous faut en prendre le contrôle et le bouger vous-même (très pratique quand vous voulez lancer un sort de zone !). Dragon Age : Origins vous propose heureusement de paramétrer des scripts personnalisés pour chacun des membres de votre groupe, destinés à les rendre plus autonomes lors des affrontements (exemple : utilisation d'un cataplasme curatif quand la santé descend en dessous de 25 %). Toutefois ne vous leurrez pas : dans la plupart des cas, il vous est impossible de laisser vos personnages agir tout seul sans finir par mordre la poussière, et c'est tant mieux ! On apprécie que les groupes bien équilibrés puissent venir à bout d'opposants en surnombre, ce qui donne lieu à des combats épiques : les armes qui s'entrechoquent, les effets visuels des sorts, le sang qui gicle et les animations gore déclenchées par les coups critiques en font de purs moments de bonheur, portés par les superbes thèmes musicaux composés par Inon Zur.
Dans Dragon Age : Origins, les personnages mis hors de combat se relèvent en cas de victoire. Le système est similaire à celui de Drakensang : vos héros reçoivent des blessures de gravité plus ou moins prononcée, qui les handicapent jusqu'à ce qu'elles soient guéries au moyen de nécessaires de soins. Ceux-ci peuvent être trouvés, achetés ou même fabriqués si vous disposez de la compétence d'herborisme. De manière générale, l'artisanat, qui vous permet aussi de confectionner des pièges et des poisons, est très utile. Attention tout de même, car si les pièges sont mortels, ils affectent indifféremment vos ennemis et vos alliés, à l'instar des sorts de zone des mages. Les composants de craft sont loin d'être les seuls objets sur lesquels vous mettrez la main. Votre inventaire de groupe, dont la capacité est limitée, devrait vite être plein à craquer. Un ingénieux système de fatigue apporte un réalisme bienvenu et sonne le glas des grosbills : plus lourde est l'armure équipée par un personnage, plus il met de temps pour se déplacer et attaquer et plus l'utilisation de ses pouvoirs consomme d'énergie. En ce qui concerne les armes, certaines d'entre elles peuvent être enchantées par le biais de runes qui leur procurent des effets magiques donnés. Nul besoin de rentrer en ville pour effectuer toutes ces optimisations : il suffit de vous rendre à votre campement où vous pouvez négocier avec des marchands itinérants et interagir avec vos compagnons (leur parler, leur offrir des cadeaux, changer les membres du groupe). Tous ces aspects font de Dragon Age : Origins un grand jeu de rôle, doté d'un univers solide, d'une histoire captivante et de combats épiques.
- Graphismes14/20
Dragon Age : Origins paie le prix, visuellement parlant, de la longueur de son développement. L'animation des personnages est trop rigide ; leur visage est correctement modélisé mais manque d'expressivité. Les décors sont inégaux et la végétation est hideuse. Comparée à la version 360, cette mouture PS3 souffre de textures tout aussi disgracieuses ; son clipping moins prononcé lui vaut un framerate plus capricieux. Ce qui sauve le rendu visuel, ce sont les combats spectaculaires, magnifiquement mis en scène, qui s'appuient sur un bestiaire réussi, de sympathiques effets de sorts et une certaine violence graphique.
- Jouabilité16/20
La gestion et l'optimisation de votre groupe de personnages sont un pur régal. Bien que très impressionnants, les combats sont moins tactiques que sur PC et le surcroit de dynamisme dont ils auraient pu bénéficier se voit paradoxalement gâché par une jouabilité perfectible. Les dialogues, qui impliquent constamment des choix de votre part, témoignent du savoir-faire de Bioware. L'aspect exploration est plus en retrait : l'univers très découpé et les zones de jeu cloisonnées rendent la progression quelque peu linéaire. On notera aussi quelques écueils en ce qui concerne l'immersion (absence de cycle jour/nuit, PNJ trop figés, furtivité sous-exploitée, leveling automatique des compagnons restés au camp).
- Durée de vie16/20
Si vous explorez de fond en comble toutes les zones et épuisez l'ensemble des quêtes, Dragon Age : Origins vous offrira entre 70 et 80 heures de jeu en mode normal. Si vous jouez dans un niveau de difficulté supérieur, vous devrez recharger régulièrement votre partie et finirez par dépasser allègrement les 100 heures de jeu. Ajoutez à cela le potentiel de rejouabilité issu des les six origines différentes et vous obtenez une très bonne durée de vie pour un RPG qui a fait une croix sur le multijoueur.
- Bande son17/20
L'ambiance sonore est un des gros points forts de Dragon Age : Origins. Les compositions musicales de Inon Zur, qui bénéficient de l'interprétation de la vocaliste Aubrey Ashburn, sont belles à pleurer. Les bruitages sont plus en retrait : on aurait apprécié qu'ils se montrent plus immersifs et plus percutants. Mais l'aspect sonore brille surtout par ses nombreux dialogues entièrement doublés, de façon plus que correcte. Mention spéciale à la traduction française d'une qualité exceptionnelle, qui a su préserver leur style très littéraire. Signalons enfin que nous avons constaté un reverb trop prononcé et une saturation régulière du son sur cette version PS3.
- Scénario18/20
L'histoire de Dragon Age : Origins, qui s'inspire aussi bien du Trône de Fer que du Seigneur des Anneaux, est ancrée dans un univers crépusculaire, adulte, crédible, qui se nourrit de thématiques modernes et qui s'appuie sur des protagonistes épargnés par tout manichéisme. Ajoutez à cela l'ingénieuse idée des origines, qui permet d'aborder la trame principale avec des motivations fortes, ainsi qu'un grand nombre de quêtes à tiroirs particulièrement bien écrites, dont certaines pourront même vous être confiées par vos propres compagnons de route.
Dragon Age : Origins est un titre à ne pas rater sur PS3. Parfait mélange de vieille école et de modernité, ce jeu de rôle qui repose sur la gestion d'un groupe de plusieurs personnages ne distille ses possibilités que de façon très progressive. Doté d'un univers riche et fouillé, il invite constamment le joueur, au gré de dialogues dynamiques, à influer sur le déroulement de l'histoire. On y trouve bien lacunes en matière d'immersion, mais elles pèsent bien peu face à ses combats épiques et exigeants qui figurent parmi les plus réussis dans le genre. Dommage que cette version PS3 souffre d'une jouabilité un peu alambiquée et d'une absence de caméra aérienne qui ne permettent pas d'exploiter tout le potentiel tactique du jeu, ce qui a d'ailleurs poussé Bioware à revoir la difficulté légèrement à la baisse.