Fermez les yeux. Vous êtes en 1989, l'URSS existe toujours, vous n'avez jamais entendu parler d'internet et vos petits doigts de gamer insèrent fébrilement une disquette dans la fente de votre IBM PC compatible à 640Ko de RAM. L'écran titre s'ouvre sur un palais des mille et une nuits tandis que le PC Speaker crache à tue-tête une lancinante musique orientale. Respirez à fond, faites le vide dans votre esprit et préparez-vous car vous allez prendre une des plus grosses claques ludiques de la fin des années 80…
Il y a très longtemps en Perse antique, le sultan et maître incontesté du royaume partit guerroyer dans une lointaine contrée. Sans plus attendre son second, le vizir Jaffar, s'empare du pouvoir et souhaite épouser la fille du sultan pour asseoir sa suprématie. Celle-ci ne l'entend pas de cette oreille, amourachée du jeune et beau guerrier étranger que vous incarnez. Le tyran vous enferme au fin fond du plus puant donjon du palais tandis que l'héritière du trône est séquestrée dans une chambre au sommet d'une haute tour. Elle n'a que 60 minutes devant elle avant de céder au vizir, faute de quoi elle sera exécutée. Vous êtes son ultime espoir…
Prince of Persia est donc un jeu de plates-formes aventure, un labyrinthe truffé de pièges vicieux, de herses coupantes et de dalles branlantes, un dédale de gardes armés, de courses folles et de sauts de l'ange miraculeusement réussis. Dès les premières secondes, le titre assène une claque technique monumentale pour l'époque grâce à une prise en main du héros bluffante de réalisme. Notre protagoniste se meut avec souplesse et fluidité. La moindre sollicitation du clavier flatte l'œil avec nombre d'étapes d'animation mais celle-ci se veut également crédible. A l'écran, la physique est fidèlement retranscrite par une inertie du corps princier, les membres inférieurs ploient sous le poids à la réception des sauts, les reprises d'appuis tordent les jambes si l'on change brutalement de direction lors d'une course. Jordan Mechner, unique créateur du jeu, a rusé pour obtenir ce résultat saisissant. Il a filmé son frère David exécutant les mouvements, il a digitalisé le film puis a dessiné les étapes d'animation du sprite du prince en détourant l'image de son frère. Ainsi, il a tout simplement réalisé le premier jeu en motion capture…
Le donjon est découpé en 13 niveaux, chacun constitué d'écrans fixes (il n'y a pas de scrolling). Les mécanismes permettant la progression sont simples : généralement il suffit de marcher sur une dalle qui déclenchera l'ouverture d'une herse, franchir un précipice, ne pas marcher sur une pierre qui autrement ouvre une trappe, tuer un garde. Le prince dispose d'une barre de vie symbolisée par des cœurs, ceux-ci s'éteignent à mesure que l'on est touché par un sabre ou que l'on tombe de trop haut. Heureusement on trouvera différentes potions qui permettront de regagner de la vie voire d'augmenter la taille de la jauge. Attention toutefois, certains breuvages vous apporteront des malus et amputeront un point de santé ! Si le début est aisé, la progression se corse rapidement avec des pièges retors qui demanderont de la vitesse et un timing parfait notamment dans l'exécution des sauts. La jouabilité s'articule autour de la palette de mouvements du prince. Certains joueurs pourront penser que l'avatar est difficile à manier du fait du réalisme avec lequel il bouge. En effet il y a une latence entre le moment où l'on appuie sur une touche et celui où le mouvement est exécuté. Logique ! Dans la réalité un corps se doit de terminer une action avant d'en entamer une autre. Il faudra donc apprendre à anticiper avant de maîtriser parfaitement son personnage à l'écran.
Techniquement le jeu est beau et vraiment magnifié par un développement à l'ancienne qui aura nécessité 4 années de labeur à son programmeur. En plus du caractère relativement difficile, les développeurs nous ont rajouté la limite imposée des 60 minutes pour terminer le jeu. Il va sans dire que cela procure un sentiment d'urgence et ajoute une pression qui viendra gentiment picoter la nuque du joueur déjà bien occupé à déjouer les moult pièges du labyrinthe. Même si l'on dispose de vies infinies, il vous faudra bien plus d'une session pour en venir à bout. Toutefois au registre des regrets on pourra déplorer les combats qui manquent de pêche. En effet, lorsque l'on croise un ennemi, le prince dégaine automatiquement son sabre et l'on ne peut effectuer que deux actions : parer et porter une attaque. On s'ennuie, et cela est d'autant moins compréhensible que le précédent jeu de Jordan Mechner, Karateka, était justement axé sur le combat et permettait une grande diversité de coups. Dommage donc. Dommage également que la musique dans le jeu ne soit pas un peu plus présente. Car si les bruitages digitalisés sont réussis et les mélodies (composées par le père même de J. Mechner !) parfaitement dans le ton des mille et une nuits, leur douce sonorité ne se fait entendre que trop rarement et pourtant il y avait matière à renforcer l'ambiance. Fort heureusement il s'agit là de détails qui ne viendront pas entacher le bilan de ce grand classique du jeu vidéo qui encore aujourd'hui reste très fun à jouer ! Vous le trouverez facilement sur le net en abandonware et pour les rétifs aux graphismes VGA, sachez que vous pourrez y gouter via un splendide remake sorti en 2007 sur le Xbox Live Arcade.
- Graphismes17/20
L'animation du prince est tout juste parfaite ! Les objets à l'écran sont colorés et suffisamment détaillés pour plonger le joueur dans l'ambiance orientale. Le jeu est agrémenté de magnifiques séquences narratives qui rehaussent encore la qualité globale du design.
- Jouabilité17/20
L'ergonomie est plaisante et les commandes simplissimes. Le jeu demande une certaine anticipation des mouvements à effectuer, a contrario de l'école japonaise de la plate-forme, mais il s'agit là d'un effet voulu qui vient en renfort du gameplay.
- Durée de vie14/20
Le jeu est dur ! Au final il est probable de le boucler en moins d'une heure mais comptez 10 fois plus pour en maîtriser toutes les subtilités. Toutefois la linéarité n'incitera pas à y rejouer une fois fini.
- Bande son15/20
Les bruitages digitalisés sont surprenants de réalisme compte tenu des plates- formes de l'époque, du grand art ! Les musiques sont agréables, mais trop peu nombreuses.
- Scénario/
En plus d'être novateur et techniquement très abouti, Prince of Persia est un jeu prenant qui ne vous lâchera qu'une fois terminé. Ce classique a d'ailleurs inspiré d'autres titres légendaires tels que Flashback ou Tomb Raider. PoP est de cette trempe de jeux qui ont marqué l'histoire du jeu vidéo et qui font dire à ceux qui y ont joué : «J'y étais».