En 2005, Cryptic dépoussiérait le MMORPG en le sortant de l'ornière médiévale-fantastique et en le débarrassant de ses oripeaux. Tout n'était pas parfait – loin de là – mais City of Heroes était aussi rafraîchissant qu'un week-end en Alaska. Quatre ans plus tard, renforcé par l'arrivée de Bill Roper (le papa de Diablo), le studio américain bouleverse à nouveau le genre avec l'adaptation d'un jeu de rôle papier dans l'univers des super-héros : Champions Online. On ne se refait pas.
Pour l'anecdote, on se rappellera que Cryptic Studios avait sorti City of Heroes (puis Villains) sous l'égide de NC Soft. Ironie de l'histoire, en ce mois de septembre 2009, Champions Online se heurte plus ou moins à la concurrence de Aion, le nouveau MMORPG de NC Soft. Le match paraît déséquilibré, tant le premier fait figure d'outsider face au blockbuster coréen. Mais la comparaison n'est pas forcément hors de propos. Car au-delà de leurs univers respectifs très différents, ce sont deux écoles diamétralement opposées qui s'affrontent : gameplay classique mais parfaitement huilé chez l'un, substrat d'expérimentations incertaines chez l'autre. On ne peut que se féliciter du choix qui nous est offert. Cryptic, lui, a fait le sien : laisser une partie des rênes au joueur, lui permettre non pas de vivre une histoire, mais d'écrire celle qui lui tient à coeur.
Dans Champions Online, vous incarnez un super-héros, protecteur de la ville de Millenium City. Ces derniers temps, les menaces se sont multipliées. Des organisations terroristes trament de sordides complots tandis que de mystérieuses créatures venues de l'espace cherchent à asservir l'humanité. Mais le plus grand danger est sans doute le Doctor Destroyer en personne, un génie aux super-pouvoirs terrifiants qui a déjà rayé la ville de Detroit de la carte et se prépare à faire subir le même sort aux habitants de Millenium City. Dirigée par Defender, la nouvelle génération de super-héros à laquelle vous appartenez aura donc fort à faire tout au long de sa progression jusqu'au niveau 40. L'histoire évolue à la faveur de zones instanciées, nommées zones de crise, qui permettent de voir le monde évoluer. Mais elle est surtout servie par une galerie de PNJ tout droit sortis du jeu de rôle papier Champions, dont Cryptic a adapté le background avec une grande fidélité. Sortie en 1981, ladite version papier avait rapidement acquis une grande popularité, grâce à son système de jeu efficace (qui donna lieu à un ensemble de règles génériques nommées Hero System) mais aussi – et surtout – à ses possibilités de personnalisation très poussées qui donnaient aux rôlistes un grand contrôle sur leur héros. Pour la première fois, ils ne créaient pas leur personnage à coups de dés, mais le façonnaient selon leur désir en répartissant des points.
Champions Online tire sa force de ses origines rôlistiques. A commencer par son éditeur de personnages, qui n'a pour limites que celles de votre imagination. Digne descendant de celui de City of Heroes, il regorge de tant et tant d'options que vous risquez d'y passer des heures à modeler les créations de vos rêves avant de les exhiber fièrement sur le net. Chaque partie du corps abonde d'éléments de customisation possibles, dont vous pouvez changer le type, la couleur, la texture... Votre super-héros aura-t-il une peau zombifiée ou des membres cybernétiques ? Sera-t-il doté de griffes, d'ailes ou de nageoires ? Portera-t-il un masque intégral ou un casque spartiate ? Les possibilités sont incommensurables. Elles permettent de ne jamais croiser deux personnages identiques, sauf en ce qui concerne les reproductions de super-héros sous licence (Iron Man pour ne citer que lui). De toute façon, rencontrer un Megaman au détour d'une quête ou affronter un Piccolo en PvP fait partie des petits plaisirs offerts par le jeu. Seule réserve : il peut paraître un tantinet absurde de créer la pire des monstruosités, que l'on sera forcé d'envoyer défendre la veuve et l'orphelin. Mais là où Champions Online fait très fort, c'est qu'il permet aussi de personnaliser vos pouvoirs. Votre rayon laser partira-t-il de la paume de vos mains, de votre torse ou de votre tête ? Quelle sera sa couleur ? Cette excellente initiative est un formidable moteur de roleplay.
Qui plus est, dans Champions Online, le développement de votre héros est à votre plus entière discrétion. Le jeu ne propose pas de "classes" à proprement parler, mais une série d'arbres d'évolution prédéfinis qui vous orientent vers telle ou telle classe de pouvoirs : élémentaires (feu, glace, électricité...) technologiques (munitions, gadgets...), psychiques, mais aussi arts martiaux, puissance, mysticisme... Avec 18 branches au total, le choix est vaste. Le mieux reste encore de définir à sa guise son propre arbre d'évolution, une flexibilité qui ravira les amateurs de builds en tout genre. Pour ce qui est de l'obtention des pouvoirs, c'est bien simple : vous les choisissez ! Durant votre progression, vous obtenez des points permettant de les acquérir ou d'en augmenter la puissance. Quel que soit votre arbre d'évolution, libre à vous de piocher dans plusieurs classes de pouvoirs ou de vous focaliser sur une seule afin d'accéder à des compétences plus intéressantes. Parfois, vous devez aussi choisir un talent ou une superstat (influant tous deux sur vos statistiques de base) ou encore un pouvoir de déplacement. Bottes à réaction, super-vitesse, téléportation, balancement à la Spiderman, déplacement sous terre, disque flottant... Les options sont nombreuses. Dommage que certaines d'entre elles souffrent de gros inconvénients (cf. la super-vitesse et ses capacités d'agro). Vous pouvez toutefois les tester librement dans la powerhouse prévue à cet effet. En outre, sachez qu'il est possible de se respécialiser à tout moment, moyennant finances.
Une fois votre personnage façonné, Champions Online vous propose un prologue qui fait office de tutorial. Des créatures extraterrestres, les Qularrs, y envahissent le cœur de Millenium City, où se trouve le QG des super-héros. Leurs immenses vaisseaux flottent au-dessus des rues et y déversent des cohortes de monstruosités. Cette invasion est déjà l'occasion pour le moteur du jeu d'afficher ses limites en matière d'optimisation : toutes options graphiques à fond, il vous faudra une solide machine pour en profiter. Si votre PC accuse un peu le poids des ans, vous devrez vous résoudre à un certain nombre de compromis sur la qualité visuelle. Ce serait dommage, vu que le jeu affiche de sympathiques graphismes en cel shading qui tranchent avec le rendu "réaliste" de City of Heroes. On aime ou on n'aime pas, mais il est difficile de nier qu'ils collent parfaitement avec l'univers. D'autant que l'interface s'appuie elle aussi sur une police de caractère typiquement "comics" pour vous mettre dans l'ambiance ; dommage que la taille insuffisante de ladite police dans les boîtes de dialogue conduise à s'abîmer les yeux. Autre réserve : incomplet, buggé et parfois approximatif, le travail de localisation conduit par Atari se révèle décevant et témoigne d'un manque évident de finition. Il apporte un degré de confusion supplémentaire à des explications qui ne sont pas toujours très claires. Et ce n'est pas le manuel de jeu, d'une indigence rare, qui pourra y suppléer.
Le prologue est aussi l'occasion d'effectuer vos premiers combats, et de constater qu'ils se révèlent plus dynamiques que de coutume. Champions Online n'est pas un de ces jeux où vous passez votre temps à attendre la fin du cooldown de vos compétences. Ici, vous disposez d'une attaque de base (au corps-à-corps ou à distance) qui vous permet de générer de l'énergie. Cette énergie sert à lancer des pouvoirs plus puissants, aux effets dévastateurs. Ce qui permet aussi aux affrontements de gagner en dynamisme, c'est qu'ils donnent la possibilité de parer les coups pour encaisser moins de dégâts ; ce type de protection se révèle notamment très utile lorsque l'adversaire se prépare à vous asséner un super-coup. Autre atout : l'interaction avec le décor, que vous pouvez utiliser pour prendre l'avantage sur vos opposants. Arrachez un banc ou un lampadaire ou soulevez un véhicule, puis propulsez-leur ces projectiles improvisés en pleine face : ils subiront une grosse quantité de dégâts. Dernier élément de dynamisme : si vous avez acquis un pouvoir de vol, vous avez l'occasion de vous élever dans les airs et de tournoyer autour de votre cible tout en l'arrosant généreusement de vos pouvoirs. Cela pose d'ailleurs problème en PvP, où l'équilibrage perfectible des pouvoirs se couple à une difficulté pour les combattants au corps-à-corps à toucher les cibles les plus mobiles. Champions Online propose trois modes PvP en arène : du chacun pour soi, du team deathmatch et un mode Forteresse consistant à éliminer les cibles adverses tout en protégeant les siennes.
Tout aussi convenues que celles de City of Heroes, les quêtes de Champions Online ont pourtant le mérite d'être moins répétitives. Si certaines réapparaissent régulièrement sous des formes déguisées (dégager des civils ensevelis sous les décombres), les missions proposées sont en général variées et en lien avec le background : escorter un policier dans sa ronde, éteindre un incendie, s'infiltrer dans un bar malfamé pour obtenir des informations... Elles vous conduiront parfois à explorer des endroits inattendus (Canada, cité sous-marine, dimension parallèle...). Vous n'échapperez pas à quelques allers-retours pénibles, mais vos objectifs sont signalés au moyen de marqueurs sur la carte de la zone. Cryptic a également pioché de bonnes idées à droite et à gauche, comme le principe des quêtes publiques issu de Warhammer Online ou encore celui des quêtes journalières vu dans World of Warcraft, qui vient renforcer le end-game. Mais Champions Online apporte aussi ses propres innovations. Tout d'abord, si le jeu propose son lot de défis à relever en groupe, on pouvait craindre que ces associations de personnages hétéroclites se révèlent inefficaces. Un système de rôle a donc été introduit, qui permet à chaque membre du groupe d'endosser provisoirement un rôle particulier (offensif, défensif, équilibré et soutien), qui modifie ses statistiques en conséquence. C'est une excellente idée qui devrait probablement faire école.
Mais l'innovation la plus enthousiasmante de Champions Online, c'est sans nul doute son système de Némésis. Dès le niveau 25, votre renommée attire l'attention d'un super-vilain que vous pouvez créer de toutes pièces, en choisissant son apparence physique et ses capacités, et qui deviendra vite votre ennemi juré. Aidé de ses subordonnés, il surgira régulièrement de n'importe où (souvent au plus mauvais moment) pour tenter de vous éliminer, et vous entraînera même dans une série de missions personnalisées. Une fois de plus propice au roleplay, le système de Némésis est une de ces trouvailles géniales qui font avancer le genre. Il faut toutefois avouer qu'il n'y a pas que de bonnes idées dans Champions Online. Le retour de l'équipement, sur lequel City of Heroes avait judicieusement fait l'impasse, sera diversement apprécié. Le jeu propose trois catégories d'objets (attaque, défense et soutien), qui peuvent être droppés, craftés ou donnés en récompense de quête, puis équipés dans des emplacements dédiés (principaux et secondaires, les premiers procurant un pouvoir spécial en plus des bonus offerts). C'est un tantinet confus, d'autant que les objets ont souvent une liste de caractéristiques à rallonge qui n'aide pas à les comparer. L'artisanat est aussi peu attirant. Trois domaines s'offrent à vous : sciences, armes et mysticisme. Chacun vous permet de fabriquer des objets – d'une utilité relative – à partir de schémas (achetés) et de matériaux variés (récupérés en vagabondant ou en désassemblant des objets de la même origine). Les défauts cités dans cet article ne doivent pas vous rebuter outre mesure. Car au-delà d'un manque évident d'équilibrage et de finition, une chose est claire : innovant, dynamique, souple et particulièrement fun à jouer, Champions Online est un excellent MMORPG. L'équipe de Cryptic a su se montrer proche des attentes des joueurs en leur confiant une partie des clés de la maison. Chacun verra midi à sa porte, mais pour nous il ne fait aucun doute que c'est en empruntant cette voie que le genre trouvera son salut.
- Graphismes15/20
Si le rendu visuel ne peut être considéré comme le point fort de Champions Online, il faut toutefois reconnaître qu'il s'en sort très bien. Le cel shading, on ne peut plus pertinent, confère au jeu un style inimitable. Les décors sont sans doute un peu ternes et génériques, mais ce n'est que pour mieux renforcer la galerie de super-héros et de super-vilains qui leur donnent vie.
- Jouabilité17/20
Le plaisir de façonner son personnage, aussi bien physiquement que statistiquement, rejoint celui que l'on prend à mener des combats dynamiques et à utiliser les nombreux pouvoirs disponibles (dont ceux de déplacement). Les quelques réserves que l'on pourrait émettre sur la prise en main se dissipent de toute façon au fil du temps. Reste le principe des zones instanciées, qui risque de diviser.
- Durée de vie16/20
La progression en niveaux est rapide et bien étudiée ; on n'a pas le temps de s'ennuyer. Arrivé au niveau 40, le système Oméga de quêtes journalières, le PvP et l'artisanat sont susceptibles de prendre le relais, sans compter sur l'arrivée de fonctionnalités non disponibles pour le moment (on pense aux bases de guildes) et du contenu régulier promis par Cryptic.
- Bande son14/20
Bien adaptés à l'univers du jeu, les thèmes musicaux se font toutefois un tantinet trop discrets. Ils se révèlent pourtant très efficaces en combat, où ils parviennent à souligner le dynamisme de l'action. Une ambiance sonore d'excellente facture prend le relais hors des affrontements mais ne parvient pas vraiment à compenser l'absence totale de voix dans le jeu.
- Scénario17/20
Champions Online est un MMORPG doté d'un excellent background, qui est exploité à merveille tout au long de la progression. Chaque PNJ rencontré est accompagné d'une description qui permet de resituer son rôle dans le contexte. Enfin, la possibilité d'écrire sa propre histoire (en créant son personnage mais aussi ses adversaires) est un plus indéniable dans un jeu de ce type.
Considéré à tort comme un outsider, Champions Online représente pourtant une avancée majeure dans le genre. Piochant de bonnes idées à droite et à gauche tout en apportant son lot d'innovations (évolution "bac à sable" du personnage, combats dynamiques, système de rôles et de Némésis), il confirme que Cryptic fait partie de ces trop rares studios à avoir compris comment faire progresser le genre et à avoir le courage de le faire. Qui plus est, jamais un MMORPG ne se sera autant rapproché des sessions de jeu de rôle papier. Une fois de plus, le tableau n'est pas aussi idyllique qu'il aurait pu l'être, mais bon sang quel pied !