L'arrivée des consoles 32-bits et de leur 3D aurait pu sonner le glas des jeux de plates-formes/aventure en 2D du style Another World ou Flashback. Mais en 1997, Oddworld Inhabitants réussit l'exploit de réaliser un chef-d'œuvre du genre, qui reste acclamé aujourd'hui encore pour son originalité et sa réalisation : L'Odyssée d'Abe.
Première œuvre d'une pentalogie ambitieuse, L'Odyssée d'Abe pose tout de suite les bases d'un univers unique et sombre grâce à une magnifique introduction. Vous êtes Abe, un laveur de sol dans la super-industrie RuptureFarms spécialisée dans l'alimentaire. Au cours d'une réunion à laquelle vous n'étiez pas convié, vous apprenez que le prochain produit de RuptureFarms est la sucette Mudokon. Problème : comme son nom l'indique, l'ingrédient principal est le Mudokon, c'est-à-dire votre race ! Les Mudokons ne sont en effet que des esclaves à la merci des Glukons qui gèrent RuptureFarms, et de leur patron Molluck. Apprenant ceci, vous n'avez plus qu'une idée en tête : vous enfuir des gigantesques entrepôts de RuptureFarms pour ne pas finir en bas de la chaîne alimentaire. Bien que paraissant sombre, l'ambiance générale du titre est remplie d'un humour noir très particulier, mais plutôt drôle et efficace.
Premier choc : il n'y a aucune coupure entre les scènes cinématiques et les phases de jeu. Les décors étant pré-calculés, tout s'enchaîne à merveille pour le plaisir des yeux, même douze ans après. C'est une véritable surprise, d'autant que ces scènes cinématiques sont vraiment magnifiques et divinement bien réalisées. Du coup, vous êtes tout de suite plongé dans l'ambiance pourtant peu commune d'Oddworld. Pour sa quête, Abe dispose d'une large palette de mouvements qui n'est pas sans rappeler les autres titres du genre, comme courir, marcher doucement, sauter (en largeur ou en hauteur) ou s'accroupir pour faire des roulades. Mais là où L'Odyssée d'Abe devient un jeu original, c'est dans son système de langage. En effet, Abe rencontrera d'autres Mudokons dans RuptureFarms, qu'il pourra sauver s'il le souhaite. Pour cela, il faudra communiquer avec eux via quelques mots comme « salut », « suis-moi » ou « attends », afin de les emmener vers des portails de téléportation.
Jusque-là, tout semble très simple. Malheureusement pour vous, Oddworld est un monde dangereux parsemé de pièges et d'embûches. Entre les mines, dont certaines sont désamorçables avec un bon timing, les barrières électriques et les différents ennemis, chaque écran de jeu devient une énigme à résoudre pour passer au prochain. Vos principaux adversaires en début de partie sont les Sligs, sortes de gardiens bipèdes armés d'une bonne grosse mitraillette. Tortionnaires avec les Mudokons, ils n'hésiteront pas à vous expédier dans l'au-delà s'ils vous croisent, d'autant que la moindre attaque vous sera fatale. Heureusement pour vous, Abe peut les envoûter afin de les contrôler à distance, ce qui peut servir à des tas de choses, comme tuer d'autres ennemis, ou donner des ordres aux Slugs, sortes de petits chiens particulièrement véloces. Votre principal problème viendra plutôt des différents pièges, qui ont tous le point commun d'être mortels à 100%. Vous avez souvent le choix entre exploser en morceaux ou être laminé par un broyeur à viandes, ce qui n'est pas une fin rêvée, même pour un Mudokon.
Rassurez-vous, les entrepôts de RuptureFarms ne sont pas le seul environnement que vous visiterez. Outre l'enclos à bestiaux de l'entreprise, vous passerez par les cavernes sombres de Paramonia, antre de sales bestioles appelées Paramites, ou le désert de Scrabania qui abrite les terribles prédateurs que sont les Scrabs. Les décors sont absolument somptueux et on passerait volontiers notre temps à les visiter si on n'était pas sans cesse menacé d'être mis en pièces. L'arrière-plan est très détaillé, d'autant que certaines phases de jeu vous permettent d'y évoluer. L'environnement sonore, que l'on doit à Ellen Meijers (qui outre la série Oddworld, a travaillé sur nombre de jeux Star Wars) est principalement constitué de musiques tribales et de sons d'ambiance (notamment en extérieur) plutôt réussis, tout en sachant se faire discrets. L'animation des personnages est bluffante, et les protagonistes sont vraiment attachants, y compris les monstres (quand ils ne sont pas occupés à vous déchiqueter). Mention spéciale à Elum, votre monture à quelques occasions, qui a bénéficié d'un travail incroyable pour un personnage secondaire.
L'Odyssée d'Abe a une durée de vie plutôt honorable. Effectivement, même si finir le jeu sans sauver les autres Mudokons est possible, cela ne déclenchera pas la meilleure fin. Il vous faudra sauver au moins 50 des 99 Mudokons pour avoir la bonne fin, ce qui n'est pas nécessairement une mince affaire, ces derniers étant souvent dans des salles secrètes aux pièges particulièrement sournois. Sauver les 99 Mudokons vous tiendra en haleine au moins quinze heures. Si on peut reprocher quelque chose à ce jeu, c'est sans doute son système de sauvegarde. Quand vous mourez (et cela vous arrive souvent), vous retournez à votre dernier checkpoint qui peut se trouver quatre ou cinq salles en arrière. Et vu la difficulté de certaines salles, il peut être irritant d'avoir à les refaire plusieurs fois. Malgré cela, l'ambiance de ce titre est tellement prenante que vous ne vous découragerez pas, et irez jusqu'au bout de l'aventure pour qu'Abe mène à bien sa quête finale.
- Graphismes19/20
La claque ! Douze ans après, on est encore surpris par la beauté des environnements. La parfaite insertion des scènes cinématiques dans les phases de jeu vous collera à votre siège pratiquement à chaque fois. Ce n'est qu'une fois sorti de RuptureFarms qu'on se rend compte que les décors sont tout aussi somptueux. La qualité des animations est prodigieuse que ce soit pour les Mudokons ou tout autre race que l'on croise dans le jeu.
- Jouabilité16/20
Comme souvent dans ce type de jeu, le maniement demande un certain temps d'adaptation. Souvent, la plus petite erreur vous transforme en bouillie. Toutefois la palette de mouvement est assez conséquente, et le système de langage est bien trouvé. L'IA des ennemis est conçue selon des caractéristiques bien définies ; même si elle est assez scriptée, elle est particulièrement efficace. Dommage que le système de checkpoint soit mal pensé.
- Durée de vie17/20
Si vous êtes un égoïste fini, le jeu ne vous prendra que 8-9 heures au maximum. Mais si vous tentez de sauver les autres Mudokons, vous pouvez aller jusqu'à doubler la durée de vie initiale, du moins si la difficulté de certaines phases ne vous rebute pas, surtout que vous devrez repasser certaines salles quand vous mourrez. Bref, si vous êtes patient, le jeu vaut largement le coût.
- Bande son15/20
Volontairement discrète, la bande-son a tout de même été travaillée avec sérieux. Que ce soit les musiques, les petits sons issus des environnements, ou les bruits que font les ennemis, tout cela est un ensemble qui crée l'ambiance singulière du titre. On ne sera pas particulièrement marqué par un thème ou un autre, sauf peut-être quand on est poursuivi par un Scrab.
- Scénario17/20
Mêlant humour sombre et pamphlet écologique contre l'hyper-industrialisation, l'histoire nous immerge dans l'univers atypique d'Oddworld. On s'y retrouve vite entre les différentes races grâce à plein de petits éléments disséminés ici et là. La profondeur du monde d'Oddworld semble aller bien plus loin que ce que laisse entrevoir le jeu, logique pour le premier opus d'une pentalogie.
Souvent le grand oublié des jeux de plates-formes/aventure 2D, Oddworld : L'Odyssée d'Abe se hisse pourtant largement au même niveau qu'Another World ou Flashback. Que ce soit sur PSOne ou sur PC, vous vous devez d'essayer ce titre, d'autant que son univers empli d'humour mérite d'être connu. Alors ruez-vous les yeux fermés sur ce petit bijou, mais gardez-les bien ouverts pour jouer !