Après Operation Flashpoint et ArmA premier du nom, les perfectionnistes du studio Bohemia remettent le couvert et nous livrent leur simulation militaire la plus aboutie à ce jour. Hélas, comme son prédécesseur, le titre nous arrive presque totalement brut de décoffrage. Profond à en pleurer de plaisir tout autant que de frustration, doté d'un potentiel hallucinant, ArmA II n'en accuse pas moins de nombreux soucis de jeunesse qui devront être impérativement corrigés par un bataillon de mises à jour. En somme, il y a dans ce soft tout ce que le joueur féru de réalisme guerrier pouvait espérer, mais le fait est qu'ArmA II n'arrive pas toujours à s'exprimer à plein. Pour le moment...
Après l'île imaginaire de Sahrani qui servait de terrain de jeu dans le premier ArmA, nous voici maintenant au Chernarus, ex-territoire soviétique fictif en proie à un conflit entre nationalistes et séparatistes. République démocratique pro-américaine fragile, le Chernarus est le théâtre d'un coup d'état et voit donc logiquement l'intervention musclée de l'US Army. Cette dernière entend mettre un terme à la guerre civile, pacifier la région et réintégrer les membres du gouvernement dans leurs fonctions. La campagne solo d'ArmA II nous pace au sein de l'escouade de Reconnaissance "Razor", composée de 5 membres ultra-spécialisés et dont vous finirez par prendre le commandement. A travers près de 225 km² calqués avec minutie sur le paysage de la République Tchèque, vous devrez effectuer indifféremment des missions d'observation, d'infiltration, de destruction et de combat direct au sein d'opérations de plus grande envergure. Coincé au beau milieu d'une guerre qui déchire le pays en deux, il vous faudra non seulement vous acquitter de vos objectifs mais aussi porter secours à une population prise entre deux feux afin d'obtenir de précieux renseignements pour la suite des événements. Tout cela en sachant que la situation est observée à la fois par les hautes sphères du commandement américain, mais aussi par les Russes, postés à la frontière nord du Chernarus...
Si toutes les missions de la campagne s'articulent évidemment autour d'objectifs bien définis, leur principale qualité vient d'un déroulement non linéaire. En effet, les objectifs assignés par l'état-major peuvent généralement être remplis dans l'ordre que vous souhaitez, et de la manière qui vous convient le mieux. Dans tous les cas, c'est à vous de voir si vous attaquerez de front, avec tous les risques que cela implique, ou si au contraire, vous resterez à couvert le plus longtemps possible afin de parvenir à vos fins sans faire trop de vagues. Dans le même ordre d'idée, rater son coup en tentant de venir à bout d'un sniper qui massacre vos camarades postés dans le parc d'une petite ville, ne signera pas pour autant l'échec de la mission. Enfin, les objectifs seront toujours susceptibles d'être modifiés en cours de route, en fonction de vos observations directes ainsi que des décisions que vous prendrez grâce à un système de conversation dynamique assez bien rodé.
En fait, toutes les missions d'ArmA II sont bourrées de petites séquences scriptées qui ne se déclenchent que si vous passez dans des endroits clés. Ainsi, après avoir tenté 4 ou 5 fois une même opération d'infiltration de manière différente, nous nous sommes retrouvés en train de porter secours à une femme malmenée par les rebelles que nous n'avions pas vue lors de nos premières tentatives. Là encore, avant de partir jouer au preux chevalier, on aura d'abord pris soin de rapporter l'incident à notre supérieur, celui-ci nous laissant clairement le choix d'intervenir ou non, mais en nous rappelant tout de même que rien ne doit compromettre l'objectif principal. Bref, la liberté que procure ArmA II est grisante, déroutante même lorsqu'il s'agira de crapahuter librement dans la cambrousse pour inspecter comme on le voudra 3 zones vaguement indiquées sur la carte générale du Chernarus. A tout cela s'ajoute un joli scénario, quelques rebondissements, de sympathiques conversations et des cinématiques qui achèvent de nous plonger dans le trip.
Les développeurs sont même allés jusqu'à inclure des saynètes qui n'ont d'autre utilité que de renforcer l'aspect vraisemblable des événements. Ainsi, après une mission qui tourne mal, un officier vous demandera si vous souhaitez malgré tout continuer à vous battre ou être rapatrié. Opter pour le rapatriement donnera lieu à une cinématique lors de laquelle vous verrez vos hommes discuter et tenter d'avaler leur échec. Pour vous la guerre est finie. Si vous souhaitez tout de même découvrir la suite des événements, il vous faudra reprendre la partie et répondre à votre officier que oui, vous êtes encore prêt à en découdre. Bref, ce petit interlude facultatif ne sert donc qu'à étoffer la narration et témoigne du soin apporté à cet aspect précis par Bohemia. On notera d'ailleurs au passage que les développeurs ont tout de même intégré 6 fins différentes, toutes dépendantes de la tournure que vous aurez donné aux événements.
De tout cela découle une atmosphère absolument incroyable ainsi qu'un potentiel de rejouabilité gigantesque. ArmA II possède indubitablement une redoutable capacité à immerger le joueur dans son univers guerrier réaliste. "Réalisme", voilà effectivement le maître mot de l'expérience ArmA II. Par manque de place, nous ne reviendrons pas sur ce qui a été abondamment décrit dans nos aperçus, à savoir la nature fondamentalement hardcore des combats. Ceux-ci tenant compte de facteurs tels que le respect des procédures en vigueur dans une armée moderne, la balistique, la résistance des surfaces, la destruction partielle des bâtiments, le cycle jour/nuit et la gestion dynamique du vent. Se battre dans ArmA II, c'est d'abord une question de planification soignée et intelligente, le tout passant par une carte tactique globale sur laquelle on pourra zoomer comme on le souhaite avant de donner des ordres aux unités placées sous notre commandement (du troufion de base à des détachements entiers). Au final, on passera bien plus de temps à préparer les combats, à se mettre en position et à placer nos troupes via une interface de commandement aussi complète qu'efficace, qu'à prendre part aux fusillades. Et lorsqu'on le fera, il faudra faire preuve de prudence et oublier tout ce que l'on aura pu apprendre dans des FPS traditionnels au profit de connaissances logiques.
Avec de l'entraînement, beaucoup d'entraînement, on apprendra par exemple à identifier les sons qu'émettent les différents véhicules et les armes, du claquement sec des fusils automatiques aux calibres plus importants. Autant dire que la bande-son d'ArmA II est aussi incroyable qu'utile. En termes de contenu, sachez que près de 80 véhicules ont été amoureusement modélisés dans le jeu, et que tous peuvent être utilisés, de l'hélico de combat à celui de transport, en passant par les Jeeps, les tanks et les bus de ville. Même combat pour les 70 modèles d'armes, du flingue de base aux missiles Stinger... Reste que Bohemia a tout de même choisi de faire quelques petites entorses au règlement, en permettant par exemple à n'importe quel joueur de traîner les blessés à couvert et de leur administrer les premiers soins, pour les remettre sur pied, presque aussi frais que des gardons. Ce choix met en fait en valeur la volonté du studio de favoriser et d'accentuer la coopération entre les joueurs humains. Dans le même ordre d'idée, le mode Facile devrait permettre à tous de survivre plus longtemps, puisque tous les êtres vivants à 200 mètres à la ronde seront alors signalés par une petite tache discrète, verte pour les alliés, blanche pour ceux qui ne représentent pas de menace (civils et animaux) et rouge pour les hostiles. On pense également au fameux mode "Warfare", de retour dans ArmA II, et qui permet de construire très facilement une base en deux minutes avant de partir récolter de l'argent en pulvérisant les troupes adverses.
Mais au fond, le véritable souci, celui que nous évoquions en introduction, c'est qu'ArmA II renoue avec presque tous les problèmes auxquels nous avions déjà été confrontés en découvrant son prédécesseur, début 2007. Si la situation ne nous a pas semblé aussi catastrophique que ce que la presse allemande a pu rapporter lors du lancement du jeu outre-Rhin, ArmA II n'en reste pas moins plombé par les bugs et les petits ratages de toute nature. On passera rapidement sur les soucis d'affichage ou ces quelques textures qui disparaissent subitement pour se concentrer sur ce qui esquinte le coeur du jeu, autrement dit son gameplay. Alors allons-y et parlons notamment des errances de l'IA. S'il est assez plaisant de constater que les adversaires ne sont pas aussi dépendants des waypoints et se planquent un poil plus logiquement que par le passé, il n'est pas rare d'observer quelques jolies séquences de grand n'importe quoi. Citons pêle-mêle un char coincé à l'entrée d'un petit tunnel trop étroit pour lui, des alliés incapables de rejoindre un simple point de ralliement alors que tous les ennemis de la zone ont pourtant été tués, et une tendance occasionnelle à rester plantés au milieu d'une rue alors que les balles ne vont pas tarder à fuser.
C'est un peu gonflant, surtout lorsque l'on sait que dans la première partie de la campagne, un pote dessoudé, et hop, c'est le game over. Dans un autre registre, nous parlions tout à l'heure de la grande richesse du solo et de ses multiples scripts. Hélas, il arrive que certains ne se déclenchent pas convenablement et plongent le joueur en pleine confusion. Assez rares pendant le test, ces moments où l'on ne saura plus quoi faire existent néanmoins. Il vous faut en avoir conscience si vous projetez d'acheter ArmA II. Pour tenter d'évacuer un peu la frustration suscitée par ces ratages, on pourra toujours se rabattre sur l'éditeur de campagnes/scénarios indépendants, complexe mais efficace et qui nous n'en doutons pas, donnera immanquablement naissance à de nouvelles cartes sur le net. Car comme ses ancêtres, le dernier bébé de Bohemia continuera très certainement de vivre grâce aux efforts de sa communauté. Reste ensuite le multijoueur, parfait pour tenter la campagne en coopération ou se lancer dans du Deathmatch, du Deathmatch en équipe, de la capture de zones ou de drapeau, et tout cela en compagnie de 63 autres joueurs.
Une fois encore, notre test ne peut fondamentalement qu'effleurer la surface d'un titre aussi profond et complexe qu'ArmA II. Un titre qui devra vivre quelques mois dans les mains de sa communauté avant de révéler toutes ses forces. En l'état, le jeu de Bohemia ne semble pas tout à fait terminé et souffre d'un bon nombre de problèmes en tout genre. Ces derniers rendent l'expérience d'autant plus frustrante que le potentiel d'ArmA II est tout simplement gigantesque. Terriblement généreux, poli à l'extrême pour ce qui est du réalisme des situations de combat, le soft n'en trébuche pas moins sur des domaines qui sembleraient presque triviaux. Hélas, pour atteindre l'excellence qu'il titille pourtant du bout des doigts, ArmA II se doit de revoir son IA et de corriger quelques bugs grossiers.
- Graphismes16/20
Une rendu occasionnellement proche du photo-réalisme, avec une végétation dense et vivante, des armes et des véhicules reproduits dans leurs moindres détails et une grande distance d'affichage. Ce dernier aspect se paie cependant par une bonne couche de clipping. Les âmes chagrines reprocheront également l'allure trop plastique de certains objets et surtout des combattants, qui bien que mieux animés que par le passé, ont parfois des airs de robots. Reste un spectacle assez impressionnant qui nous plonge instantanément sur le champ de bataille.
- Jouabilité15/20
Un critère difficile à noter, puisque actuellement le jeu souffre de nombreux petits bugs qui mettent parfois à mal la progression dans une mission. On serait donc tenté de mettre moins que le 15 qui ouvre ce paragraphe. Mais d'un autre côté, on ne peut que s'incliner devant un titre qui retranscrit aussi incroyablement bien les sensations du combat, qu'il s'agisse d'abattre un soldat en pleine course ou de ramper pendant 3 plombes dans les broussailles. On appréciera également l'interface de commandement, ultra riche, mais point trop envahissante ni trop compliquée.
- Durée de vie17/20
Une campagne de grande classe qui invite à de nombreuses relectures, 7 scénarios indépendants, un éditeur de missions, du multi en coop et en versus, le contenu est plus que conséquent. Mais le jeu devra surtout sa longévité à sa communauté, qui sera en grande partie chargée de faire vivre la bête.
- Bande son18/20
Loin de ce que l'on peut généralement entendre dans les FPS grand public, ArmA II reproduit avec une fidélité presque maladive tous les sons des armes et véhicules modernes. Le tout est complété par quelques morceaux rock de qualité ainsi que par des voix généralement convaincues. Il faut néanmoins un petit temps d'adaptation pour s'habituer aux différentes infos, toujours en anglais, dont on est constamment abreuvé. Ces dernières vous sembleront effectivement un petit peu trop envahissantes et robotiques.
- Scénario16/20
Bohemia a vraiment tout fait pour rendre sa campagne plus intéressante qu'auparavant, et cela passe par de nombreux ajouts, des cinématiques, des rebondissements mais surtout un système de conversations dynamiques. Et que les fans les plus hardcore se rassurent, cette volonté de rendre ArmA plus attirant aux yeux des néophytes n'empiète pas sur la nature fondamentalement hardcore des affrontements.
Donner une note à un titre tel qu'ArmA II n'est pas chose aisée. En l'état, le gros bébé kaki de Bohemia manque clairement de finition et mérite sans doute moins que 16, mais il procure néanmoins des sensations intenses, au sein d'un bac à sable guerrier d'une grande richesse. Complexe, terriblement exigeant, violent, le titre parvient même à produire une atmosphère bien plus marquée et réussie que celle de son prédécesseur. En attendant les indispensables mises à jour qui lui permettront de s'exprimer pleinement, ArmA II reste un titre à part qu'il sera très difficile de surpasser par la suite.