Grand gourou des salles d'arcade grâce à la série Street Fighter, expert de l'action/plates-formes sur console avec sa mascotte Mega Man, Capcom décide au début des années 90 d'explorer une autre voie. Une voie ouverte par Infogrames et le Français Frédérick Raynal en 1992 avec Alone in the Dark, celle du jeu d'aventure/action mâtiné d'horreur. En 1996, né de cette ambition, Resident Evil envahit les étagères des magasins. Voyons comment, en un seul titre, la firme provoque un culte instantané.
Lorsque Sony annonce son arrivée dans l'industrie du jeu vidéo, à la suite d'un contentieux décisif avec Nintendo, nombreux sont les sceptiques qui prédisent à la société japonaise un fiasco en bonne et due forme. La PlayStation, nous le savons, a pourtant su s'imposer en quelques années sur le marché des consoles de jeu, écrasant au passage tous ses concurrents malheureux. L'une des causes de ce succès durable se nomme Biohazard, à n'en pas douter. Un jeu qui fut baptisé en Occident Resident Evil, et disponible dans un premier temps uniquement sur la machine grise de Sony. Optant pour des arrière-plans en 3D précalculée dans lesquels sont incrustés les éléments mobiles tels les personnages et leurs adversaires (qui eux sont constitués de véritables polygones), le titre s'avère réellement bluffant sur le plan visuel. Ce qui frappe avant tout, c'est le rendu photo-réaliste de l'environnement. Chaque texture, chaque tapisserie, semble s'être littéralement échappée du monde pour se réfugier dans le jeu de Capcom. Si l'on regarde en arrière, jamais les décors d'un jeu vidéo n'avaient affiché un tel degré de réalisme et de profondeur, à l'exception peut-être d'une poignée de titres PC, Myst en tête. Les capacités de la console ont en effet permis aux graphistes d'atteindre un niveau de détail affolant pour l'époque, surprenant au passage toute la communauté des joueurs et des développeurs qui pour la majorité ne juraient à ce moment-là que par la 3D intégrale, très en vogue dès les débuts de la PlayStation. La première claque que nous inflige le soft, la plus violente, est donc d'ordre graphique.
C'est probablement cette même volonté de coller le plus possible à la réalité qui pousse Capcom à envisager le tournage d'un petit clip vidéo en guise d'introduction, un procédé fort rare dans le monde du jeu vidéo, puisque cher et très délicat à mettre en place. Le résultat, tout le monde le connaît. Kitsch à l'extrême, dramatiquement mal interprétée et tournée avec peu de moyens, cette séquence restera sans aucun doute comme l'une des plus cultes de la saga, et par la même occasion de l'histoire du jeu vidéo. Une scène digne des meilleurs films de série B qui aura au moins eu le mérite, outre le fait d'avoir provoqué de franches rigolades entre amis, d'introduire le scénario du jeu d'une manière assez originale. Le scénario, puisqu'on y est, la plupart d'entre vous doivent en avoir au moins une idée, fut-elle grossière ou lointaine. Revenons tout de même, pour les mémoires les plus embrouillées, sur les prémices de "l'incident du manoir". Juillet 1998, un vent de panique souffle sur la petite ville américaine de Racoon City suite à la publication de rapports signalant d'étranges meurtres dans ses environs. Élément troublant, tout indique que les victimes ont été partiellement dévorées par leurs agresseurs... Sans traîner, les autorités de Racoon ordonnent l'ouverture d'une enquête et l'équipe Bravo du S.T.A.R.S., groupe d'intervention et d'investigation dirigé par un certain Albert Wesker, est envoyée en reconnaissance sur les lieux. Malheureusement, celle-ci ne tarde pas à être portée disparue, après que la communication avec la base se soit brutalement interrompue.
La seconde unité du S.T.A.R.S., Alpha, se voit donc à son tour sollicitée pour une mission de recherche et de sauvetage. Parmi les membres de l'escouade, on fait surtout la connaissance de Chris Redfield et Jill Valentine, les deux principaux personnages jouables, ainsi qu'Albert Wesker, mystérieux leader taciturne et réfléchi. Objectif : retrouver leurs collègues disparus et faire la lumière sur les événements macabres qui, depuis peu, agitent les médias et la population. Arrivés sur le site, ils constatent rapidement que l'hélicoptère de l'équipe Bravo s'est écrasé. Le corps sans vie du pilote Kevin Dooley est retrouvé à l'intérieur de l'appareil, mais aucune trace du reste du groupe. Quelques instants plus tard, après avoir fait une découverte peu ragoûtante, l'un des membres de l'équipe se fait sauvagement attaquer par une meute de chiens décharnés et ensanglantés. Sans perdre une seconde, les survivants se dirigent instinctivement vers une immense bâtisse, endroit où ils pensaient trouver une certaine tranquillité. Évidemment, le manoir est en vérité loin d'être vide, et ses occupants, plus morts que vivants, semblent ravis d'accueillir un dessert de chair et de sang, une bonne partie de l'équipe Bravo ayant déjà fait office de plat de résistance. A vous d'investir la baraque et d'en découvrir tous les mystères aux commandes de l'un des deux personnages au choix. A noter d'ailleurs que le cheminement de Chris est légèrement plus difficile que celui de sa collègue, notamment en raison de son inventaire plus limité.
Si la trame peut sembler ordinaire, regroupant quelques-uns des poncifs les plus éculés du cinéma d'horreur depuis les années 60, c'est tout simplement parce qu'elle l'est. Ne s'encombrant pas d'une dimension psychologique (ce qu'amènera en revanche Silent Hill quelques années plus tard) ni de quelque prétention subversive ou morale que ce soit (contrairement à certaines oeuvres classiques du grand George Romero, réalisateur auquel doit beaucoup la saga de Capcom), Resident Evil se contente de recycler très efficacement une structure narrative bien connue des cinéphiles et que la série conservera d'ailleurs bien au-delà du premier épisode. Bien-sûr, un certain nombre de révélations et autres retournements de situation viendront consolider et pimenter l'intrigue, mais ce qui compte réellement ici, c'est la volonté des développeurs de s'approcher d'une manière assez inédite du cinéma, notamment en termes de mise en scène, d'ambiance et de narration. Avant Final Fantasy VII ou Metal Gear Solid (qui, dans des genres bien différents, auront à ce titre une importance tout aussi cruciale), c'est bel et bien Resident Evil premier du nom qui opère ce rapprochement entre le septième art et le jeu vidéo, qui constitue sans doute l'une des mutations les plus considérables que l'univers vidéoludique ait connu depuis plus d'une décennie. La réalisation très cinématographique du jeu se vérifie à tous les étages. On soulignera par exemple le travail effectué sur les angles de caméra, souvent spectaculaires et originaux, les séquences in-game jouant sur l'effet de surprise pour provoquer des frayeurs chez le joueur, devenues mythiques pour la plupart, ou encore les nombreuses cut-scenes disséminées tout au long de l'aventure, faisant intervenir les différents protagonistes et progresser l'histoire. Si le terme reste à employer parcimonieusement, il n'est pas exagéré d'affirmer que Resident Evil constitue à ce niveau une véritable révolution dans la petite histoire du jeu vidéo.
Mais Resident Evil, il est important de le signaler, c'est aussi l'une des premières productions à destination d'une console de salon à mettre en avant des scènes à ce point crues et sanglantes, un style aussi froid et ouvertement mature. Si un certain nombre de softs avaient déjà exploré cette voie auparavant, souvent sur un ton provocateur et second degré, le hit de Capcom a indéniablement sublimé (et en un sens démocratisé) le registre du gore et de la violence, sur un mode tout à fait sérieux de surcroît. Effusions de sang à chaque bataille, morts des personnages particulièrement visuelles et sanguinolentes, membres qui volent en morceaux au premier coup de fusil bien placé... Alone in the Dark, à titre de comparaison, n'avait en son temps même pas envisagé de franchir un tel cap, ce qui n'enlève évidemment rien à son importance. A l'instar de ce dernier, votre progression débutera dans une gigantesque résidence, mais Resident Evil vous fera également visiter, entre autres, un chalet-dortoir, une ancienne mine ou encore un laboratoire souterrain. Autant dire que la carte, très claire, n'est pas de trop pour se repérer.
Du côté du gameplay, ce qu'il faut d'abord bien comprendre, c'est que l'on n'a ici nullement affaire à un bête shoot de plus à la troisième personne. Resident Evil, c'est avant tout un parfait dosage entre action et aventure, entre combats et exploration. Plus ou moins livré à lui-même à l'intérieur d'un manoir lugubre dont il ne sait rien, le joueur devra trouver le moyen de se frayer un passage, que ce soit à coups de 9mm ou d'esquives bien senties, entre ses ennemis pourrissants afin de récolter indices et objets-clés. Si le jeu, comme ses descendants, a souvent été raillé du fait de la relative simplicité des énigmes qu'il contient, force est de constater qu'elles sont néanmoins présentes, et en nombre conséquent. Ce que l'on retiendra ici, c'est surtout l'originalité - pour l'époque - avec laquelle elles sont amenées (par exemple sur fond de taxidermie, mécanismes d'horlogerie, interprétation musicale, composition chimique...). Le titre, sans être un pur jeu d'aventure à la progression corsée, regorge en tout cas de trouvailles formelles et il serait dommage de le lui enlever. Enfin, on appréciera le rythme très bien étudié, alternant entre extermination de monstres, recherche active, lecture de rapports ou autres mémos et face-à-face avec les boss. Un rythme auquel certains ont pu cependant reprocher une tendance à l'aller-retour un peu trop prononcée. Un mot à propos du bestiaire, déjà plutôt varié dans ce premier opus (zombies, cerbères, corbeaux, anaconda géant, araignées mutantes...) et parvenant même à se renouveler complètement dans la seconde moitié du jeu.
La maniabilité, devenue comme une marque de fabrique de la série, a quant à elle fait l'objet d'assez nombreuses critiques de la part de joueurs peu habitués à ce type de déplacements, ceux-ci s'effectuant non pas en fonction de la caméra mais du protagoniste. En clair, la touche directionnelle du haut sert à avancer, celle du bas à reculer, celles de gauche et de droite à pivoter sur soi-même afin de bifurquer, point. Une loi valable quel que soit le placement de la caméra par rapport au joueur. Assez rigide, ce système n'était en outre pas encore aidé par le demi-tour rapide, apparu seulement dans Resident Evil 3, et quand on sait que l'on évolue principalement dans des couloirs et des pièces exiguës, on réalise à quel point cela peut manquer. Une lourdeur accentuée par le fait de devoir systématiquement braquer l'arme avant de pouvoir tirer, cette dernière action ne pouvant donc être exécutée de manière immédiate, sans recourir au préalable à la visée manuelle. Dernier paramètre relatif au système de combat à garder en mémoire (toujours d'actualité dans les derniers épisodes), l'impossibilité de se déplacer en visant. Des combats figés, donc, qui en plus d'affecter le réalisme et le dynamisme de l'action, rendent périlleuse la moindre rencontre hostile pour peu que l'on n'ait pas le réflexe de bouger suffisamment tôt. Lent et pas vraiment instinctif, le système de combat a au moins le mérite de s'inscrire dans une certaine logique de réalisme, qui colle parfaitement avec l'atmosphère pesante et tendue du jeu. Ici, pas question d'acrobaties aériennes ou de destruction de masse, mais d'affrontements posés et tendus, s'appuyant sur une balistique crédible et généralement synonymes de face-à-face simple.
- Graphismes18/20
Atteignant un niveau de détail et de réalisme proprement hallucinant pour l'époque, en particulier pour un jeu console, les décors fixes sont tous plus beaux et immersifs les uns que les autres, jouissant en outre d'une certaine variété puisque l'enquête ne s'arrête pas au manoir principal. L'ensemble n'a finalement pas trop mal vieilli en comparaison des autres titres PSOne de cette époque. C'est tout juste si l'on regrettera que les éléments en "véritable" 3D, intégrés un peu artificiellement dans des environnements précalculés, se détachent assez grossièrement de l'image et nuisent par là même quelque peu à la cohérence graphique globale. Enfin, on dénoncera le goût douteux de la personne chargée de choisir les motifs et les teintes des tapisseries du manoir... Un superbe jeu quoi qu'il en soit.
- Jouabilité17/20
Difficile de le nier, la maniabilité de Resident Evil manque cruellement de souplesse et nécessite un certain temps d'adaptation avant d'être parfaitement maîtrisée. Une fois dépassée cette première difficulté, on plonge avec délice dans une aventure mêlant parfaitement action gore et exploration minutieuse, et si on n'échappe pas à quelques allers-retours fastidieux, le rythme est suffisamment bon et les événements secondaires assez nombreux pour prévenir toute lassitude prolongée. Les pérégrinations du joueur lui permettront de mettre la main sur d'intéressants joujoux aptes à lui faciliter la vie, tels le magnum ou le lance-grenades, mais le début du jeu reste assez délicat et donne tout son sens au mot "survie".
- Durée de vie14/20
Lors d'une première excursion, comptez entre 7 et 10 heures pour atteindre le bout du tunnel, durée qui par ailleurs deviendra une moyenne récurrente en matière de survival-horror. Une longévité cependant doublée par la présence de deux scénarios indépendants, quoiqu'un peu trop semblables, ainsi que divers bonus à débloquer et trois modes de difficulté. Malgré une certaine faiblesse en ligne droite, la durée de vie s'avère donc en fin de compte plutôt solide, avec en prime un indice de rejouabilité excellent. Et pour ne rien gâcher, c'est un total de 8 fins différentes que le jeu nous propose, en fonction du nombre d'alliés secourus. Cela dit, ne vous attendez pas à huit scènes finales totalement originales.
- Bande son14/20
Peut-être le talon d'Achille du jeu, du moins sur le plan de la réalisation. Assez peu nombreux et de qualité moyenne, les thèmes musicaux parviennent néanmoins à soutenir efficacement l'ambiance et à créer une certaine tension lorsque nécessaire. La plupart des compositions se font discrètes, prêtes à surgir dans les moments les plus critiques afin d'ajouter au stress du joueur. Les sons, eux, se révèlent minimalistes même si l'essentiel est assuré. Plus globalement, le jeu sait gérer son environnement sonore, sans que celui-ci soit intrinsèquement génial, en implémentant par exemple habilement de larges plages de silence. On signalera au passage des doublages médiocres. Dommage.
- Scénario15/20
Dans l'absolu, l'histoire de ce premier volet n'a rien d'extraordinaire, puisant son inspiration aux sources de la littérature fantastique et surtout du grand écran, dont le jeu semble d'ailleurs se réclamer de bout en bout. La plupart des dialogues sont usés jusqu'à la corde, tout comme les ficelles narratives et les rares pics dramatiques. Mais Resident Evil réussit malgré tout là où nombre de titres ont échoué, en ne se contentant pas de nous balancer sans aucune conviction un scénario famélique aux allures de prétexte. Les scènes cinématiques sont légion et bénéficient d'une mise en scène simple mais soignée, tandis que l'intrigue se voit constamment enrichie au moyen d'une documentation particulièrement fournie et captivante. La naissance d'une véritable mythologie Biohazard...
Resident Evil est une étape majeure dans le processus de rapprochement irréversible entre deux géants culturels, deux médias qui n'ont jamais vraiment cessé de se tourner autour avec intérêt, le jeu vidéo et le cinéma. Mais il constitue aussi et avant tout un excellent titre d'action et d'exploration, un trip horrifique comme il n'en existait pas à l'époque et comme on n'en fait plus vraiment aujourd'hui. Il est enfin celui qui éleva le survival-horror au rang de genre à part entière, rompant avec l'action brute et discontinue, distillant une atmosphère délicieusement glacée, et promettant une tripotée d'affrontements sanglants et de sursauts mémorables. Une réussite esthétique, ludique et cinématographique qui donnera lieu à de nombreuses suites et au moins autant de clones, dont un petit nombre seulement est parvenu à l'égaler. Si un certain Rebirth relancera la donne d'une manière absolument époustouflante, rendons ici hommage à la légende originelle qui le mérite amplement.