Depuis bien des années, le paysage du jeu vidéo foisonne d'adaptations vidéoludiques issues d'oeuvres cinématographiques. Chaque film ou série télévisée est un prétexte pour développer un jeu s'en inspirant. Parmi cette jungle, la plupart des titres se révèlent être particulièrement décevants car bâclés, développés à la va-vite et se reposant uniquement sur le prestige de leur licence pour tenter de se vendre. D'autres se contentent d'être juste moyens, suffisamment toutefois pour satisfaire pendant quelques heures de jeu le fan invétéré. Mais très rarement, certains de ces jeux parviennent à atteindre un niveau de qualité exceptionnel, et c'est à cette élite que Goldeneye appartient.
C'est en décembre 1995 que le film Goldeneye, 17ème opus de la saga des James Bond, sort dans les salles obscures françaises, mettant en scène pour la première fois l'acteur Pierce Brosnan dans le costume du plus célèbre agent secret britannique. Habituellement, les adaptations vidéoludiques sortent en même temps que le film dont elles s'inspirent. Pourtant, à ce moment-là, le développement est encore loin d'être achevé et ce n'est que deux ans plus tard que le jeu débarque dans les boutiques. Sans surprise, Goldeneye, titre exclusif à la Nintendo 64, reprend les grandes lignes de l'intrigue du film. Mais Rareware est allé loin dans le mimétisme. De très nombreux décors du film ont été très fidèlement reproduits, permettant au joueur de revivre les scènes les plus marquantes du long métrage. Ainsi, l'aventure débute en haut du barrage en haute montagne, puis s'ensuivent l'infiltration dans le bunker soviétique, la rencontre de votre collègue Alec Trevelyan, la fuite en avion...
Reproduire les scènes et décors du film, l'idée est certes séduisante dans la forme, mais le fond parvient-il à suivre ? Eh bien oui. Car côté gameplay, Goldeneye est une croustillante réussite qui s'autorise à sortir des sentiers battus posés par la plupart des FPS de l'époque, très portés sur le bourrinage intensif et l'absence de réel objectif autre que de détruire tout ce qui bouge, tels que Doom et autres Quake. Dans Goldeneye, vous avez la possibilité de rester discret dans la mesure du possible. Ainsi, le jeu propose une dimension bien réelle d'infiltration, ce qui à l'époque fut une véritable nouveauté dans le domaine du jeu de tir en vue subjective. Savoir tirer profit du fait que les ennemis ne se doutent pas de votre présence est un réel atout quant à la réussite de vos objectifs. On se faufile donc dans le dos d'un garde pour lui asséner un bon coup de manchette sur la nuque, ou bien on surgit face à un autre pour le neutraliser d'une balle Walter PPK silencieux bien placée. C'est grâce à cette possibilité d'approche inédite dans un FPS que Goldeneye a donné naissance à ce que l'on pourrait appeler les "Doom-like intelligents". Toutefois, il serait exagéré de dire que Goldeneye est un jeu d'infiltration à proprement parler. La furtivité est possible, mais très rarement obligatoire. C'est ce qui donnait un aspect particulièrement attirant à son gameplay, qui atténuait de manière bienvenue la linéarité de la plupart des Doom-Like. Libre à vous de vous faire discret ou de foncer dans le tas de manière plus triviale si le coeur vous en dit ou si la situation s'en fait sentir. Le jeu a donc également à offrir des fusillades à grands coups de fusils mitrailleurs, de grenades et de lance-roquettes. On citera pour illustrer ce propos la scène où le joueur doit, tout comme dans le film, prendre les commandes d'un tank et parcourir les rues de Saint-Pétersbourg.
Comme évoqué brièvement plus haut, la progression dans Goldeneye ne se résume pas uniquement à anéantir plus ou moins discrètement les ennemis qui se dressent sur votre chemin. En effet, chaque mission vous demandera d'accomplir divers objectifs bien précis. Poser un mouchard, pirater des ordinateurs, infiltrer un lieu donné, trouver un contact... Les objectifs proposés sont particulièrement nombreux et variés et respectent très bien l'esprit du film d'espionnage. Qui plus est, leur nombre varie en fonction du niveau de difficulté dans lequel vous jouez. Chaque mission peut en effet être effectuée dans trois niveaux de difficulté différents (Agent, Agent Special, Agent 00). Un niveau élevé aura non seulement pour effet de vous confronter à des adversaires plus coriaces mais vous obligera surtout à visiter des lieux qui semblaient auparavant inutiles, facultatifs, ou tout simplement inaccessibles. L'intérêt de la rejouabilité s'en trouve particulièrement enrichi d'autant que le nombre de missions est tout à fait convenable (18 missions de base auxquelles s'ajoutent 2 missions cachées). On notera en plus de cela que certaines missions peuvent se boucler très rapidement pour débloquer divers cheat codes. Et même si vous n'êtes pas partisan des fonctions de triche, sachez que parvenir à les acquérir toutes constitue un challenge hautement relevé. Toujours à propos de la difficulté, l'intelligence artificielle des ennemis était pour l'époque assez satisfaisante. Occasionnellement, ceux-ci s'abritaient derrière des obstacles pour se protéger, exécutaient des roulades pour esquiver vos tirs et ensuite riposter, s'enfuyaient pour activer une alarme ou vous chargeaient tout en mitraillant.
Toutes ces qualités décrites plus haut sont par ailleurs englobées par une esthétique tirant parfaitement profit des capacités de la 64 bits de Nintendo. L'Expansion Pack n'était pas nécessaire pour profiter du jeu mais cela ne l'empêchait guère d'offrir un moteur 3D solide gérant des textures et modèles de personnages soignés. Les plus pointilleux remarqueront quelques chutes de framerate lorsque l'écran tend à être saturé de tirs et d'explosions mais il serait injuste de s'attarder sur ces menus problèmes trop occasionnels pour être véritablement gênants. Le mode solo se veut donc particulièrement complet, mais on ne commettra pas le blasphème de parler de Goldeneye en oubliant d'évoquer son mode multijoueur. C'est en effet véritablement celui-ci qui est parvenu à donner toute sa renommée au titre de Rareware. Jouable de deux à quatre joueurs simultanément, il permettait de s'entretuer avec ses potes sur de nombreuses maps aux environnements tirés du mode solo. L'aspect infiltration passait quelque peu à la trappe dans ce mode mais il n'en restait pas moins terriblement jouissif et aura fait passer, à n'en pas douter, quelques nuits blanches à bon nombre de joueurs.
La jouabilité et la prise en main d'un FPS sur console sont toujours un point sensible de par le fait que le confort du combo clavier/souris d'un PC peut difficilement être égalé par une simple manette. Malgré cela, dans ce domaine encore, Goldeneye parvient à agréablement surprendre. Exploitant parfaitement les différents éléments du pad N64, Rareware nous offre un jeu parfaitement jouable. L'utilisation du stick analogique et des boutons est irréprochable, que ce soit pour les déplacements de votre personnage ou pour viser avec votre arme. On notera à ce propos que Goldeneye fut l'un des premiers jeux à populariser l'utilisation du fusil de sniper, avec lequel le joueur pouvait augmenter ou diminuer la portée du zoom, contrairement aux traditionnels autres titres où le fusil ne disposait que d'un ou deux niveaux de grossissement. Plusieurs configurations différentes de boutons étaient d'ailleurs proposées pour convenir à tout le monde. Le jeu posait ainsi un modèle de jouabilité et de confort qui fut réutilisé dans plusieurs autres FPS. Goldeneye s'imposa donc facilement comme l'un des titres les plus marquants de la Nintendo 64. Non content d'avoir marqué de son empreinte indélébile la carrière de la 64 bits de Big N, il est également parvenu à véritablement introduire une petite révolution dans l'univers du FPS en le faisant sortir de sa lignée «pur bourrinage». Cerise sur le gâteau, il montre de façon magistrale qu'une adaptation d'oeuvre cinématographique n'est pas systématiquement synonyme de ratage pour peu que l'on s'en donne les moyens. Rareware a montré avec ce titre exceptionnel son talent en matière de FPS et récidivera quelques années plus tard avec le tout aussi exceptionnel Perfect Dark qui reprendra beaucoup des mécanismes de jeu instaurés par son aîné.
- Graphismes17/20
Le moteur 3D solide affiche des environnements aux textures soignées. Les modélisations des acteurs sont reconnaissables et la qualité des animations était particulièrement bien rendue pour l'époque. Le nombre d'images par secondes peut avoir tendance à pédaler dans la semoule à certains moments, mais rien de bien grave.
- Jouabilité18/20
Proposant une véritable nouvelle manière de progresser dans un FPS, l'aspect infiltration est une grande réussite portée par une jouabilité parfaitement calibrée au pad de la Nintendo 64. On se déplace et on vise en étant parfaitement à l'aise, aussi bien dans les phases de furtivité que dans les scènes d'action plus intenses.
- Durée de vie18/20
Le mode solo déjà très complet de Goldeneye est soutenu par son mythique mode multijoueur. De quoi rester scotché devant sa console plusieurs dizaines d'heures durant.
- Bande son16/20
Le point faible du jeu ? Si les bruitages sont de bonne facture et les musique reprises du long métrage, on pourra tout de même trouver dommage qu'aucun personnage ne soit doté de voix. Les dialogues se font uniquement par textes apparaissant à l'écran. C'est un peu décevant d'autant plus que le jeu n'a jamais été traduit en français.
- Scénario17/20
Les grandes lignes du scénario du film sont reprises, ce qui reste une valeur sûre. Les plus observateurs noteront toutefois quelques petites différences. Là encore la non-traduction pourrait vous faire passer à côté de certaines choses si vous n'êtes pas très à l'aise avec la langue de Shakespeare.
Le film Goldeneye avait été accueilli comme une modernisation de la licence James Bond au cinéma. De la même manière, son adaptation vidéoludique menée de main de maître par Rareware peut se vanter d'avoir apporté un vent de fraîcheur dans le monde du FPS. Aucun autre jeu tiré de la licence James Bond n'est à ce jour parvenu à égaler sa magnificence, et ils ont pourtant été nombreux à essayer. Goldeneye restera dans les mémoires comme l'un des plus grands jeux de la Nintendo 64 et également comme l'une des adaptations de film les plus réussies de toute l'histoire du jeu vidéo.