Soucieux de surfer sur le succès de Grey's Anatomy, Ubi Soft nous propose une adaptation DS quelque peu opportuniste de cette célèbre série TV hospitalière. Pourtant, ce gigantesque roman-photo interactif a le mérite de s'assumer comme tel et de miser sur d'indéniables qualités narratives.
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, il n'est pas si facile de concevoir une adaptation de série télévisée comme Grey's Anatomy : pour peu que les moyens financiers et le temps de développement ne soient pas à la hauteur des ambitions affichées, les concepteurs s'exposent à décevoir à la fois le joueur et le fan du programme avec une de ces daubes dont ils ont le secret. C'est pourquoi Longtail Studios, filiale d'Ubi Soft fondée et dirigée par Gérard Guillemot himself, a décidé de développer un titre sans aucune prétention ludique, dans lequel les mini-jeux ne sont qu'un prétexte pour faire avancer, à la manière d'un Livre Dont Vous Êtes le Héros, une histoire fidèle en tout point à la série dont elle s'inspire. Autant dire que si vous n'êtes pas un fan de Grey's Anatomy, vous feriez bien de passer tout de suite votre chemin. Dans le cas contraire, vous aurez sans doute plaisir à retrouver cette équipe de chirurgiens qui se racontent leurs expériences sexuelles en effectuant des ponctions crâniennes. Tout y est : les sex-symbols en blouse blanche, les commentaires en voix off édifiants du Dr Grey, la musique omniprésente qui dramatise le moindre saignement de nez. Respect.
La progression est découpée en cinq épisodes distincts mais reliés entre eux par une trame globale ; écrits en collaboration avec les auteurs de la série, ils reprennent les événements et le casting de la saison 4. Le tour de force des développeurs, c'est d'avoir construit chaque épisode à l'image de ceux de la série TV. Chacun contient un certain nombre de scènes dans lesquelles vous incarnez tour à tour les différents protagonistes, soumis à des problèmes de coeur et/ou médicaux : Meredith Grey tente de stabiliser ses relations chaotiques avec Derek, qui lui reproche d'avoir rapporté à Cristina une de leurs discussions privées. O'Malley, aux prises avec un patient atteint d'un mal mystérieux, essaie de se rapprocher de Lexie qui n'a d'yeux que pour Alex. Mais ce dernier est encore épris de Ava, dont il doit se charger de la reconstruction faciale. Et tandis que le Dr. Sloan essaie de séduire la nouvelle chirurgienne cardio-thoracique, Izzie doit jouer les nounous pour Bailey, contrainte de garder son fils pour la journée. Au-delà de ces situations particulières, une épidémie de diphtérie va frapper l'hôpital Seattle Grace, obligeant l'équipe à se mettre à pied d'oeuvre pour sauver la vie de tous les patients. Voilà donc les prémices de l'histoire que vous allez vivre à travers une alternance de points de vue qui ne nuit jamais à l'immersion : croiser les personnages incarnés dans les scènes précédentes est même une façon amusante d'installer une continuité scénaristique.
Tout au long de votre progression, vous devrez vous acquitter d'une pléiade de mini-jeux. Il y a d'abord les "défis", qui consistent à aider le personnage que vous incarnez à accomplir un objectif. Le Dr Yang doit trouver le courage de questionner son patron ? Il vous suffit de récupérer, à l'aide du stylet, les billes de "courage" qui parcourent l'écran tactile. Le travail de Meredith est parasité par son ressentiment à l'égard de Derek ? Dissipez donc les petits nuages à son effigie pour vous remotiver. C'est à la fois stupide et effarant, mais ça reste sacrément fendard pour peu qu'on ne les prenne pas trop au premier degré. A côté de ça, vous avez aussi des épreuves modales, qui vous demandent d'effectuer des choix à la manière d'un livre-jeu. Meredith doit-elle privilégier ses relations avec Derek ou avec son amie Cristina ? Déchirez la photo du personnage que vous voulez écarter. Faut-il réagir avec humour ou colère aux avances du Dr. Sloan ? Cliquez en rythme sur l'humeur que vous souhaitez. Vos décisions influent sur les dialogues, mais n'ont par contre aucune répercussion sur la suite de l'aventure, comme nous avons pu le vérifier en relançant une partie et en effectuant des choix différents. Troisième et dernier type de mini-jeux : les épreuves de chirurgie. Plus classiques, car très inspirées de celles d'un Trauma Center, elles sont assez réalistes (certaines interventions sont peu ragoûtantes) mais très sommaires et bien trop faciles.
Ces épreuves de chirurgie s'intègrent toutefois à l'histoire avec une remarquable cohérence. Il vous arrivera ainsi de rencontrer une première fois un patient dans le cadre d'un diagnostic (scanner, prélèvements...), puis de procéder quelques scènes plus tard à son opération, pour enfin le retrouver ultérieurement à l'occasion d'une phase de check-up (prise du pouls, contrôle des fonctions vitales). Une continuité bien sympathique qui ne parvient toutefois pas à éclipser le manque de ludisme et de challenge de l'ensemble. Qu'en est-il de la réalisation ? Sachez que, hors des mini-jeux, Grey's Anatomy n'affiche aucune animation : tout est constitué d'images fixes qui se succèdent comme dans un roman-photo. Au premier abord, la digitalisation des acteurs de la série déçoit. Disons qu'elle est très inégale : certains personnages sont plutôt réussis, d'autres peinent à ressembler à leur modèle. Mais face au nombre astronomiques d'écrans de jeu, qui affichent les protagonistes dans des situations variées (sans trop de copier/coller) et leur prêtent des mimiques très expressives (on sait souvent ce qu'ils pensent avant même qu'ils ne s'expriment), on a tendance à s'en accommoder. D'autant que le jeu est plutôt convaincant sur le plan sonore (avec en particulier des bruitages crédibles lors des opérations) et qu'il procure une dizaine d'heures de jeu qu'on ne voit pas forcément passer, même s'il vous faudra faire une croix sur son potentiel de rejouabilité.
- Graphismes11/20
C'est assez inégal : les digitalisations des personnages qui s'affichent en médaillon sont bien plus réussies que les modèles cel shadés exhibés sur l'écran supérieur. Reste que les environnements sont correctement réalisés et que les mini-jeux de chirurgie bénéficient même de graphismes assez réalistes.
- Jouabilité7/20
C'est le gros point faible du titre, dont beaucoup de joueurs auront du mal à s'accommoder : la plupart des minis-jeux sont tirés par les cheveux, et ceux qui ne le sont pas manquent de ludisme et de challenge. Mais à vrai dire, les développeurs auraient très bien pu limiter l'interactivité du titre et nous demander de cliquer sur une grosse flèche comme dans les Phoenix Wright. Alors bon...
- Durée de vie12/20
Grey's Anatomy devrait vous procurer entre dix et onze heures de jeu, ce qui est plus que correct pour une adaptation de série télévisée sur DS.
- Bande son12/20
Bien qu'ils diffèrent de ceux de la série TV, les thèmes musicaux, qui se font tantôt légers et tantôt dramatiques, parviennent à dynamiser aussi efficacement l'histoire. Les bruitages ont été particulièrement soignés, notamment dans les phases de chirurgie où leur réalisme met mal à l'aise. On déplore par contre l'absence totale de voix.
- Scénario14/20
C'est la plus grande réussite de Grey's Anatomy sur DS. Il ne s'agit pas de juger des qualités scénaristiques de la série - que chacun appréciera à sa façon - mais de la fidélité de l'adaptation, qui en reprend les principaux ingrédients, et de l'excellente maîtrise de la narration et du découpage.
Gigantesque roman-photo émaillé de mini-jeux, Grey's Anatomy sur DS a le mérite de s'assumer comme tel. Sa dimension narrative parfaitement maîtrisée parvient à compenser ses piètres qualités ludiques. Au final, cette adaptation d'une fidélité exemplaire donne au joueur l'impression de vivre de l'intérieur un épisode de la série télévisée, et c'est bien tout ce qu'on pouvait lui demander.