La série des Carmen Sandiego, qui fêtera prochainement ses 25 ans d'âge, doit sa longévité à un savant mélange de qualités ludiques et éducatives présentes depuis le premier épisode. Il est triste de voir à quel point cette ligne éditoriale a été bafouée par Mindscape et Strass Productions dans ce nouvel épisode intitulé Mystère au Bout du Monde.
Née en 1985 dans les bras de Broderbund (feu éditeur qui su promouvoir des titres aussi célèbres que Karateka, Prince of Persia ou Myst), la série des Carmen Sandiego est un incontournable dans le domaine du ludo-éducatif. Comme n'oublie pas de le rappeler Mindscape, qui a depuis racheté la licence, 6 millions de jeux estampillés Carmen Sandiego ont déjà été vendus dans le monde. Oui mais voilà, monsieur Mindscape : peut-on miser sur une marque sans se soucier de perpétuer les qualités qui ont fait son succès ? Dans Mystère au Bout du Monde, celles-ci sont ignorées, voire carrément bafouées. Jadis, la poursuite de la plus célèbre des voleuses vous obligeait à concilier réflexion et culture générale. Ce n'est aujourd'hui plus le cas : linéaire, dirigiste, l'aventure proposée ne donne jamais l'occasion de faire fonctionner vos petites cellules grises, pas plus qu'elle ne sollicite vos connaissances culturelles.
L'entrée en matière laisse pourtant présager un titre fidèle à ses origines : vous y incarnez Julia et Adam, deux agents de l'ACME lancés sur les traces de Carmen Sandiego, qui vient de dérober de célèbres oeuvres d'art dans plusieurs pays. Une mappemonde vous permet d'accéder à ces différentes destinations : le temps de lire un petit topo géographique, historique et culturel sur le pays en question et vous voilà sur place. Et là, ça se gâte. Vous avez la désagréable surprise de constater que chaque destination n'est matérialisée que par un seul et unique lieu, dans lequel il faut effectuer une série d'actions ultra-linéaires pour faire progresser l'enquête. Vous pouvez donc oublier l'astucieux jeu de piste qui consistait à récolter, en temps limité, suffisamment d'indices pour découvrir où s'était rendue Carmen Sandiego. Ici, vous êtes l'otage d'une aventure basique et linéaire qui vous prive de toute initiative : une fois les actions requises effectuées, vous devez vous acquitter d'un mini-jeu inintéressant ou résoudre un puzzle d'une facilité déconcertante pour mettre alors la main sur un indice vous conduisant tout droit à la destination suivante. Et ainsi de suite, sachant que vous ne restez jamais plus de 10 à 15 minutes dans un même pays (précisons que nous parlons de temps réel) et que votre bagage culturel n'est jamais mis à contribution lors de votre séjour. Tout au plus apprendrez-vous quelques petites choses en touchant certains éléments du décor, mais il ne vous sera jamais demandé de les réinvestir. On regrette également que la plupart des oeuvres évoquées soient fictives : pourquoi remplacer la Joconde par "La Jeune Fille" si le titre avait une quelconque visée éducative ?
Le titre souffre par-dessus tout d'un scénario aussi inconsistant qu'improbable, qui n'aide pas à l'immersion. Qu'on s'en réfère à cette inénarrable scène en Egypte, durant laquelle les services secrets ont "oublié" d'interroger le marchand de souvenirs qui se trouve juste à côté du lieu du vol, alors qu'il dispose justement d'une photo de Carmen Sandiego prise sur le fait. De même, chaque apparition de la voleuse est grand-guignolesque, les scénaristes ayant visiblement eu beaucoup de mal à choisir entre une approche naïve et le second degré dont la série est coutumière. L'humour, notamment, tombe constamment à plat (les deux héros se chamaillent, Adam reçoit des mails de sa maman...). Au niveau du gameplay, ce qui frappe mis à part l'imbuvable dirigisme, c'est l'inutilité des fonctionnalités proposées : le PDA est sous-exploité, l'inventaire ne sert à rien, la coopération entre les deux personnages brille par son absence et les choix de répliques lors des dialogues sont inutiles vu qu'une seule débloque la suite des événements. Pour ne rien arranger, Mystère au Bout du Monde souffre d'un rendu visuel particulièrement cheap. Les décors, réalisés dans un style BD à partir de cartes postales touristiques, ne rendent pas grâce à la beauté des lieux visités. Quant au character design, il est tout simplement atroce. Pire : le titre n'affiche pas la moindre petite animation, et ce même durant les "phases d'action". Ainsi, dans les mini-jeux qui consistent à trouver son chemin dans un labyrinthe ou le long d'une paroi d'escalade, les deux héros sont représentés par... un symbole en forme de triangle. Vaste fumisterie ou temps de développement insuffisant ? On opte pour la seconde hypothèse, étant donné la fin abrupte qui intervient au bout de 2 heures 30 de jeu, laissant un goût d'inachevé. A moins qu'elle n'augure d'une suite ? Mais qui sera assez fou pour dilapider à nouveau 40 euros dans quelques mois ?
- Graphismes4/20
Les décors sont ternes et peu nombreux, le character design est épouvantable et le jeu n'affiche pas la moindre petite animation (non non, n'insistez pas).
- Jouabilité5/20
Le gameplay est inintéressant, les mini-jeux sont lamentables et importés directement de la version DS. Et par-dessus tout, le jeu est trop facile.
- Durée de vie3/20
Comptez entre deux et trois heures de jeu pour visiter la dizaine de destinations différentes. Le titre n'offre aucune rejouabilité contrairement à ses ancêtres.
- Bande son7/20
Quelques bruitages et quelques musiques d'ambiance illustrent les différents lieux visités. C'est bien trop léger pour pouvoir compenser le manque d'atmosphère.
- Scénario5/20
L'histoire est peu passionnante, les personnages n'ont aucun charisme, les situations sont tirées par les cheveux et les énigmes sont beaucoup trop téléphonées.
Il est infiniment triste de voir une licence comme Carmen Sandiego n'être plus que l'ombre d'elle-même. Ultra-dirigiste, peu attractif et court, Mais Où se Cache Carmen Sandiego ? Mystère au Bout du Monde est un titre à éviter autant que possible, même – et surtout – si vous êtes nostalgique d'une série qui a bercé votre enfance.