Vous connaissez sans doute la 7ème Compagnie, cette escouade de bidasses français qui a popularisé le comique troupier dans le cinéma des années 1970. Mais connaissiez-vous la 9ème Compagnie, russe celle-là, à qui les exploits bien réels lors de la première guerre d'Afghanistan ont valu un film à sa gloire ? Un film dont Lesta nous offre aujourd'hui une adaptation vidéoludique qui, sous une bonne couche de propagande, cache un STR presque recommandable.
On pointe souvent le patriotisme exacerbé qui émane des productions cinématographiques et vidéoludiques américaines, mais les Russes n'ont rien à leur envier en la matière. Magnifique objet de propagande destiné à réhabiliter l'intervention de l'URSS en Afghanistan ainsi que la guerre qui plongea le pays dans le chaos de 1979 à 1989, 9ème Compagnie ne prend pas le moindre gant pour manipuler son thème sulfureux. Images d'archives, extraits du film, briefings de mission : tout ici concoure à légitimer l'action soviétique et à fustiger aussi bien celle des Moudjahidin afghans que des états capitalistes qui les soutinrent matériellement et financièrement. Le menu principal propose même une section "Mémorial" dans laquelle défilent les noms des 86 soldats distingués Héros de l'Union soviétique (certains à titre posthume) pour leur rôle dans ce conflit. Sans rentrer dans la polémique, disons qu'Anuman Interactive, toujours aussi prompt à dégoter quelques perles russes et à les adapter pour le marché français, aurait peut-être pu se passer d'en traduire les passages les plus partisans : même si une guerre en a chassé une autre, la mémoire de cet épisode aussi douloureux que sanglant de l'histoire de l'Afghanistan reste suffisamment vive pour qu'on soit tenté d'éviter tout excès de zèle.
La navigation dans le menu principal confirme aussi ce qu'on pouvait craindre à la lecture de la jaquette du jeu : 9ème Compagnie est un STR sacrément chiche sur le plan du contenu. L'unique campagne de 12 missions disponible n'est secondée par aucun mode escarmouche ni aucune option multijoueur. Le titre a beau être vendu à un prix légèrement inférieur à ceux qui se pratiquent d'habitude, sa durée de vie n'en représente pas moins un aspect rédhibitoire. Le tutorial, passage obligé avant de se lancer dans la campagne, annonce en tout cas la couleur : 9ème Compagnie est un STR très tactique et assez étoffé en termes de possibilités. Certes, ici, pas question de gérer d'éventuelles ressources, d'établir des bases et de former des unités : on débute avec un nombre d'unités donné, à choisir avant chaque mission parmi le contingent de soldats mis à disposition par l'armée soviétique. Mais le jeu, très axé sur la micro-gestion, permet d'équiper à son bon vouloir chacune de ses unités. Cela permet de faire de chacune d'elles un véritable commando en puissance, muni par exemple d'un couteau, d'un fusil automatique, d'un lance-roquettes, de grenades diverses et variées ainsi que d'un équipement définissant sa spécialité : explosifs, détecteur de mines, médikit ou radio-transmetteur servant à appeler des renforts. Ces derniers peuvent prendre la forme de tirs d'artillerie, de bombardements aériens ou d'attaques d'hélicoptères : le choix est vaste. Sachez également qu'à l'issue de chaque mission, les soldats qui auront survécu (chacun est désigné par un nom particulier) accumuleront de l'expérience qui les rendra plus efficaces : pour peu, on se croirait dans Jagged Alliance !
Bien pensé, le tutorial enseigne les ficelles du gameplay qui, outre les formations disponibles, résident essentiellement dans les différentes possibilités d'actions des soldats. Ils peuvent marcher ou courir (debout ou accroupi), avancer en rampant, se mettre à couvert derrière des éléments du décor, détecter et désamorcer les mines, poser des explosifs et les déclencher à distance, soigner leurs coéquipiers, grimper au sommet des bâtiments, utiliser des tourelles... Tout ceci se fait de façon très classique pour un STR, à savoir via un clic droit sur l'élément donné pour une action par défaut et via un recours au panneau d'interface ou aux raccourcis clavier pour une action alternative. A noter que la touche Alt permet d'afficher le champ de vision et la portée de tir de chaque unité, ce qui peut s'avérer bien pratique. Bien entendu, différents véhicules militaires (tanks, véhicules de transport blindés, ...) sont aussi de la partie : vos soldats peuvent y embarquer, ou grimper dessus s'il n'y a pas ou plus de place à l'intérieur. Hélas, leur contrôle est plutôt délicat, la faute à un pathfinding perfectible. Le tutorial est l'occasion de constater d'autres problèmes de jouabilité qui se confirmeront en mission, à commencer par la gestion irritante de la caméra : pilotable en maintenant enfoncée la molette de la souris, elle se montre aussi peu souple que peu réactive, là où les paysages escarpés des montagnes afghanes nécessitent au contraire de fréquents zooms et dézooms ainsi que de rapides changements de perspective. La possibilité de mettre le jeu en pause rend ce défaut un tantinet moins préjudiciable ; elle permet également de donner sereinement des ordres à ses unités durant les longues fusillades auxquelles on est souvent confronté.
Et prendre le temps de donner des ordres particuliers à chacune de ses unités, s'est s'assurer les clés de la victoire dans un jeu particulièrement exigeant, et ce dès les premières missions (le niveau de difficulté ne peut d'ailleurs être modulé). L'erreur à ne pas commettre est d'aborder 9ème Compagnie comme un STR classique : ici, même avec une armée 5 fois supérieure en nombre à celle de l'opposant, on prend le risque d'une cuisante défaite pour peu qu'on avance aveuglément. Souvent embusqués dans les montagnes ou cachés dans leurs villages, les Moudjahidin agissent avec fourberie. Après les avoir vu surgir d'un fourré pour achever au couteau des blessés laissés imprudemment à l'arrière, on trouve même l'IA assez convaincante. Les maps sont en outre truffées de mines, obligeant à progresser lentement et prudemment. De manière générale, il faut tirer parti de l'environnement et de toutes les ressources dont on dispose pour espérer s'en sortir. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire, le jeu prenant souvent l'apparence d'un die and retry : surpris par une embuscade, on se fait massacrer et on recharge pour tenter d'y échapper la fois suivante. C'est l'occasion de mentionner ce qui est sans doute le plus gros problème de 9ème Compagnie : les rechargements de partie font bugger les scripts, empêchant de remplir certains objectifs. C'est extrêmement pénalisant et d'autant plus dommage que le jeu s'avérait finalement assez prenant, soutenu par un moteur graphique plus que correct et particulièrement véloce. Sachez que si vous persistez tout de même à vouloir bombarder de vilains villages afghans, vous aurez l'insigne joie de voir vos victoires célébrées par un drapeau communiste sur fond d'hymne soviétique.
- Graphismes13/20
Le moteur de jeu se montre convaincant : l'action est fluide, les unités sont détaillées, les environnements destructibles et les effets visuels agréables à l'oeil. L'ensemble possède un aspect aussi froid que réaliste, susceptible de mettre assez mal à l'aise.
- Jouabilité9/20
Le gameplay, agréable, a le mérite d'être rapidement assimilable et l'interface est assez pratique. Pourtant, quelques problèmes de maniabilité entachent le tout : le pathfinding décevant et la gestion de la caméra peu ergonomique sont source d'irritantes défaites.
- Durée de vie7/20
Le jeu est uniquement doté d'un mode solo, et ce mode solo contient une unique campagne composée seulement de 12 maps assez peu étendues. La difficulté assez relevée demande de jouer et de rejouer certains niveaux, mais la durée de vie n'en est que plus artificielle.
- Bande son12/20
Les thèmes musicaux, présents uniquement dans les menus, sont bien trop patriotiques pour susciter une quelconque adhésion. Ils laissent la place en mission à des bruitages assez réussis ponctué par les voix russes de vos soldats et par les harangues fanatiques de vos ennemis.
- Scénario10/20
D'un côté, nous avons une représentation réaliste de la première guerre d'Afghanistan, reprenant certains événements et certains faits d'armes célèbres. De l'autre, on ne peut s'empêcher d'être dégoûtés par la propagande omniprésente qui en ressort.
9ème Compagnie est un STR particulièrement tactique où le moindre mouvement doit faire l'objet d'une mûre réflexion. Il offre au joueur une gestion poussée de son contingent et des possibilités d'action particulièrement étoffées. Hélas, sa faible durée de vie, sa jouabilité peu convaincante et ses bugs particulièrement gênants nous empêchent de le conseiller aux amateurs du genre, qui trouveront bien plus de satisfaction dans un Company of Heroes.