En tant que première incursion horrifique d'Electronic Arts, Dead Space aura attisé les regards inquiets mais aussi intrigués de la part de toute une frange de joueurs acquis à la cause de l'hémoglobine de pixels. Développé par les papas des Simpsons le jeu, ce mix entre le jeu d'action rouge sang et le survival-horror s'en va donc singer quelques monuments cinématographiques et vidéoludiques en transposant son action vers un endroit pour le moins isolé car situé à des milliers d'années lumière de la Terre, l'USG Ishimura. Un lieu comme un autre pour mourir...
Le survival-horror et l'espace n'est pas une histoire datant d'hier. Pour autant, on dénombre finalement peu de softs ayant usé et abusé de cet environnement pourtant propice au sentiment de solitude, d'enfermement et par là-même d'étouffement. On pourra néanmoins citer un sympathique Overblood sur PSone, un exécrable Dino Crisis 3 sur Xbox, le mystique Echo Night Beyond ou l'oublié et très remanié Run Like Hell sur PS2, dont les similitudes avec Dead Space sont nombreuses. En somme, la première bonne idée des développeurs aura été de laisser tomber la planète bleue pour s'enfuir vers des horizons inexploités, du moins sur New Gen et PC dans le domaine qui nous intéresse ici. Décomplexé vis-à-vis de la violence, ouvertement gore, trash et choquant (pour les âmes les plus puritaines), ce voyage vers l'horreur aura réussi haut la main son premier défi en faisant naître l'envie dans le coeur du joueur.
Astucieusement articulé autour d'un projet multimédia comprenant des épisodes d'une série flash et d'un animé sortant le 05 novembre prochain, Dead Space profite ainsi dès sa sortie d'un background établi. D'ailleurs, on signalera au passage la faute de goût consistant à commercialiser Dead Space Downfall après le jeu alors que le film d'animation revient sur les événements précédant ceux narrés dans le jeu. Quoi qu'il en soit, Electronic Arts avait dès le départ choisi de tout mettre en oeuvre afin de rendre consistant l'univers de son rejeton. Si au final le scénario n'a rien de bien original, on saluera malgré tout l'effort des scénaristes qui ont truffé l'aventure de messages audio, vidéo ou écrits nous en apprenant un peu plus sur les raisons de ce tartare de scientifiques et autres passagers ayant un beau jour constitué l'équipage du gigantesque vaisseau spatial l'USG Ishimura. Au final, si les clins d'oeil à Aliens ne manquent pas, on situera plutôt l'histoire de Dead Space à mi-chemin de celle d'Event Horizon, Sunshine et 2001 L'Odyssée de l'Espace pour ce qui est de l'emprunt d'un mystérieux monolithe abondamment cité car au centre de l'intrigue. S'étalant sur une douzaine de chapitres, soit une douzaine d'heures de jeu, l'histoire s'intensifie d'heure en heure, le suspens suffocant allant crescendo à mesure qu'on entrevoit des bribes de vérité.
Il ne sera donc pas totalement surréaliste de faire un parallèle entre Resident Evil 4 et Dead Space dont la montée en puissance, les prouesses graphiques et les moments d'anthologie suivent la même courbe ascendante. De fait, jouer à Dead Space revient à totalement s'immerger dans un monde insalubre, glauque et dangereux, très dangereux même pour peu que vous optiez pour le mode Normal ou Difficile. Néanmoins, les devs ont opté pour une certaine accessibilité dans le sens où vous aurez toujours le choix de recourir à un faisceau lumineux pour savoir où aller. De plus, les points de sauvegarde bien placés et les check points éviteront également de lénifiants allers-retours. On navigue ainsi en toute sérénité en se concentrant principalement sur les affrontements et les quelques énigmes qui ne sont là que pour stimuler une ou deux neurones peu impliqués par ce qui se passe à l'écran. Sur ce point, et hormis une recherche d'objets à utiliser à un endroit précis (un classique immuable), on devra le plus souvent utiliser nos pouvoirs de stase (pour ralentir un ennemi ou objet précis) et de télékinésie afin de se frayer un chemin. Rien de bien stimulant mais dans l'absolu ce n'est nullement un problème car ce qu'on recherche avant tout se trouve ailleurs.
EA l'a bien compris et a du coup concentré ses efforts sur l'aspect survival. Ne vous faites donc pas prier pour ramasser toutes les munitions traînant à droite et à gauche ou à en acheter dans les stocks du vaisseau. Ces derniers, disséminés un peu partout et reprenant le principe des coffres communiquant des premiers Resident Evil, vous permettront de stocker vos objets superflus, d'en vendre et d'acheter divers éléments comme des armes (pour peu que vous ayez récupéré au préalable les schémas de l'engin), munitions, kits de soins ou bien encore des combinaisons plus évoluées. Sachant que celles-ci influeront sur le nombre d'emplacements de votre inventaire ainsi que votre résistance aux attaques, vous conviendrez de l'intérêt d'un tel achat. En sus, vous trouverez à plusieurs endroits des plans de travail pour améliorer vos armes. Pour pouvoir utiliser cet arbre d'évolution, vous devrez avoir en votre possession des points de force, indispensables pour augmenter les attributs telle que la capacité, les dommages, le rechargement ou la vitesse d'une arme. A noter que lesdits points de force, à trouver au grè de vos pérégrinations, vous serviront aussi à ouvrir des pièces refermant la plupart du temps des items de soins ou des munitions. Bref, ce petit aspect customisation est une excellente chose et incite grandement à fouiller le moindre recoin de chaque chapitre.
D'un point de vue visuel, Electronic Arts s'en est aussi sorti avec les honneurs. Outre une qualité graphique bluffante et des effets de lumière à tomber raide, comment ne pas encenser la trouvaille consistant à afficher l'inventaire ou n'importe quel message vidéo, à la façon d'un hologramme, sur la droite de l'écran, le personnage étant cantonné sur la gauche ? Une bien belle façon de détourner le HUD d'autant que notre jauge de vie et de stase sont représentées par un tuyau et un petit dispositif fluorescent dans le dos de notre combinaison. Par contre, retenez bien que lorsque vous naviguez dans votre besace virtuelle, ou afficher la map et vos objectifs, le temps ne se fige pas. A éviter en plein combat d'autant qu'il est dommage de constater que le retournement à 180° n'a pas été prévu. Isaac a beau se mouvoir prestement, il est souvent frustrant de ne pas savoir plus rapidement ce qui se passe dans notre dos, surtout lors des combats à 1 contre 10 en huis clos. Cependant, notre armement se montre très efficace dès le départ et entre une mitraillette, un découpeur, un lance-flammes, un trancheur laser, le massacre se poursuit au rythme d'éclats de rire un brin sadiques. Car oui, Dead Space aurait pu être validé par le marquis de Sade et Vlad Tepes réunis tant cette production EA ne fait pas dans la dentelle.
On pourra même ricaner de l'antagonisme affiché au verso de la boîte évoquant du démembrement tactique. Et pourtant, c'est bien de cela qu'il s'agit car pour se défaire des abominations rampantes, vous devrez non pas viser la tête mais les membres des monstres. Autant dire que les armes décrites plus avant prennent tout leur sens et disposer d'un lanceur de scie circulaire devient vite une évidence ici-bas. Sachant que chaque arme dispose d'un tir secondaire, pratique ou fun selon le cas, on jubile comme un gamin devant ce déballage de chair sanguinolente d'autant que nous en sommes l'instigateur. Un véritable parc d'attraction sorti tout droit des enfers dans lequel ou trouvera aussi des passages dans l'espace ou en gravité zéro. Dans le premier cas, il sera souvent question d'y aller fissa avant que votre réserve d'oxygène n'atteigne le seuil critique. Dans le second par contre, il sera plutôt question de trouver son chemin, le haut pouvant devenir bas et inversement. Ici, vous devrez uniquement pointer l'endroit où vous voulez vous rendre puis appuyer sur une combinaison de boutons afin qu'Isaac effectue un bond, la caméra changeant alors d'angle pour se repositionner derrière votre avatar. Ceci me permet d'aborder la question de la jouabilité qui s'avère excellente exception faite du point mentionné plus avant ainsi qu'une carte peu lisible. A part ça, aucun problème de caméra, l'interface est bien pensée et esthétique, le système d'upgrade facile d'accès et l'accès rapide aux armes, permet d'être réactif.
Autant dire qu'avec Dead Space, Electronic Arts inflige une gifle magistrale à Capcom en faisant jeu égal avec eux sur un terrain habituellement occupé par les Japonais. Beau, violent et synthétisant à merveille le meilleur du cinéma d'horreur et celui du jeu vidéo, ce titre ne faiblit jamais pour offrir au joueur une expérience inoubliable. Aucun point n'ayant été laissé à l'abandon, l'expérience se veut totale et sans aucune concession. On ne sera donc pas étonné d'être transporté par une bande-son comptant parmi les plus fabuleuses jamais entendues dans une oeuvre vidéoludique. D'une gamme de bruitages réalistes à un rendu sonore parfait en passant par des musiques symphoniques sidérantes de qualité et un très bon doublage français, nos oreilles frémissent au son de cette débauche de cordes stridentes, de cuivres puissants et de hurlements dans le lointain. Il n'en fallait pas plus pour porter Dead Space au rang de chef-d'oeuvre absolu en le plaçant au panthéon des réalisations les plus marquantes de cette année.
- Graphismes18/20
Disposant d'une incroyable galerie de monstres, d'une excellente modélisation et de somptueux jeux de lumière, Dead Space se pose comme un jeu d'une enivrante beauté. De plus, on encensera les graphistes qui ont réussi à proposer des environnements différents au sein d'un immense vaisseau, chose que n'avait pas réussi à faire Capcom dans Dino Crisis 3. Enfin, signalons que les passages en gravité zéro ou dans l'espace proposent des séquences originales, oniriques voire renversantes.
- Jouabilité17/20
L'absence de HUD profite à Dead Space à l'inverse de ce qui avait été fait dans Alone in The Dark. Le tout est esthétique et surtout fonctionnel hormis une carte peu lisible. Les problèmes de caméra étant absents, diriger Isaac est un vrai bonheur même si on regrette qu'il ne soit pas possible d'effectuer un retournement rapide à 180°. Enfin, la customisation de nos armes et l'achat d'items sont synonymes de grosse carotte nous incitant grandement à fouiller en long et en large chaque niveau.
- Durée de vie14/20
12 chapitres composent l'aventure principale. Pour avoir terminé, en Normal, les six premiers en autant d'heures, on pourra tabler sur une durée de vie de 10 à 12 heures environ. De plus, on ne sera que rarement bloqué vu que les énigmes ne réclament généralement que l'utilisation d'un de nos deux pouvoirs pour être résolues. Enfin, les développeurs ont inclus une sorte de ligne directrice nous indiquant par où aller si jamais vous ne savez plus où donner de la tête.
- Bande son20/20
La perfection n'existe pas et pourtant les équipes d'EA en charge de la bande-son de Dead Space semblent avoir trouvé la formule. Autant dire que l'immersion doit énormément au travail des artistes sonores qui ont réalisé un travail ahurissant. Les bruitages sont nombreux et le rendu sonore, modulable en fonction de l'endroit où on se trouve, est d'une justesse irréprochable. Rajoutez des musiques symphoniques d'une finesse inouïe s'adaptant parfaitement à ce qui se passe à l'écran ainsi qu'un doublage français concerné et vous obtenez une oeuvre d'une richesse auditive fulgurante.
- Scénario13/20
Empruntant à Event Horizon, Aliens, Sunshine, 2001 et des jeux comme Run Like Hell ou Doom 3, Dead Space multiplie les clins d'oeil et hommages pour un résultat peu original mais impliqué. En effet, si le scénario a des airs de déjà-vu, la quantité de messages audio et vidéo apporte une vraie consistance à cet univers difforme auquel le film d'animation Dead Space Downfall devrait offrir quelques éléments narratifs révélateurs. Par contre, on regrettera le syndrome Gordon Freeman synonyme de héros muet. Peu crédible et surtout très frustrant lors de conversation en tête à tête.
Un poème fait de tripailles, de peurs primaires et de jubilation malsaine. Voici ce que nous a rédigé Electronic Arts et si la lecture de l'oeuvre se veut traumatisante, elle n'en reste pas moins enivrante. Fils illégitime de plusieurs longs-métrages et jeux vidéo, Dead Space acquière une indépendance dès les premières minutes de l'aventure. Lové entre une vraie maturité, une violence esthétisante, une prodigieuse bande-son, de multiples trouvailles et des passages d'anthologie, le titre d'EA impressionne à tous les niveaux. Projeté dans un univers sombre et malsain, le joueur n'aura alors de cesse de pousser les portes pour avancer tout en redoutant d'arriver au bout de l'aventure. Beau paradoxe né d'une réalisation de qualité et d'un projet maîtrisé de bout en bout. Chapeau bas.