Quand la littérature et les jeux vidéo se rencontrent, cela donne souvent un résultat intéressant. D'autant que certains univers littéraires se prêtent particulièrement bien à une adaptation vidéoludique. C'est le cas d'Otherland (Autremonde en VF), cycle de science-fiction écrit par Tad Williams. L'éditeur dtp a tout de suite vu le potentiel de ces romans et a donc décidé d'en faire un MMO. Le projet n'en est qu'à ses débuts mais recèle déjà de nombreuses promesses, comme nous sommes allés le constater chez Real U, le studio de développement créé pour l'occasion.
Il convient tout d'abord de résumer brièvement le contexte d'Otherland pour qui n'aurait pas lu les romans. L'histoire se déroule dans un futur proche, où la réalité virtuelle a atteint un niveau de réalisme extrême et offre aux gens une liberté absolue... Au moins en apparence. Mais derrière tout ça se cache en fait une conspiration machiavélique, dont quelques puissants qui détiennent le pouvoir tirent les ficelles en coulisses. Une poignée de personnages, conscients des événements, vont tenter de s'opposer à cette machination, ce qui va les amener à traverser différents mondes virtuels. On l'aura compris, Otherland parle de l'avenir de l'interactivité. Avec un tel concept, on comprend que dtp ait eu envie de faire un jeu vidéo, a fortiori un MMO.
L'éditeur allemand a donc contacté Tad Williams dès 2006 et l'auteur s'est immédiatement montré emballé par le projet. Son cycle étant terminé, il y voit la possibilité de continuer à raconter des histoires dans l'univers d'Otherland. Le jeu ne sera donc pas une adaptation directe des livres mais plutôt une suite, un prolongement naturel. Rarement écrivain n'aura été autant impliqué dans l'adaptation de son oeuvre. Tad ne s'est pas contenté de vendre les droits, il travaille en étroite collaboration avec les développeurs. Bien sûr, il s'agit pour lui de vérifier que ces derniers respectent bien son univers, mais il reste ouvert aux nouvelles idées apportées par Real U. Ce studio, créé par dtp à Singapour spécialement pour ce projet, est certes nouveau mais il est composé de personnes expérimentées venant d'Electronic Arts, d'Atari, etc. A ce jour, plus de 80 personnes travaillent sur Otherland, sans compter les prestataires externes (pour l'enregistrement audio par exemple). Cependant, le jeu n'est encore qu'au stade de préproduction, à environ 15% du chemin d'après Andrew Carter, le patron de Real U. La version que nous avons vu manquait donc de pas mal d'éléments qui font le coeur du gameplay, notamment les quêtes et les combats, pas encore implémentés. Les développeurs veulent aussi garder quelques annonces sous le coude et on les comprend, Otherland n'étant prévu que pour 2010.
Ce qui fait l'originalité de l'univers d'Otherland, c'est évidemment sa multiplicité, puisqu'il est composé de nombreux mondes virtuels très différents. On nous a évoqué des mondes inspirés de la fantasy, de la SF et de l'Egypte antique, ou encore des mondes cartoon et contemporains. La liste définitive n'est pas encore établie avec certitude, mais on parle de cinq grandes zones de jeu, secondées par des plus petites afin d'expérimenter plusieurs idées. Car ces mondes ne différent pas seulement par leur identité visuelle, mais aussi et surtout par les règles qui s'y appliquent. D'un point de vue purement physique par exemple, on peut imaginer que la gravité ne sera pas la même d'un monde à l'autre, qu'une même action engendrera des réactions diverses, etc. Comme souvent avec les MMO, tout cela ne sera pas figé dans le marbre et les développeurs pensent déjà aux nouveaux mondes qu'ils pourront intégrer comme contenu additionnel après la sortie. Voire même, soyons fous, de donner la possibilité aux joueurs de créer leurs propres mondes ? L'avenir nous le dira.
Le monde qui nous a été présenté est Mars, vaguement inspiré de la planète du même nom. On y retrouve donc une terre orangée, des coulées de lave, mais les ressemblances s'arrêtent là. Ce monde est peuplé de cinq espèces qui vivent dans des bâtiments à l'architecture orientale. Des bateaux volants, où un ballon remplace la voile, évoluent dans un ciel aux couleurs changeantes. Le sol est parsemé de drôles de champignons luminescents. C'est beau. Il faut dire qu'Otherland utilise une version modifiée de l'Unreal Engine 3, la dernière mouture du moteur 3D d'Epic, déjà vu à l'oeuvre dans BioShock ou Gears of War. Le résultat est impressionnant, avec des effets d'ombres et de reflets criants de vérité et des animations extrêmement réalistes. La contrepartie, c'est évidemment une configuration requise musclée, architecturée autour d'un processeur quad core. Un matériel haut de gamme dont tout le monde n'est pas encore équipé, mais qui a le temps de se répandre d'ici à la sortie du jeu.
L'autre lieu que nous avons pu visiter est le Lambda Mall, qui est un noeud central d'Otherland dans les romans de Tad Williams et donc par extension dans le jeu. Il sert à la fois de point de rencontre, de lobby, bref de hub social, mais c'est aussi un complexe de commerce et de loisir. Les différentes zones sont reliées par des systèmes de transport originaux : des "tubes" de vol hexagonaux, et des rails magnétiques qui permettent de glisser. Au milieu des immeubles et des plates-formes inondés d'écrans et de publicités lumineuses, cet enchevêtrement de réseaux confère au Lambda Mall un caractère très particulier, renforcé par le look futuriste des personnages non joueurs qui y évoluent. Les joueurs peuvent passer du temps ici à explorer les différents endroits, comme le planétarium ou une boîte de nuit, avant de partir à l'aventure vers d'autres mondes virtuels.
Concrètement, quelle est la place du joueur dans tout cela ? Il incarne un personnage coincé dans ces mondes, incapable de se délogger pour revenir dans le réel, dans son corps physique. Piégé dans la matrice, en quelque sorte. A partir de là, il va vivre une véritable aventure, car les développeurs ont l'ambition de faire un MMO fortement scénarisé, quitte à être un peu dirigiste par moments. L'histoire sera d'ailleurs racontée via plus de deux heures de cinématiques, créées par d'anciens membres de Square Enix, excusez du peu. Le but ultime sera de rallier la mythique Golden City pour découvrir ce qui s'y cache. Au début, le personnage commence sans visage, sans personnalité, il est juste un corps générique, comme un nouveau né. Il n'y a donc pas d'apparence ni même de classe à choisir, cela se fera progressivement au fil de l'évolution du personnage. Chaque avatar possède un code barre qui le définit en fonction de ses actions, non pas derrière la tête comme 47 mais dans le dos, que tout le monde pourra scanner.
Le code est d'ailleurs partout dans Otherland, même si on ne le voit pas. Il ne faut pas oublier qu'on évolue dans une réalité virtuelle, qui n'est finalement composée que de langage binaire. Le gameplay devrait donc se baser sur ce principe, même si c'est pour l'instant assez flou. Par exemple, le producteur nous a parlé d'une arme, qui se présentait sous la forme d'une lame, capable de se planter dans un objet pour en retirer des propriétés afin de les réinjecter dans un autre. Il devrait également être possible de pirater un univers pour en modifier l'apparence, puisque ce n'est qu'une façade. Même les règles qui le régissent pourront être brisées, mais gare aux conséquences... Quant à l'avatar, il est également fait de code. S'il gagne un objet, celui-ci ne se rangera pas dans son sac à dos mais viendra tout simplement s'ajouter au code du personnage. On ne connaît pas encore les compétences dont pourront user les joueurs, mais elles seront spécifiques à chaque monde. Par conséquent, un personnage pourra très bien être puissant dans un monde où il aura passé du temps à développer ses capacités, tandis qu'il sera faible dans un autre qu'il n'a que peu visité. Une idée intéressante, qui évite le nivelage habituel des autres MMO. Des idées, Real U n'en manque d'ailleurs pas pour distinguer son jeu du reste de la production actuelle. C'est bien l'impression qui ressort de cette première rencontre : Otherland ne ressemble pas aux autres titres du genre. Que ce soit par son univers ou par son gameplay (même s'il demeure un peu vague), il impose sa différence de belle manière. Autant dire qu'on a hâte de voir ces promesses se concrétiser.