The Witcher est assurément un grand jeu de rôle, et il a été récompensé comme tel dans nos colonnes l'an passé. Avec néanmoins un soupçon de sévérité, dû à quelques défauts énervants, notamment les temps de chargement et les personnages clonés. L'histoire aurait pu s'arrêter là, mais CD Projekt n'est décidément pas un développeur comme les autres. Le studio s'est attaché à corriger ces problèmes, et nous ressort aujourd'hui son hit dans une version revue et corrigée. Cerise sur le gâteau, cette nouvelle mouture contient deux aventure inédites et nous est servie dans un superbe packaging contenant de nombreux bonus. Idéal pour une séance de rattrapage, ou pour redécouvrir cette perle dans toute sa splendeur.
The Witcher, c'est d'abord l'histoire d'un cycle de fantasy écrit par l'auteur polonais Andrzej Sapkowski. Son univers repose sur des bases désormais classiques : nains et elfes répondent présents et correspondent bien à tous les clichés en vigueur. Mais il ne manque pas non plus d'originalité. L'histoire se déroule dans une atmosphère sombre : la peste fait des ravages, le racisme envers les non-humains grandit... Et surtout, la poignée de sorceleurs survivants n'ont plus la confiance de la population. Il s'agit de guerriers chasseurs de monstres, ayant subi des mutations génétiques afin de développer leur force et leur résistance. Ils disposent aussi de quelques pouvoirs magiques appelés signes. Le héros que l'on contrôle est l'un d'entre eux, et pas des moindres, puisque Geralt de Riv, c'est son nom, fut réputé pour ses exploits. Mais au début du jeu, il refait surface après plusieurs années de disparition et semble avoir oublié qui il est. Voilà qu'on nous refait le coup de l'amnésie... A l'instar d'un Gothic 3, on ne crée donc pas son personnage, on incarne Geralt, le Loup Blanc. Après avoir défendu la forteresse de Kaer Morhen, il part à Wyzima, capitale du royaume de Temeria, en quête de réponses.
Là, on se rend compte d'une grande différence par rapport à l'un des ténors du genre, j'ai nommé Oblivion. Dans The Witcher, pas question d'aller où bon nous semble dès le début. On n'est pas lâché dans un vaste monde à parcourir dans tous les sens au gré de son humeur. Non, ici, il faut commencer par les faubourgs, puis atteindre la ville, puis aller dans les marais, etc. La progression est assez cloisonnée. Une impression d'autant plus renforcée que les aires de jeu ne sont pas immenses, et qu'on ne peut pas aller où l'on veut. Par exemple, dans les faubourgs de Wizima, le moindre champ est rendu inaccessible par une barrière de bois. Sachant que Geralt ne sait ni sauter, ni nager d'ailleurs, le parcours de cette zone se limite à un cercle qui suit le chemin. Même constat une fois dans la ville, où plusieurs quartiers ne sont pas tout de suite accessibles pour les besoins du scénario. Bref, le monde du jeu est au service de l'histoire, et s'ouvrira donc progressivement au fil de l'avancement du joueur. Ce n'est pas un mal, mais on aurait tout de même apprécié plus de liberté.
Bon, n'exagérons rien, s'il y a un manque de liberté dans les mouvements, on ne manque pas de choix pour autant. Geralt aura souvent l'occasion d'intervenir dans les événements. Laisserez-vous les villageois brûler la sorcière, ou prendrez-vous sa défense ? Allez-vous prendre le parti d'un village de pêcheurs, ou celui d'un dieu sous-marin ? Ce sera à vous de trancher, et cela aura parfois une incidence sur la suite. On sent qu'on a une réelle influence. De nombreuses quêtes secondaires sont aussi disponibles. Elles sont de deux types : celles qui sont proposées par les personnages avec qui on dialogue sont en général bien construites et s'avèrent plutôt intéressantes. En revanche, les missions annexes disponibles sur les panneaux d'affichage sont ce qu'il y a de pire dans les jeux de rôle : il s'agit ni plus ni moins que d'aller tuer dix noyadés ou huit goules et de rapporter leurs têtes ou je ne sais quelle partie de leur corps (et je ne veux pas le savoir). Ennuyeux, à réserver à ceux qui veulent gagner un peu plus d'expérience ou d'argent. Mais les autres moyens de s'enrichir ne manquent pas : le mini-jeu de poker aux dés est très réussi, et les amateurs y passeront certainement quelques heures pour se hisser au sommet de la hiérarchie des parieurs, affrontant des professionnels pour des mises toujours plus élevées. L'intelligence artificielle des adversaires a d'ailleurs été revue pour cette réédition, ils ne commettent plus les mêmes erreurs stupides qu'auparavant. Il est aussi possible de s'adonner au pugilat dans les tavernes, mais le combat à mains nues n'est pas passionnant, on se contente de coller quelques châtaignes entre deux esquives.
Le "vrai" combat, à l'épée, est en revanche bien plus intéressant. Passé le début perturbant, on apprend vite à se servir des combos. Tout est dans le timing : après avoir cliqué sur un ennemi, une première séquence de coups se déclenche. Ensuite, il faut recliquer au bon moment pour déclencher une seconde volée de coups, et ainsi de suite. Au total, ce sont jusqu'à cinq séquences qui peuvent être enchaînées. Elles dépendent de l'arme utilisée (argent pour les monstres, acier pour les humains) mais aussi du style de combat choisi : puissant, rapide ou groupe, chacun étant évidemment plus ou moins adapté selon le type d'ennemis. Ce système se révèle varié et plaisant, quand on commence à disposer d'un panel de coups conséquent et que l'on vient de tenir tête à une dizaine d'adversaires simultanément. Pour cela, il faudra distribuer les talents de manière adéquate. La feuille de personnages est assez spéciale : dans The Witcher, il n'est pas question de caractéristiques chiffrées complexes. A chaque niveau, on utilise des points de talent pour débloquer des compétences liées soit aux attributs (force, dextérité, endurance, intelligence), soit aux compétences de combat ou de magie. Par exemple, dans la compétence "acier - puissant" (qui comme son nom l'indique correspond aux attaques faites en style puissant avec une arme d'acier), on peut distribuer des points de talent pour augmenter les dégâts ou les chances de parades. Pour le signe d'Igni, autrement dit le pouvoir de feu, les talents peuvent augmenter l'angle ou la durée de l'embrasement. Quel dommage que la magie ne soit pas plus développée d'ailleurs, car finalement les sorts, même s'ils peuvent être améliorés de nombreuses façons, ne sont qu'au nombre de cinq. Télékinésie, protection, contrôle... On a vite fait le tour.
Par contre, de nombreuses potions viennent compléter la magie. Le système d'alchimie est très complet. D'abord, pour pouvoir cueillir des plantes, il faut les connaître. Cela passe par des herbiers qu'il faudra acheter ou acquérir autrement. Le vol n'est de toutes façons pas puni dans The Witcher, on peut piller une maison au nez et à la barbe de ses occupants sans risquer quoi que ce soit. Bref, une fois ces herbiers lus, les connaissances qu'ils renferment s'ajoutent à un journal très fourni dans la section des ingrédients, et vous pouvez récolter les plantes en question. Tout marche d'ailleurs comme ça : il faut aussi trouver les formules de potion dans des livres, bien qu'il reste possible d'expérimenter. Même les monstres doivent être étudiés dans de précieux volumes afin de s'ajouter au bestiaire, riche en informations sur les techniques pour les tuer. Une sacrée bonne idée. Une fois les composants réunis, il suffit d'entrer en méditation pour créer l'élixir désiré. On peut également fabriquer des explosifs, ou des huiles pour enduire les lames et les rendre plus efficaces. Il n'y a pas d'armes magiques à proprement parler, mais c'est une façon de les améliorer, comme la poudre de diamant ou les runes. Au final, le gameplay est rafraîchissant grâce à toutes ces petites trouvailles inédites. Cette Enhanced Edition améliore au passage l'interface de l'alchimie puisqu'une section de l'inventaire est désormais consacrée aux composants, qu'on peut de surcroît trier par nature.
Visuellement, The Witcher place la barre très haut. En effet, le moteur graphique est capable de prouesses, difficile de reconnaître l'Aurora Engine développé par Bioware pour Neverwinter Nights 2. Le design n'est pas en reste, il arrive donc fréquemment d'être en admiration devant le paysage, mâchoire décrochée devant tant de beauté, de petits détails, de lumières sublimes. Ajoutons à cela les effets météorologiques, le cycle jour/nuit parfaitement rendu, les lieux qui fourmillent de vie... Ainsi, les oiseaux s'enfuient sur votre passage tandis que les papillons volettent. En ville, les habitants vaquent à leurs occupations, les chiens errent, les enfants jouent dans les rues. Le monde est vraiment vivant et très cohérent. Cette immersion est renforcée par des bruitages réalistes du plus bel effet. Bref, on a affaire à une réalisation très soignée. Le principal reproche fait à la version originale, à savoir la présence de PNJ clonés, n'a plus lieu d'être puisque CD Projekt a intégré de nouveaux modèles, dotés de plus d'animations.
Bref, grâce à cette Enhanced Edition, The Witcher frôle la perfection. Avec son système de jeu original, son histoire bien construite (on sent la plume d'un véritable écrivain derrière), sa réalisation léchée jusque dans les moindres détails, il s'impose comme un grand jeu de rôle, de la race ô combien trop rare des seigneurs, qui laissera une empreinte indélébile à quiconque plongera dedans. Pour ne rien gâcher, la boîte contient de nombreux bonus (BO, vidéos, carte, guide de jeu...) à un tarif défiant toute concurrence. Quant aux deux nouvelles aventures concoctées par les développeurs, elles sont de bonne facture. La première, "le prix de la neutralité", se déroule au pied de la forteresse de Kaer Morhen. La seconde se passe à Wyzima, alors que Geralt doit sortir son ami Jaskier d'une bien mauvaise passe... Au total, comptez cinq heures de jeu supplémentaires. Tout ce contenu est évidemment accessible aux possesseurs de l'édition originale via un patch.
Le précédent test se concluait par ces mots : "affaire à suivre". La voilà donc, la suite, et même s'il a fallu patienter près d'un an pour l'obtenir, ça valait le coup d'attendre. Entre temps, il faut bien admettre qu'il ne s'est pas passé grand-chose dans le petit monde des jeux de rôle PC. Ce vide laisse à The Witcher un boulevard pour s'imposer comme la nouvelle référence du genre. Maintenant, ce sont les Risen, Dragon Age : Origin, Arcania : A Gothic Tale et autres Divinity 2 : Ego Draconis qui sont les outsiders, et ils auront fort à faire en 2009 pour renverser le roi de son trône.
- Graphismes17/20
Il faut bien l'avouer, c'est la grande claque. Les environnements sont magnifiques, les effets de lumières sublimes. Les personnages principaux sont joliment modélisés et animés. Bref, c'est de l'excellent travail, tant artistiquement que techniquement. Prévoyez tout de même une configuration musclée pour en profiter pleinement. Quant aux PNJ clonés, ils n'ont pas complètement disparu mais sont bien moins présents que dans le jeu original.
- Jouabilité16/20
Malgré un début perturbant, le système de combat s'avère finalement bien pensé et agréable à utiliser. Même chose pour l'alchimie, très pratique. L'évolution du personnage grâce aux talents est originale et bien conçue. En gros, le gameplay fonctionne bien. Les puristes relèveront bien quelques manques, comme l'usure des objets ou le manque de sorts, mais rien de bien méchant. Le plus embêtant reste le relatif manque de liberté et le cloisonnement des aires de jeu, mais c'est moins problématique maintenant que les temps de chargement sont réduits.
- Durée de vie18/20
Avec cinq longs actes, plus de nombreuses quêtes secondaires intéressantes et deux aventures inédites, il faut compter une bonne cinquantaine d'heures de jeu pour faire un tour complet de The Witcher. La rejouabilité est bonne puisque de nombreux choix influent sur la tournure des événements.
- Bande son18/20
Le doublage français a été en partie réenregistré. Résultat, les rares intonations fausses ont disparu et on se retrouve avec des dialogues de grande qualité. Cette version contient également les voix des autres langues, de quoi satisfaire tout le monde. Le reste de l'ambiance sonore est aussi bon, avec de sublimes musiques aux accents médiévaux qui collent parfaitement à l'action. La bande originale est d'ailleurs fournie sous la forme d'un double CD. Les bruitages ne sont pas en reste et immergent immédiatement dans l'univers. Dans la rue, les enfants crient, les poules caquettent, le tonnerre gronde... Tout est incroyablement vivant. Du grand art.
- Scénario17/20
L'univers d'Andrzej Sapkowski est très plaisant à parcourir. Bien sûr, il n'échappe pas aux poncifs du genre. Ainsi, les nains y sont barbus et forgerons tandis que les elfes y sont beaux et archers. Mais il parvient aussi à dégager sa propre personnalité, plutôt sombre. Le climat de persécution des non-humains, la peste, la méfiance envers les Sorceleurs... Tout ça dégage une atmosphère réussie. L'histoire, racontée via de nombreuses cinématiques, est également très bien écrite. Cerise sur le gâteau, elle n'est pas linéaire, ce sera donc au joueur d'en écrire les détails à chaque partie.
Lorsqu'on voit le résultat obtenu par CD Projekt avec The Witcher - Enhanced Edition, on se prend à rêver que tous les développeurs suivent l'exemple. Avec cette version améliorée, le studio polonais a su tirer les leçons de son premier jet, déjà très réussi, pour nous livrer un jeu de rôle proche de la perfection. Un incontournable, tout simplement, qui fera date dans l'histoire du genre, et dont on reparlera certainement dans dix ans encore, évoquant avec émotion telle ou telle quête. C'est bien là l'empreinte des plus grands, de savoir s'installer durablement dans les mémoires. Il ne reste plus qu'à espérer que les aventures du Loup Blanc ne s'arrêtent pas en si bon chemin, et que les pas des joueurs croiseront de nouveau ceux du sorceleur.