Après une sortie remarquée sur Xbox 360 et PS3, Civilization Revolution est enfin disponible sur Nintendo DS. Ce n'est pas la première fois que le célèbre jeu de stratégie de Sid Meier est adapté sur un support portable, puisqu'une version N-Gage avait vu le jour début 2006. Dans le cas présent, les fonctionnalités tactiles de la DS semblent un atout de taille pour espérer retrouver la jouabilité des opus PC. Mais faut-il craindre en parallèle un appauvrissement en termes de possibilités et de contenu ?
Une fois le jeu pris en main, on constate avec bonheur qu'il n'en est rien. Sans bénéficier de la complexité d'un Civilization IV, Civilization Revolution sur DS se révèle tout aussi complet et prenant que les versions sorties sur consoles de salon. En fait, il s'agit même du même jeu à peu de choses près. Ce « peu de choses » concerne la réalisation graphique, forcément adaptée aux capacités de la portable de Nintendo, ainsi que le nombre de découvertes technologiques et d'unités disponibles, un tantinet plus restreint. Pour le reste, le gameplay et les possibilités en matière de stratégie sont identiques. L'ironie du sort, c'est que les plus gros reproches à adresser à ce Civilization Revolution sur DS sont du même ordre que ceux qui entachaient quelque peu l'expérience de jeu sur les versions PS3 et Xbox 360 : ils tiennent d'une part à une ergonomie perfectible, et d'autre part au manque flagrant de fluidité. Rien de rhédibitoire toutefois, étant donné qu'une fois plongé dans une partie, on finit par s'y habituer. Mais ces défauts suffisent à transformer ce qui était une référence sur PC en un "bon jeu de stratégie" sur DS. Ce qui lui suffit toutefois à rivaliser sans peine avec son concurrent direct, Age of Empires : The Age of Kings.
Contrairement à ce dernier, Civilization Revolution prend ses libertés avec la réalité historique. Non qu'elle soit absente, mais elle est traitée avec une certaine légèreté. C'est une caractéristique de la série que connaissent bien les habitués mais qui pourra surprendre les néophytes. Le principe n'a pas changé : il s'agit toujours de bâtir un empire sur quelques milliers d'années. On choisit parmi plusieurs civilisations celle dont on souhaite prendre le destin en main en fonction de sa façon de jouer (chacune octroyant des bonus différents) : du Royaume égyptien de Cléopâtre à l'Inde pacifiste de Gandhi en passant par la France impériale de Napoléon, tous les grands peuples sont là, emmenés par les figures incontournables qui les ont incarnés. Le problème, c'est que ces différentes civilisations vont se côtoyer allègrement une fois la partie lancée, en dépit de toute cohérence temporelle. Jules César pourra donc passer un accord diplomatique avec le chancelier Bismarck, bel exemple d'anachronisme à faire dresser les cheveux d'un Emmett Brown. Plus gênant : les civilisations ont beau évoluer au fil des siècles, elle n'en conservent pas moins l'ensemble des attributs culturels qui leur sont propres. On se retrouve donc à l'aube du XXIème siècle avec des villes farfelues où les temples côtoient les silos nucléaires, et où les hoplites s'entraînent aux côtés des chars d'assaut. L'Histoire n'est donc qu'un prétexte à l'amusement. Bien qu'assumé, ce parti pris n'en décevra pas moins ceux qui prennent au sérieux l'ancrage historique de ce genre de jeu.
En vérité, Civilization Revolution est un jeu qui ne se prend pas au sérieux. Des interventions en gros plan des personnages (conseillers ou leaders de factions opposées), toujours teintées d'humour, jusqu'aux animations très cartoon qui illustrent les combats, une touche de légèreté vient accentuer le grand n'importe quoi historique. Elle permet de compenser un peu l'austérité du rendu visuel de la carte : la représentation en 2D aérienne, héritée des premiers Civilization sur micro-ordinateur, ne flatte pas vraiment la rétine. Les villes, notamment, sont représentées par une icône bien tristounette qui ne change pas au fil des âges et des avancées technologiques. Autre perte : l'accès à l'interface de gestion des villes ne permet plus d'en avoir une représentation visuelle d'ensemble, incluant les différents bâtiments et merveilles construits ; on dispose en échange d'une liste déroulante aussi moche que peu ergonomique. A côté de ça, la carte gagne en lisibilité : elle n'est jamais trop chargée, même en fin de partie, et les unités y sont clairement identifiables. Les combats ne s'y déroulent plus directement, mais sont représentés sur l'écran supérieur comme dans The Age of Kings. En revanche, écran de la DS oblige, la portion visible du monde est très restreinte, et il est hélas impossible de dézoomer pour en avoir une vue globale, ni même de bénéficier d'une quelconque mini-map. Il faut donc en passer par le scroll de la carte, et tout irait bien si celui-ci ne donnait lieu à de grosses saccades très malvenues, d'autant qu'elles surviennent dès le début des parties. Heureusement, elles n'augmentent pas proportionnellement au nombre d'unités présentes à l'écran. Concernant la jouabilité au stylet, dans laquelle on plaçait beaucoup d'espoirs, elle se révèle au final tout à fait superflue. Le toucher/glisser pour déplacer les unités est assez pratique, mais leurs possibilités d'actions se gèrent via un menu radial peu efficace : il faut toucher une première fois l'unité pour le faire apparaître, puis une seconde fois pour donner l'ordre voulu. Dans ces conditions, mieux vaut se rabattre sur ces bons vieux boutons, raccourcis directs vers les différentes actions disponibles.
Concernant les mécanismes de jeu, ils sont identiques à ce que proposaient les versions de salon, qui s'inspiraient elles-mêmes du gameplay des opus PC en le simplifiant un peu. Civilization Revolution se joue au tour par tour, avec un système d'une décision par unité et par tour. On débute la partie à la tête d'une poignée de colons auxquels on ordonne de fonder une première ville après avoir pris soin de prospecter les richesses environnantes. Ceci fait, des paysans se mettent automatiquement à la récolte des ressources. A ce niveau-là, on est déjà confronté à certains choix de développement : on peut privilégier la récolte de nourriture pour favoriser la croissance de la population, ou bien l'approvisionnement en or pour remplir les caisses ; on peut mettre l'accent sur la recherche scientifique afin de prendre l'avantage dans le domaine des découvertes technologiques, ou bien encore produire des unités militaires qui s'en iront explorer le territoire (couvert par défaut d'un épais brouillard de guerre). Chacun des choix qu'il est possible d'effectuer durant la partie, y compris celui du mode de gouvernement, est en relation directe avec l'une des quatre conditions de victoire : territoriale, économique, technologique ou culturelle, chacune requérant l'accomplissement d'objectifs précis (exemple : la victoire technologique est acquise en étant le premier à envoyer un vaisseau spatial sur Alpha du Centaure). On pourrait craindre que ces conditions de victoire enferment le développement dans une relative linéarité, mais il n'en est rien : il est toujours possible d'opérer un changement de direction si le contexte ne paraît pas propice aux choix déjà effectués.
On retrouve pour le reste dans Civilization Revolution les nombreuses possibilités qui ont fait le succès de la série : construire des routes pour accélérer les trajets entre ses villes, envoyer des caravanes commercer avec des villes adverses, conclure des accords avec les autres dirigeants... La diplomatie constitue d'ailleurs un pan important du jeu : on est très souvent sollicité pour des échanges commerciaux ou des pactes de non-agression temporaires qui se soldent bien souvent par une déclaration de guerre. On perd alors ses premiers combats faute d'avoir intégré certains principes. D'une part, trois unités militaires de même type peuvent être regroupées pour constituer une armée, à la puissance de feu décuplée. D'autre part, il ne faut pas hésiter à user et abuser des espions, aptes à s'infiltrer dans les villes ennemies et à en saboter les défenses ou la capacité de production. Enfin, une unité militaire sortant victorieuse d'un combat passe Vétéran et voit ses capacités offensives s'améliorer, ce qui incite au "creeping" préalable sur des villages barbares ! Il y aurait tant de choses à dire sur Civilization Revolution, signe que la profondeur de jeu n'a pas été sacrifiée. On préfère vous les laisser découvrir. Sachez toutefois que le titre propose plusieurs types de jeu en solo (parties libres ou scénarisées dans plusieurs niveaux de difficulté), ainsi qu'un mode multijoueur qui n'est pas le moindre de ses arguments : de 2 à 4 joueurs peuvent s'affronter en local ou en ligne via la connexion wi-fi de la DS. Certes, la longueur importante d'une partie de Civilization n'est pas forcément compatible avec le style de jeu « sur le pouce » propre au multi sur DS. Mais bon, c'est un plus qui ne se refuse pas, tant il promet alliances et trahisons de circonstance !
- Graphismes10/20
La réalisation graphique déçoit. Le rendu visuel de la carte rappelle celui de Civilization II (sorti il y a plus de dix ans), les ralentissements en plus quand il s'agit de la faire scroller. Mais cette austérité permet au jeu de gagner en lisibilité par rapport aux versions consoles de salon. En outre, l'ensemble est égayé de sympathiques animations de type cartoon durant les combats.
- Jouabilité14/20
Le jeu au stylet se révélant peu efficace, on a tôt fait de se rabattre sur la traditionnelle combinaison croix directionnelles/boutons, qui fonctionne plutôt bien. Comme sur les versions de salon, on déplore quelques petits soucis d'ergonomie, auxquels on finit cependant par s'habituer. On apprécie surtout qu'aucune concession n'ait été faite au niveau du gameplay.
- Durée de vie15/20
Civilization Revolution propose un mode solo assez étoffé, un indispensable mode multijoueur pour prolonger le plaisir, ainsi qu'une option de téléchargement hebdomadaire de nouvelles cartes. Ne manque à l'appel qu'un éditeur de niveaux.
- Bande son9/20
La bande-son est assez pauvre par rapport à ce que proposent les versions consoles de salon. Les unités sont dotées de bruitages minimalistes, il y a peu d'ambiance dans les villes et seuls les combats sont illustrés musicalement. La DS est capable de mieux en la matière.
- Scénario/
En dépit d'une réalisation sans éclat et de quelques problèmes d'ergonomie, Civilization Revolution sur Nintendo DS reste le jeu de stratégie complet et prenant que nous avons connu. On apprécie d'ailleurs particulièrement que la profondeur de jeu n'ait pas été sacrifiée sur l'autel de l'accessibilité. En outre, pouvoir emmener "Civ" dans sa poche et y jouer à tout moment est un rêve que caressaient depuis longtemps les fans de la série. Un incontournable dans le domaine de la stratégie sur DS, et un concurrent sérieux pour Age of Empires : The Age of Kings.