Annoncé il y a des lustres pour une autre machine, Too Human s'extirpe enfin des forges de Silicon Knights pour débarquer sur Xbox 360. Fruit d'une gestation difficile, porté par une volonté manifeste d'offrir quelque chose d'unique aux joueurs que nous sommes, le titre est néanmoins victime de choix contestables ainsi que d'un bon nombre de lourdeurs. Nous le pressentions depuis longtemps mais la chose est maintenant claire : Too Human divisera les foules. Le temps est maintenant venu d'en examiner les raisons.
"Exterminez, grands dieux, de la terre où nous sommes, quiconque avec plaisir, répand le sang des hommes !". Cette amorce pompeuse, empruntée sans cérémonie à un célèbre auteur français, pourrait bien résumer à elle seule le point de départ de Too Human, ainsi que sa volonté de toucher au mythique sans en avoir les moyens. Dès l'abord, le bébé de Silicon Knights cherche à concilier deux univers qui n'ont a priori pas le moindre lien : la mythologie scandinave d'une part et une vision futuriste d'une humanité en proie aux assauts de robots maléfiques, buveurs de sang et grands amateurs de gigots d'autre part. La guerre, toujours, déchire notre bonne vieille Terre et compromet le futur même de la race humaine. Pour rétablir l'équilibre des forces, les dieux des Hommes, immortels et soutenus par des implants issus d'une technologie de pointe, envoient l'un des leurs sur le front : le guerrier Baldur (ou Balder), que vous incarnerez tout au long de l'aventure. Aidé par ses pairs ainsi que par des soldats mortels, le combattant divin cherchera donc un moyen de vaincre l'ennemi, mais devra également faire face à ses propres démons.
L'intrigue, séduisante et atypique, débute donc sous les meilleurs auspices. Hélas, l'ensemble s'étiole rapidement, succombe sous l'effet de quelques maladresses, d'un manque d'équilibre entre les différentes phases du jeu, ainsi que d'un traitement fondamentalement classique. N'y allons pas par quatre chemins, les nombreuses cinématiques qui ponctuent la progression souffrent effectivement d'une mise en scène poussive. Elles peinent à faire vivre cet univers hybride pourtant si séduisant sur le papier. Les dialogues ne sont pas étrangers à ce phénomène. A trop vouloir mélanger la grandiloquence de dieux guerriers à des considérations nettement plus humaines (le désir de Baldur d'apprendre ce qui est arrivé à sa femme par exemple), les tirades s'étouffent, se perdent et ne convainquent jamais vraiment. Too Human enfin, accumule les personnages, les intrigues secondaires (souvent convenues) et prend le risque de perdre le joueur dans un joyeux et touffu fatras. Pour autant, l'univers ainsi dépeint ne manque pas de charme et pose plutôt correctement les bases d'une histoire destinée à s'étaler sur deux épisodes supplémentaires. Même lassé par l'accumulation de maladresses, on se prend à vouloir découvrir le fin mot de l'histoire et le destin de Baldur. En somme, on se trouve ici face à la première des nombreuses contradictions que Too Human ne manquera pas de soulever.
Car c'est un fait, ces discordances s'étendent à tous les aspects de Too Human, et particulièrement aux combats, qui constituent tout de même l'essentiel du jeu. En effet, le titre repose bien évidemment sur des affrontements massifs contre des légions d'ennemis ainsi que sur la collecte permanente d'items en tout genre. Pour prendre un exemple relativement proche du public 360, disons que Too Human évoque un pendant futuriste de Kingdom Under Fire : Circle of Doom. Ceci dit, là où KuF et ses congénères nous inviteraient à martyriser chaleureusement les boutons colorés du pad afin de déclencher des attaques, Too Human jette son dévolu sur le stick droit. En gros, pour lancer une attaque au corps-à-corps, il vous suffit de pousser le petit bout de plastique dans la direction de votre cible, puis de laisser faire Baldur. Pour les armes à feu, même système, à ceci près qu'on appuiera sur une gâchette pour lâcher des bastos. En découle logiquement une grande accessibilité, car même les coups les plus avancés, que l'on obtiendra en gagnant des niveaux, ne nécessiteront généralement qu'un ou deux mouvements rapides du pouce. Quant aux attaques spéciales, elles ne dépendront généralement que des gâchettes et des boutons de tranche.
Hélas, cette accessibilité relative a un prix. Avec un stick associé aux déplacements et l'autre destiné à satisfaire la Grande Faucheuse, il ne nous reste plus rien pour maîtriser les virevoltes d'une caméra moribonde. Tout juste pourra-t-on lui ordonner ponctuellement de se replacer derrière nous et de se rapprocher de l'action, ou au contraire, de s'en éloigner. Pour le reste, c'est le soft qui gère, et pas franchement pour le mieux. Cette utilisation des sticks pose également un autre problème, un problème qui n'apparaît qu'au plus fort des combats, lorsque l'ennemi se montre en nombre. Entouré par des nuées grouillantes de robots en folie (et généralement débiles), il vous sera souvent difficile de choisir avec précision votre cible et vous vous retrouverez régulièrement à matraquer involontairement du menu fretin, alors qu'un lance-missile bien plus dangereux vous arrose copieusement. Bref, les combats de Too Human apparaissent un petit peu trop confus, et ce même si l'on garde à l'esprit qu'une précision de sniper n'est pas franchement nécessaire dans ce qui s'apparente tout de même à un bon gros hack'n slash. A ce titre, notez que chaque affrontement vous donnera bien évidemment l'occasion de récupérer des multitudes d'objets.
Lames ou massues, pétoires, pièces d'armure, runes à graver sur vos armes pour en renforcer l'efficacité, charmes qui confèrent des bonus divers à votre héros, tout est là, en quantité. Au fond, sur la quinzaine d'heures nécessaire pour parvenir à la fin de l'aventure, sachez que vous en passerez un bon tiers dans les menus, à sélectionner votre équipement et à customiser votre héros. Les options sont nombreuses et facilement accessibles, même si l'abord est difficile. Les joueurs désireux de refaire un donjon pour y dénicher une nouvelle arme et y grappiller de l'EXP auront donc plaisir à se frotter à Too Human, les autres auront tout de suite plus de mal, même si le jeu propose quelques options pour gérer automatiquement le butin. Le matos utilisable dépendra dans une large mesure de la classe que vous aurez choisie en début de partie. Le jeu en compte cinq. Le Champion tout d'abord est très équilibré, il est capable de distribuer mandales et pruneaux avec classe et désinvolture. Le deuxième larron se trouve être le Commando, spécialiste des trucs qui tirent de loin. Viennent ensuite l'Ingénieur, soigneur de son état, ainsi que le Défenseur, capable d'encaisser plus de dégâts que les autres. Dernier bout de viande dans cette belle brochette de winners : le Berserker, seul personnage en mesure de manier deux armes en même temps pour faire deux fois plus mal. Chaque personnage se différencie des autres selon les caractéristiques suivantes : points de vie, corps-à-corps, balistique, armure et compétences.
Evidemment, chaque fois que vous prendrez un niveau, il vous sera demandé d'attribuer des points sur deux arbres de compétences distincts. Le premier est spécifique à chaque classe et vous permet de renforcer la puissance de vos mandales, votre résistance et votre précision. Plus vous distribuerez des points dans un domaine particulier, plus l'arbre s'étendra en conséquence, vous donnant ainsi accès à de nouvelles attaques et compétences dans ce même domaine. L'autre arborescence relève de votre affiliation (que vous choisirez à l'issue de votre premier niveau) : cybernétique ou humaine. C'est là que vous aurez accès à des capacités spéciales, tel le pouvoir de geler vos ennemis au corps-à-corps, ou encore la possibilité de solliciter une petite araignée mécanique, toute aussi désireuse que vous de dégommer des ennemis. Impossible néanmoins de se débarrasser de l'impression que tout ce raffinement ne transparaît plus le moins du monde dès lors qu'on se retrouve sur le terrain. Quelle que soit votre classe et votre façon d'envisager les combats, on en reviendra toujours au même : un mitraillage en règle quand l'ennemi est à distance suivi d'une méchante empoignade. Les différences, à moins d'atteindre un niveau très élevé, restent donc minimes.
Au fond, Too Human manque cruellement de variété et ne marque pas suffisamment les différences entre chaque type de héros. Dans le même ordre d'idée, on aura du mal à se satisfaire d'un level-design ultra linéaire qui ne laisse que très peu de place à l'exploration. Certes, on découvrira bien quelques arènes cachées et des passages secrets (qu'on ouvrira en se plongeant ponctuellement dans le cyber-monde des NORNES, mais cela, vous l'expérimenterez par vous-même), mais la structure du jeu reste tout de même désespérément uniforme. Pour tenter d'injecter un petit peu de sang frais dans ce grand corps malade, Silicon Knights a quand même eu la bonne idée d'inclure un mode coop, jouable à deux via le Xbox Live. Une fois mis en relation avec un autre amateur de donjons et d'objets bigarrés, Too Human prend une nouvelle dimension, même s'il ne s'affranchit pas des défauts énoncés ci-dessus. Attaqué par deux guerriers à la fois, le titre génèrera alors des ennemis supplémentaires, des ennemis qui profiteront d'ailleurs d'un niveau supérieur à celui du plus puissant des deux joueurs, histoire de forcer ces derniers à se serrer les coudes, un petit peu trop d'ailleurs. Néanmoins, les actions à effectuer à deux se comptent sur les doigts d'une main de lépreux, même si on éprouve du plaisir à échanger du matos avec son collègue.
En somme, le véritable problème de Too Human est que chaque aspect du jeu trouve rapidement sa contrepartie. L'histoire repose sur une base intelligente, mais s'effrite au contact d'une mise en scène poussive et d'une narration sans âme. Les combats sont dynamiques et rapides, mais terriblement brouillons. Les différentes classes de personnages ainsi que le système de progression offrent de multiples possibilités, qui au final, ne transparaissent que lorsqu'on aura passé le niveau 40. Les masses d'objets à récupérer n'ont pas toujours autant d'intérêt que leurs stats le laissent penser, puisque les ennemis prennent des niveaux en même temps que vous. Les armures sont efficaces, mais il est dommage qu'elles soient si moches. Arrêtons-là les frais, vous l'aurez compris, Too Human a tout d'un agrégat de contradictions. En tant que tel, il ne parlera sans doute qu'aux joueurs qui aiment à nettoyer des donjons de fond en comble et à customiser leur combattant. Les autres en revanche détesteront tout de suite.
- Graphismes12/20
Too Human ne manque pas de charme, notamment lorsqu'il déploie ses majestueux décors, écrasants et inspirés. En revanche, le design des personnages a tout de suite plus de mal à passer. Outre un héros au charisme douteux, les différentes pièces d'armures et les équipements que vous récupérerez vous feront plus souvent ressembler à un homme sandwich qu'à un dieu guerrier. Les animations ne sont pas toujours très fines et on devra même supporter quelques jolis bugs de collisions ici et là. Too Human accuse en outre quelques méchantes saccades, lorsque les ennemis se montrent en masse et que les tirs se multiplient.
- Jouabilité12/20
Too Human offre un système de gestion de l'équipement extrêmement solide, peaufiné à l'extrême. Hélas, cette richesse se heurte à des combats trop brouillons, quoique très dynamiques. Le potentiel est là, mais n'est pas retranscrit sur le terrain. On se demande aussi pourquoi Silicon Knights a rendu le joueur immortel, ôtant ainsi toute tension aux affrontements. L'ensemble enfin, souffre d'un level-design étouffant, linéaire au possible, et donc rapidement synonyme d'une routine assassine.
- Durée de vie13/20
Comptez entre 12 et 15 heures pour voir la fin de l'aventure, ce qui fait quand même léger pour un titre de ce genre. Les nettoyeurs de donjons et les amateurs de succès pourront néanmoins reprendre n'importe quelle partie du jeu, histoire de dénicher toutes les armes et de grappiller le moindre point d'EXP. Too Human enfin, propose un mode coop jouable à 2 sur le Xbox Live. Un plus indéniable, même si on aurait souhaité pouvoir parcourir cet univers à 4.
- Bande son14/20
Musiques épiques et solides bruitages constituent le fond sonore de Too Human. La note néanmoins, tient compte de curieux bugs, comme ces alliés qui continuent à parler alors qu'ils sont morts et enterrés, et d'un doublage français qui ne sait pas trop se situer. Normal serait-on tenté de dire lorsqu'on observe des dieux qui ne ressemblent souvent qu'à de simples Space Marines.
- Scénario13/20
Le mélange entre science-fiction et mythologie scandinave offre à Too Human une atmosphère unique, malheureusement mal exploitée. La mise en scène manque souvent de pêche et les personnages donnent un peu dans la caricature, qu'ils soient dieux ou simples mortels. Too Human effleure pourtant avec une certaine élégance les thèmes de notre dépendance aux machines et du danger pour les combattants humains de devenir pires que ceux qu'ils affrontent.
Difficile de donner une note à Too Human tant il semble déséquilibré. Pour chaque élément réussi, pour chaque idée lumineuse, on découvre une maladresse et une lourdeur. Si vous vous délectez d'une customisation poussée, si vous appréciez de batailler ferme pour donner corps à un personnage unique, alors peut-être que le soft, malgré ses faiblesses, parviendra à vous combler. L'histoire en revanche, ainsi que les combats, ne sont pas à la hauteur de ce que Silicon Knights nous laissait espérer. Reste un fait incontestable quel que soit l'angle adopté, Too Human constitue une déception. La profondeur de cette déception dépendra bien évidemment des attentes que vous placiez en lui.