Le Xbox Live Arcade renferme bien des secrets : beaucoup de vieilleries poussiéreuses extirpées à moindre coût d'un passé vidéoludique lointain, quelques classiques habilement remis au goût du jour par des développeurs consciencieux et respectueux du public, mais aussi quelques titres inédits, sortis d'on ne sait trop où. Braid s'inscrit dans cette dernière catégorie. Frais, intelligent et poétique, le titre de Jonathan Blow nous invite à reconstituer un puzzle géant, perdu dans les méandres du temps.
Méfiez-vous jeunes gens, Braid est fourbe, Braid aime à tromper son monde, Braid aime surprendre et s'aventurer avec hardiesse hors des sentiers battus. Ainsi, si la création lumineuse de Jonathan Blow se donne d'abord des airs de jeu de plates-formes classique, ce n'est que pour mieux nous fourvoyer. La douce nature de Braid ne transparaît véritablement qu'après quelques minutes de jeu, lorsqu'après avoir gambadé gaiement dans des tableaux qui évoquent de très jolies aquarelles, une petite énigme finit par se dresser sur votre chemin. Cependant, avant de remettre en fonctionnement nos petits neurones atrophiés, habitués aux frags et aux virages serrés, il convient tout d'abord de s'intéresser au contexte de cette drôle d'aventure. Braid nous fait faire la connaissance de Tim, petit bonhomme en costume dont les souvenirs se sont perdus, éparpillés aux quatre vents dans des mondes féeriques où le temps s'adonne aux plus étranges cabrioles, comme une feuille morte ballottée par une bourrasque automnale. Dans l'esprit du héros cependant, une unique et sinistre certitude subsiste : sa princesse a disparu parce que lui, pauvre bougre, a commis une erreur. Une erreur dont la nature ne nous sera révélée qu'à l'issue du sixième monde. Ne reste plus alors pour notre gentleman qu'à partir récolter les pièces du puzzle que forme sa mémoire défaillante avec au coeur, l'espoir de retrouver sa belle. L'histoire de Braid, attachante et mélancolique, se dévoile par le biais de petits volumes consultables dans l'antichambre de chaque monde. Sans trop en dévoiler, disons que le ton surprend, tout comme le final, qui comme nous l'évoquions plus haut, ne se contente pas de lieux communs.
La quête de Tim s'étale donc au travers d'une série de mondes nés de contes de fée. Tous ont l'allure de rêves acidulés, et au fond, les traverser ne vous prendra guère de temps. Mais le véritable intérêt du jeu ne consiste pas à filer comme une fusée du bout à l'autre des niveaux. Pour voir la fin de l'aventure et accéder au stage final, il vous faudra effectivement collecter consciencieusement les différentes pièces de puzzle réparties dans chaque environnement. Celles-ci ne se cachent jamais, trônent bien en vue, mais semblent presque toujours inaccessibles. C'est donc là qu'il s'agira de solliciter votre petit cervelet afin de faire preuve de créativité, tout autant que de logique. L'aspect jeu de plates-formes initial se trouve en fait rapidement délaissé lorsqu'on le confronte au puissant pouvoir du héros. En effet, en appuyant sur le bouton X, notre aventurier peut en fait remonter le temps comme le défunt Blinx d'autrefois. En conséquence, un saut raté ou l'étreinte douloureuse d'un monstre en mal d'amour n'aura généralement pour effet que de vous faire perdre quelques secondes.
En dehors du premier monde, sorte de tutorial gentillet, les différents niveaux ne font donc que vous poser des colles temporelles qu'il s'agira de surmonter en usant du pouvoir de Tim. Selon la situation et les règles propres à chaque niveau, inverser le cours du temps vous permettra par exemple de vous créer un double, capable de reproduire vos derniers mouvements et donc de vous aider à surmonter des obstacles qui nécessitent que deux actions soient réalisées au même moment. Vous pourrez également profiter de ce fameux pouvoir pour créer des bulles qui ralentiront le temps, et qui une fois placées, vous serviront à esquiver les tirs rapides de canons mal placés, ou même à vous glisser prestement sous une porte qui tendait à se refermer en un clin d'oeil. A tout cela, s'associent divers objets aux propriétés particulières. On apprendra que les objets entourés d'un halo verdâtre ne sont pas sujets aux altérations temporelles. Ainsi, une clé verte, une fois récupérée, restera dans vos mimines même si vous remontez le temps. Même combat pour certaines plates-formes mouvantes, dont la trajectoire restera totalement impossible à modifier.
Les énigmes, même si elles vous sembleront souvent très alambiquées, ne font appel qu'à votre logique ainsi qu'à votre capacité à vous projeter en avant pour anticiper et déduire la suite des événements. Quoi qu'il en soit, toutes témoignent d'une rare intelligence et d'une véritable maîtrise dans l'élaboration des niveaux. En découle pour le joueur une véritable satisfaction, lorsqu'après avoir buté pendant plusieurs minutes, la solution émerge, claire et limpide. Le plaisir de surmonter ces énigmes riches et subtiles est particulièrement intense, mais il est vrai que Braid court clairement le risque de froisser les joueurs les moins patients. Les autres en revanche, profiteront d'un voyage aussi fascinant que gratifiant.
Hélas, ledit voyage semblera tout de même très court. Car à moins de buter longuement sur les énigmes, terminer le jeu ne prendra pas plus de quelques heures. Et une fois chaque énigme déboulonnée et impitoyablement vaincue, il n'y aura plus guère d'intérêt à parcourir de nouveau le jeu, sauf peut-être pour les amateurs de succès, désireux de terminer Braid en moins d'une heure. Certains joueurs, peu nombreux, auront néanmoins plaisir à parcourir une nouvelle fois le jeu, à la lumière d'un final suprêmement déstabilisant. Mais pour l'immense majorité des joueurs, la durée de vie semblera tout de même un petit peu limite, surtout lorsqu'on constate que le jeu coûte tout de même 1200 points Microsoft, soit près de 15 euros. Braid pourtant, vaut largement le détour, tant il renouvelle l'air vicié du Xbox Live Arcade. Fin, beau, intelligent, offrant des mécanismes de jeu complexes sans se rendre élitiste pour autant, Braid surprend et fascine.
- Graphismes15/20
Oui, techniquement, le jeu est loin d'être un étalon. Cependant, l'ensemble du jeu profite d'une dimension artistique extrêmement marquée. Les décors sont superbes et donnent l'impression d'évoluer dans une gigantesque aquarelle. Les tons sont bien choisis, oscillent de l'ocre au vert et passent dans un blanc cotonneux associé aux rêves. Les ombres vacillent et donnent vie aux tableaux les plus sombres. L'ensemble, que l'on doit au dessinateur David Hellman, se dote ainsi d'une forte identité et d'une ambiance unique.
- Jouabilité17/20
Braid constitue une véritable leçon de level-design. Tout y est maîtrisé, réglé au millimètre et le joueur n'éprouvera donc aucune difficulté à se glisser dans cet univers. Le contrôle du temps permet d'envisager chaque énigme sous un jour totalement différent. La seule difficulté viendra de votre capacité à tirer profit du pouvoir de héros.
- Durée de vie10/20
Tout dépend de votre facilité à résoudre les énigmes. Quoi qu'il en soit, les 6 mondes de Braid ne sont malheureusement pas très longs. Et une fois le soft terminé une première fois, la plupart des joueurs ne se trouveront plus de raisons d'y retourner. D'autres cependant ne manqueront pas de se replonger dans ce monde féerique, pour les succès, ou tout simplement pour se livrer à une relecture attentive de la curieuse histoire de Tim.
- Bande son16/20
La musique, dominée par les violoncelles, participe grandement à l'ambiance envoûtante de Braid. Les thèmes, souvent lyriques, s'accordent parfaitement aux différents environnements offerts. De l'ensemble se dégage d'ailleurs beaucoup de mélancolie. Ne vous attendez donc pas à une musique guillerette, dans la lignée des Mario et autres jeux de plates-formes.
- Scénario15/20
La quête de Tim pour retrouver sa princesse profite d'une narration adulte et s'avère en fait, bien plus complexe qu'il n'y paraît au premier abord. L'histoire accumule souvent les ambiguïtés et rend hommage à certains jeux bien connus, tout en les égratignant doucement au passage. Là encore, Braid se démarque de la concurrence et nous offre une bonne bouffée d'originalité.
Braid est un titre envoûtant, unique et poétique. L'aventure qu'il propose est parfaitement maîtrisée quel que soit le point de vue adopté. Le gameplay est millimétré, intelligent et ne souffre d'aucun véritable défaut. Braid sollicite les neurones bien plus que les réflexes, mais il le fait avec brio, sans jamais sombrer dans le piège d'une difficulté outrancière ou d'une facilité condescendante. Braid est un titre mature, qui ne plaira pas à tout le monde, ne serait-ce que par la mélancolie qui se dégage de ses différents tableaux et de sa musique. Enfin, même si le soft est brillant, son originalité, sa faible durée de vie et son prix une petit peu trop élevé (mais incontestablement justifié) l'empêcheront sans doute d'atteindre un large public. Mais il est évident que ceux qui feront le pas après avoir téléchargé la version d'essai ne le regretteront pas.